C’est une promesse de campagne d’Emmanuel Macron. Moduler l’assurance chômage selon les conditions économiques, afin qu’elle soit « plus stricte quand trop d’emplois sont non pourvus, plus généreuse quand le chômage est élevé », avait expliqué le chef de l’Etat. Déjà adopté par les députés, le projet de loi qui porte cette réforme a été adopté ce mercredi matin au Sénat en commission des affaires sociales, avant son passage en séance le 25 octobre.
Entrée en vigueur début 2023
Le projet de loi prévoit dans un premier temps de prolonger les règles actuelles de l’assurance chômage, issue de la réforme de 2019, qui durcissait les conditions d’accès. Pour la modulation, le texte prévoit de permettre au gouvernement de décider par décret quels seront les critères qui permettront de moduler les droits, tout en laissant les syndicats et le patronat tenter de s’entendre sur le sujet, durant une phase de concertation. Mais le gouvernement vise quoi qu’il arrive une entrée en vigueur début 2023.
Le ministre du Travail, Olivier Dussopt, assure que le gouvernement ne touchera pas « au montant des indemnités », mais plutôt aux conditions d’entrée dans le régime (six mois travaillés sur vingt-quatre aujourd’hui) ou la durée d’indemnisation. Comme il l’avait expliqué lors de son audition au Sénat, il souhaite également une « application différenciée » pour les départements d’Outre-mer, où les indicateurs économiques sont sensiblement différents.
« Il faut tout faire pour fluidifier le monde du travail »
S’il soutient globalement le texte, Olivier Henno, corraporteur du texte avec la sénatrice LR Frédérique Puissat, pointe le manque « d’étude d’impact » – un grief que les parlementaires dénoncent sur de nombreux textes – que ce soit « sur la réforme de 2019 » ou « sur la contracyclicité (c’est-à-dire la modulation en fonction du marché du travail, ndlr), où on n’a pas grand-chose ». Il insiste :
Au moment où on discute cette loi, on a assez peu de données sur les impacts économiques et sociaux de la réforme de 2019.
Sur le fond, la majorité sénatoriale LR/centriste partage cette volonté de modulation en fonction de la conjoncture. « Au niveau du principe, on comprend bien la logique, c’est pour fluidifier le marché du travail, car force est de reconnaître qu’on a encore beaucoup d’emplois non pourvus, et il faut tout faire pour fluidifier le monde du travail », soutient le sénateur UDI Olivier Henno. Mais « sur le contracyclique, on sera extrêmement vigilant », assure le centriste, pour qui la réforme ne doit pas être synonyme « de nivellement par le bas ».
En commission, les sénateurs ont souhaité inscrire le principe dans la loi, laissant toujours à un décret les précisions. L’amendement dit précisément que « les conditions d’activité antérieure pour l’ouverture ou le rechargement des droits et la durée des droits à l’allocation d’assurance peuvent être modulées en tenant compte d’indicateurs conjoncturels sur l’emploi et le fonctionnement du marché du travail ».
Modulation des droits : voter ce texte revient « à donner un chèque en blanc au gouvernement », dénonce Monique Lubin (PS)
La socialiste Monique Lubin pointe, elle, un projet de loi qui « durcit les règles », avec « une vision extrêmement négative des demandeurs d’emploi ». Elle ajoute :
C’est un texte qui stigmatise terriblement les demandeurs d’emploi.
Sur la modulation, « le gouvernement navigue à vue, quand on voit les premières concertations. Ce sera selon quels critères ? » demande la sénatrice socialiste, selon qui voter ce texte revient « à donner un blanc-seing, un chèque en blanc au gouvernement », qui pourra définir ensuite les détails de la réforme, si les discussions n’aboutissent pas. « Partenaires sociaux et gouvernement auront beaucoup de mal à se mettre d’accord sur la contracyclicité », selon Monique Lubin.
« La lettre de cadrage dit d’où on part et où il faut arriver. Et on laisse juste aux partenaires sociaux le choix de l’itinéraire », dénonce le centriste Olivier Henno
En commission, les sénateurs de la majorité sénatoriale ont voulu envoyer un message de confiance envers le paritarisme. « Il y a un changement, voté en commission, qui est fondamental, c’est celui de renoncer à la lettre de cadrage et de revenir à une lettre d’orientation, c’est-à-dire qu’on marque notre attachement au paritarisme, au dialogue social, au respect des corps intermédiaires », soutient Olivier Henno. Or « la lettre de cadrage dit d’où on part et où il faut arriver. Et on laisse juste aux partenaires sociaux le choix de l’itinéraire. La lettre d’orientation marque des orientations mais ne préempte pas la conclusion », défend le sénateur UDI du Nord, « on laisse aux partenaires sociaux la mise en place de l’opérabilité ». Il rappelle l’esprit de l’assurance chômage et du paritarisme, qui veut « que c’est aux partenaires sociaux de gérer ça, et éventuellement à l’Etat d’intervenir s’il y a blocage. Mais ce n’est pas à l’Etat de définir les contours ». Mais pour Olivier Henno, « l’Etat est trop interventionniste ».
