La Commission européenne devrait pouvoir entrer en fonction dès le 1er décembre après l’accord entre les trois principaux partis européens sur le collège des commissaires. Un accord qui illustre la place centrale de la droite européenne, prête à s’allier avec l’extrême droite.
On vous explique pourquoi les LR vont se retrouver majoritaires en commission mixte paritaire
Par François Vignal
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Depuis le second tour des législatives, tous les regards sont tournés vers l’Assemblée et sa majorité relative pour Emmanuel Macron. Les plus optimistes misent sur des majorités au cas par cas, les autres sur une situation de blocage. Mais ce nouveau paysage politique de l’Assemblée aura une autre conséquence. Il jouera sur la composition, et surtout l’équilibre, des CMP. C’est un peu le double effet Kiss Cool des législatives.
Derrière ce doux acronyme, se cachent les commissions mixtes paritaires. Quand députés et sénateurs votent deux versions différentes d’un même projet ou proposition de loi, c’est là que 7 députés et 7 sénateurs, rassemblés à huis clos, se retrouvent à l’Assemblée ou au Sénat et tentent de trouver un texte commun, un compromis. Ou pas.
Composition des commissions mixtes paritaires en fonction du poids des groupes politiques
La composition des CMP se fait en fonction du poids des groupes de chaque assemblée, en respectant, dans la mesure du possible, les proportions. Habituellement, forte de sa majorité absolue, la majorité présidentielle arrivait en force dans ce cénacle parlementaire, fruit du bicamérisme. Mais ça, c’était dans le monde d’avant législatives 2022. Car dans les futures CMP, la majorité d’Emmanuel Macron pourra se retrouver en minorité.
Explications : au Sénat, la majorité sénatoriale dispose de 4 places en CMP (3 LR, 1 Union centriste), l’opposition de 3 places (2 PS, 1 LREM). Ça ne changera pas. A l’Assemblée, le règlement (alinéa 3 de l’article 111 pour être précis) dit que « la désignation des représentants de l’Assemblée dans les commissions mixtes paritaires s’efforce de reproduire la configuration politique de celle‑ci ». Proportionnellement, Ensemble (Renaissance, Modem, Horizons) devrait logiquement se retrouver avec 3 députés en CMP, contre 4 pour les oppositions. Le rapport est inversé. Il y aura a priori 1 député pour le RN, 2 pour la Nupes (1,8 arrondi à 2) et 1 député LR (0,75 arrondi à 1). 7 suppléants, en cas d’absence des titulaires, sont aussi désignés. Chaque groupe politique doit au moins être représenté avec un titulaire ou un suppléant.
Concrètement, lors des CMP, les députés et sénateurs LR/centristes devraient donc être au total au nombre de 5 (4 sénateurs et 1 député), contre 4 parlementaires de la majorité présidentielle (3 députés + 1 sénateur). Ce qui n’a pas échappé aux membres de la Haute assemblée.
« En Marche n’aura plus de majorité dans les CMP »
« En CMP, le groupe le plus fort risque d’être le groupe LR. On sera majoritaire au Sénat et on aura un poste à l’Assemblée, et les autres seront divisés. Ça veut dire qu’il faudra écouter les LR, le Sénat. Le Parlement peut reprendre tous son poids, sans le gouvernement », souligne le sénateur LR Jérôme Bascher, qui ajoute :
La CMP pourra être conclusive contre l’avis du gouvernement, avec un texte qui ne ressemblera pas à celui du gouvernement.
