Le propriétaire de Free n’était pas seulement attendu au Sénat pour parler des parts qu’il détient dans la presse (Le Monde ou encore La Provence). La commission d’enquête sur la concentration des médias était aussi impatiente d’entendre le point de vue de l’entrepreneur sur le dossier de la fusion TF1-M6. Pour la première fois, il s’est exprimé en public sur cette opération, contre laquelle il a multiplié les recours devant la justice. Après trois procédures perdues, Xavier Niel a déposé une question prioritaire de constitutionnalité.
« Ces deux groupes sont ultra-dominants et cette ultradomination devrait susciter des interrogations » a alerté Xavier Niel, évoquant « la prédation d’un monopole ».
Le milliardaire français a notamment mis en doute, lors de son audition, le rôle de garde-fous, que sont censées jouer les autorités indépendantes de régulation dans ce dossier. « Parfois dans ces autorités indépendantes, j’ai un petit doute quand cette opération, qui est incroyablement complexe en termes de concurrence, est soutenue par des gens qui normalement devraient faire preuve d’un peu plus de réserves », a-t-il expliqué. Xavier Niel considère qu’il y a « assez peu d’oppositions » sur ce projet.
« Cette fusion est à peine annoncée que le président de l’Arcom [le régulateur de l’audiovisuel, l’ex-CSA, ndlr] nous dit tout va bien ! circulez, avant même de nous avoir auditionnés. La présidente de l’autorité de la concurrence dit on va regarder. Elle est virée. Il y a un moment, on n’est pas top top en confiance », s’est exclamé l’homme d’affaires. Le mandat d’Isabelle de Silva s’était achevé le 13 octobre dernier. Auditionnée le 13 décembre 2021, elle avait fait part de ses réserves aux sénateurs sur le projet de fusion.
Son mandat n’a pas été renouvelé, mais Xavier Niel y voit une forme de sanction. « C’est mon opinion personnelle – sans avoir aucune forme d’information – qui me laisse penser qu’elle a été virée, liée à une absence de position, c’est-à-dire liée au fait qu’elle souhaitait faire son boulot normalement sur ce sujet. »
« En termes de publicité, vous allez créer un monstre »
S’il ne possède pas de chaînes de télévision, le dirigeant a estimé que cette fusion allait pourtant peser directement sur ses activités. « En termes de publicité, vous allez créer un monstre qui va dominer ce marché […] La hausse des prix de la publicité, c’est un truc qui touche toutes mes activités […] Il y a un risque colossal pour Iliad. » En tant que « citoyen », le patron de Free s’inquiète par ailleurs pour le pluralisme.
Xavier Niel s’est également opposé aux motivations qui ont présidé au projet de mariage entre TF1 et M6. Il a notamment évoqué le résultat net de cette dernière qui a « quasiment doublé » depuis 2017. « Quand on vient fusionner, il faut une situation exceptionnelle. » Les avertissements des acteurs concernés du dossier, évoquant un « risque » en cas de refus de l’opération, sont « à la limite de la menace », selon lui. Le 28 janvier, Nicolas de Tavernost (président du directoire de M6) avait considéré que ceux qui refuseraient la fusion feraient courir un « grand risque » à l’audiovisuel français.
En tant que distributeur de ces chaînes, avec Free, Xavier Niel redoute que le poids du groupe fusionné fasse la pluie et le beau temps. « Qui aura le courage de couper TF1 et M6 en même temps parce que dans votre négociation ils vous auront imposé quelque chose d’inacceptable ? » Ses craintes concernent enfin le domaine de la production cinématographique (Xavier Niel a cofondé Mediawan), puisque TF1-M6 pourrait « négocier moins cher ». « 4000 producteurs vont souffrir, certains vont disparaître ».