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Un point au moins où il devrait s’accorder avec la socialiste Monique Lubin. « C’est une continuité dans la reprise en main de l’assurance chômage par le gouvernement, au détriment des partenaires sociaux », notamment sur la réforme de 2019 (appliquée fin 2021 à cause de la crise du covid-19). « Le gouvernement nous dit qu’il faut absolument proroger les règles mises en place, car sinon les demandeurs ne seront plus indemnisés au 1er novembre. La ficelle est un peu épaisse », pointe la sénatrice PS.
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Monique Lubin accuse la droite sénatoriale d’avoir « considérablement durci » les règles sur les emplois non pourvus
En revanche, Monique Lubin accuse « la droite sénatoriale » d’avoir « considérablement durci » les règles sur les emplois non pourvus. Selon le texte de la commission, « si on refuse trois CDI (à l’issue de CDD, au cours des douze derniers mois, sur un même poste ou un emploi similaire, ndlr), on n’a plus le droit au chômage. C’est comme sur les abandons de poste (qui n’ouvriront plus droit au chômage, ndlr), un ajout de l’Assemblée. Un des rapporteurs me dit que c’est de plus en plus fréquent. Je me suis renseignée auprès d’avocats spécialistes en droit du travail. En réalité, ce n’est documenté par rien ! Or ça met en place des dispositifs sévères pour des personnes qui n’ont pas d’autre choix que de quitter leur emploi, comme des salariés qui ne sont plus payés alors que l’employeur ne prend pas les mesures de licenciement. Et quid du harcèlement moral ou du harcèlement sexuel, dans les toutes petites entreprises où il n’y a pas de syndicats et où les salariés ne peuvent se tourner vers personnes pour se faire aider, et qui subissent ? Au bout d’un moment, ils n’en peuvent plus et feront un abandon de poste. Revenir sur ça, c’est très dur », dénonce Monique Lubin.
Sur les refus de CDI, « il y a une réalité du monde du travail. Il y a un abus des abandons de poste, un abus des refus de CDI, un abus de ruptures conventionnelles », rétorque Olivier Henno, « il faut à la fois réhabiliter la démission. Et dire que l’assurance chômage, c’est vraiment une assurance chômage. Quand on a des propositions sur un, deux et trois CDI, on n’est pas accidenté de l’emploi. Et il y a beaucoup de métiers où on est en pénurie de main-d’œuvre ».
Bonus-malus pour les entreprises divisé par deux
Sur le bonus-malus, décidé en 2019, qui vise à limiter le recours aux contrats courts en modulant les cotisations patronales d’assurance chômage, les sénateurs de droite et du centre ont voulu « limiter l’impact en divisant par deux le bonus-malus » pour les entreprises épinglées, explique Olivier Henno, soit + /- 0,5 point de cotisations, contre + /- 1 point actuellement.
L’amendement, soulignant que les CDD ne représentant que 2 % des fins de contrat prises en compte, limite aussi les fins de contrat prises en compte aux CDD d’une durée inférieure ou égale à un mois, ce qui permet d’exclure du dispositif les fins de CDI, quelles qu’en soit la cause, et les fins de mission d’intérim. « La droite sénatoriale a allégé un dispositif qui n’était pas trop contraignant », pointe la socialiste Monique Lubin.
Le texte prévoit également la validation des acquis de l’expérience (VAE) aux « proches aidants et aidants familiaux ». Cette procédure mise en place en 2002 permet aux personnes non diplômées ayant suffisamment travaillé, même à titre bénévole, d’obtenir une certification d’aptitudes. L’objectif est de permettre aux personnes qui se sont occupées d’un proche dépendant ou handicapé de se tourner vers les métiers du grand âge. A l’Assemblée, les députés ont acté la création d’un véritable service public de la VAE, associant l’Etat, les collectivités territoriales et Pôle emploi. En commission, les sénateurs ont ouvert la validation des acquis de l’expérience à toute activité en lien avec une certification, afin de donner « un nouvel élan » à ce dispositif en dépassant l’actuelle approche par statut.