« En Marche n’aura plus de majorité dans les CMP. Le texte qui sortira de la CMP ne sera pas forcément celui que souhaite le gouvernement », confirme Catherine Deroche, présidente LR de la commission des affaires sociales du Sénat. Preuve de l’importance du sujet, « Bruno Retailleau, président du groupe LR du Sénat, l’a évoqué en réunion de groupe, et le président du Sénat, Gérard Larcher, l’a évoqué aussi. Bruno Retailleau a dit qu’on allait se pencher sur les CMP, car leur fonctionnement est bouleversé par le nombre de députés attribué à chaque groupe », confie la sénatrice du Maine-et-Loire. « La configuration où la majorité de l’Assemblée est moins forte va amener des CMP où les discussions seront, non pas plus âpres, mais nous permettant peut-être de faire entendre notre voix plus facilement », du moins « mathématiquement », espère Catherine Deroche.
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La majorité sénatoriale ne compte pas, néanmoins, utiliser à l’excès cette position de force. C’est ce qu’assure Sophie Primas, présidente LR de la commission des affaires économiques. « Les LR/UDI auront en effet 5 sièges en CMP. Mais je dirais plutôt que c’est une formidable occasion de travailler avec nous pour trouver des accords. D’autant qu’au Sénat, comme nous travaillons avec les autres formations en amont, nous avons des positions parfois communes avec nos collègues d’autres groupes. Nous n’avons pas du tout l’intention de bloquer le pays ! » assure la sénatrice LR des Yvelines.
Depuis 5 ans, 78 % des textes ont été adoptés suite à un accord entre Sénat et Assemblée
Depuis 5 ans, sénateurs et députés se sont, en réalité, déjà entendus sur de nombreux textes, loin de l’image d’opposition voire de grandes tensions, comme sur la réforme constitutionnelle ou l’affaire Benalla. Un chiffre le démontre : durant le premier quinquennat d’Emmanuel Macron, 78 % des textes ont été adoptés suite à un accord entre Sénat et Assemblée. Dans le détail, 42 % des textes (soit 104) ont été adoptés après un accord CMP, 26 % après la navette entre Sénat et Assemblée et 22 % après la lecture définitive par l’Assemblée, c’est-à-dire sans accord.
« J’ai eu pas mal de CMP conclusives, comme sur les Harkis ou la protection de l’enfance », illustre Catherine Deroche. « On sera dans le même état d’esprit. Quand les choses vont bien, on les vote. On essaiera de mettre des marqueurs qui nous conviennent et d’améliorer les textes. Mais l’idée, ce n’est pas de bloquer pour bloquer », affirme aussi la présidente de la commission des affaires sociales, qui entend être constructive.
Que se passe-t-il en cas de CMP conclusive contre l’avis du gouvernement ?
Dans le cas où un désaccord persiste et que la droite impose néanmoins sa version d’un projet de loi en CMP, que se passera-t-il ensuite ? Habituellement, suite à une CMP conclusive, chaque chambre examine et adopte la lecture des conclusions de la CMP. Mais ici, il s’agira de CMP conclusive contre l’avis des marcheurs.
Après la CMP, le gouvernement peut encore tenter de modifier le texte. Dans les faits, il est même pratiquement le seul à pouvoir redéposer un amendement. Ou plus exactement, « aucun amendement n’est recevable sauf accord du gouvernement », stipule l’article 45 de la Constitution. Autre règle : celle de l’entonnoir, qui veut que les amendements doivent être en relation directe avec une disposition restant en discussion. Et seuls restent en discussion les articles non conformes, c’est-à-dire qui n’ont pas fait l’objet d’un accord.
Selon la procédure parlementaire, ce sont les députés qui ont le dernier mot. Mais le gouvernement butera ici sur le problème de départ : sa majorité relative, qui l’obligera de trouver des accords avec des députés d’opposition. Si la droite sénatoriale tient à défendre certains points, elle pourra, à condition d’une bonne coordination, être relayée par les députés LR. C’est la raison pour laquelle la droite en général, et le Sénat en particulier, pourront peser de tous leurs poids à l’avenir. On comprend pourquoi un ministre, juste avant les législatives, confiait que « s’il y a une majorité relative, on devra travailler plus avec le Sénat ». La majorité présidentielle n’aura, dans bien des cas, tout simplement pas le choix.
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