Kaboul est tombée aux mains des talibans, dimanche 15 août. Les images d’Afghans courant au côté d’un avion de transport militaire américain pour fuir les talibans illustrent la débâcle et la panique. Lundi soir, Emmanuel Macron a déclaré vouloir « mettre en sécurité nos compatriotes, qui doivent tous quitter le pays, ainsi que les Afghans qui ont travaillé pour la France ».
Mais le chef de l'Etat a également dit vouloir porter une initiative européenne pour « anticiper et nous protéger contre des flux migratoires irréguliers importants » venus d’Afghanistan. Des propos rapidement condamnés, notamment par le lanceur d’alerte Edward Snowden qui s’est fendu d’un tweet sans équivoque : « Emmanuel Le Pen ! »
« Un peu d'humanité »
Devant la montée de la polémique, Emmanuel Macron a tenté de dénoncer un détournement de ces propos assurant que « la France fait et continuera de faire son devoir pour protéger celles et ceux qui sont les plus menacés ».
Sa déclaration a heurté les parlementaires de gauche mais pas seulement. Vice-président de la commission des Affaires étrangères, Cédric Perrin (LR) appelle à « un peu d’humanité » dans la mesure « où l’on est un peu responsable de ce qui est en train de se passer ». Le sénateur de Belfort y voit clairement une stratégie politicienne à l’approche de la présidentielle : « Emmanuel Macron est en campagne », lâche-t-il.
« Éviter une vague migratoire déstabilisatrice »
Au sein de la droite sénatoriale, les messages se sont davantage centrés autour de la nécessité de rapatrier les Afghanes et les Afghans ayant travaillé aux côtés des troupes françaises. « L’Europe mais aussi la France devront faire preuve d’une fermeté qui leur a souvent manqué pour éviter une vague migratoire déstabilisatrice », a jugé toutefois le président du groupe LR au Sénat, Bruno Retailleau.
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Engagée sur le sort des traducteurs afghans, la sénatrice centriste Nathalie Goulet rappelle que la France n’a toujours pas rapatrié ses anciens employés depuis son retrait : « Cela fait quatre ans qu’à toutes les occasions nous demandons au gouvernement de prendre des mesures ». La situation des ex-interprètes de l’armée française, menacés par les talibans pour leur engagement, a fait l’objet d’un livre enquête : « Traducteurs afghans : une trahison française » (Ed. Boîte à bulles, 2020) par Brice Andlauer, Quentin Müller et Pierre Thyss.
Le ministère des Armées s’active actuellement pour identifier des personnes ayant travaillé pour les forces militaires françaises. Le cabinet de la ministre des Armées a d’ailleurs contacté Nathalie Goulet pour obtenir les noms de correspondants afghans à rapatrier d’urgence, informe-t-elle.
« Les mauvaises annonces, le mauvais positionnement »
La sénatrice de l’Orne a, elle aussi, peu goûté la déclaration d’Emmanuel Macron. « J’ai trouvé ça un peu choquant, c’est le mauvais angle, les mauvaises annonces, le mauvais positionnement », tranche-t-elle. Nathalie Goulet reçoit, en ce moment, des appels à l’aide de familles afghanes. Comme cette femme, ancienne cuisinière pour l’armée française, qui cherche à être rapatriée. Deux de ses enfants ont été assassinés par les talibans, précise la sénatrice. C'était avant la prise de Kaboul.
Au-delà de cet aspect, Nathalie Goulet reste effarée par cet événement qui fera date :
« La communauté internationale est morte avec la prise de Kaboul »
« Qu’ont fait les organisations internationales pendant les dix dernières années ? Quelle est la valeur du Conseil de sécurité de l’ONU ? C’est une défaite sans appel et c’est d’abord la défaite de la communauté internationale », tance la sénatrice.
Vice-président du groupe d’amitié France Afghanistan, Rachid Temal (PS), pointe également « un échec monumental de la communauté internationale ». L’effondrement de ce pays en seulement quelques semaines doit « nous interroger sur nos politiques d’interventions militaires ».« Il y aura un avant et un après prise de Kaboul », assure Rachid Temal en insistant sur « le tournant géopolitique majeur » que constitue le retour au pouvoir des talibans.
Concernant l’allocution du président de la République, le sénateur socialiste juge que « ce qui se joue actuellement n’est pas le nombre d’Afghans qui vont arriver en France mais la protection de celles et ceux qui vont rester ».
« Emmanuel Macron a fait une opération de politique »
« Emmanuel Macron a fait une opération de politique. Toutes les frontières sont fermées et les talibans n’ont pas l’intention de faire sortir les Afghans », soulève Rachid Temal. Évoquer des « flux migratoires irréguliers » ne correspond pas à la réalité, selon lui, invitant quiconque à prendre une carte du monde pour se rendre compte des distances, « il n’y a pas d’images de gens en train de prendre la route ».
Ancienne ministre des droits des femmes, Laurence Rossignol (PS), s’est, elle aussi, émue de cette déclaration : « Qualifier de « flux migratoire irrégulier » des êtres humains qui fuient le fascisme des Talibans, des adolescentes futures victimes de viol et de mariage forcé, des femmes journalistes, juges ou maires, demain démises de leurs fonctions car femmes… quel cynisme. Quelle honte », a réagi la sénatrice.
« Une intervention digne d’un mauvais président de droite »
« Elle est loin la promesse humaniste de 2017, cette intervention était digne d’un mauvais président de droite », cingle pour sa part le sénateur PS de Paris, Rémi Féraud.
La France a pour l’heure confirmé l’envoi de deux appareils militaires et des forces spéciales pour procéder à des opérations de rapatriement. Le premier avion évacuant des Français et certains Afghans de Kaboul est arrivé mardi matin aux Émirats arabes unis. Les réunions se poursuivent entre pays européens concernant notamment la répartition de l’accueil des Afghans ayant travaillé pour la délégation européenne.