Affaire Benalla : les révélations explosives de Patrick Strzoda sur les passeports diplomatiques

Voici les principales informations à retenir de la nouvelle audition, ce 16 janvier, de Patrick Strzoda, directeur de cabinet du président de la République, devant les sénateurs de la commission des Lois du Sénat. Il a notamment révélé que l’ancien chargé de mission, Alexandre Benalla, avait utilisé une vingtaine de fois ses passeports diplomatiques, à une période où l’intéressé n’exerçait plus ses fonctions. Durant son audition en septembre Alexandre Benalla avait affirmé que ces documents se trouvaient encore dans son bureau.

Autre information majeure : Patrick Strzoda a également déclaré qu’Alexandre Benalla avait obtenu un passeport en usurpant un en-tête du chef de cabinet. « Pour obtenir ce passeport, M. Benalla a adressé au ministère de l'Intérieur une note dactylographiée à en-tête du chef de cabinet, une note non signée de façon manuscrite », a indiqué Patrick Strzoda, en précisant qu'il « soupçonnait une falsification » et que la justice avait été saisie au titre de l’article 40 du code de procédure pénale.

Philippe Bas : « Nous ne pouvions laisser sans réponse les questions soulevées par ces nouvelles informations »

D’emblée, le président de la commission d’enquête a indiqué que les auditions qui reprennent cette semaine et la semaine prochaine seront « assez courtes » car « il ne s’agit pas de refaire les auditions qui ont déjà eu lieu ». La commission d’enquête du Sénat souhaite prendre en compte dans son rapport « les rebondissements survenus en fin d’année dernière ». « M. Benalla a utilisé un passeport diplomatique pour des déplacements alors qu’il avait été mis fin à ses fonctions à la présidence de la République » a donc relevé Philippe Bas en rappelant les révélations publiées par Mediapart et Le Monde fin 2018. Le sénateur de la Manche rappelle également l’article du Canard Enchaîné selon lequel un titre officiel et un téléphone crypté ont été remis il y a quelques jours seulement par M. Benalla, alors qu’ils n’avaient pas été réclamés par la présidence de la République.

Enfin, Philippe Bas évoque « un contrat » qui aurait été passé entre Vincent Crase et un oligarque russe à une date ou il était encore en charge d’encadrer les réservistes de la gendarmerie participant à la sécurité du palais de l’Élysée. Une information que Vincent Crase a démentie par courrier adressé à la commission d’enquête.

« Nous ne pouvions laisser sans réponse les questions soulevées par ces nouvelles informations » (…) Nous avons, en conscience, le droit d’être préoccupé des raisons pour lesquels des chefs d’État étrangers et des hommes d’affaires eux aussi étrangers paraissent porter un intérêt aussi extraordinaire à un ancien collaborateur du président de la République pourtant d’un rang apparemment modeste » a expliqué le président Bas.

Le président de la commission d’enquête a bien précisé qu’il faisait la distinction entre le contrôle parlementaire et les poursuites pénales », « deux missions constitutionnelles distinctes ». « Nous voulons connaître les initiatives qui ont été prises par la présidence de la République, par le ministre des affaires étrangères, par le ministre de l’Intérieur pour (…) retirer à l’intéressé les instruments qui lui avait été confiés pour l’exercice de ses fonctions ou pour l’empêcher de s’en servir » a-t-il détaillé en guise d’introduction.

Patrick Strzoda : « Je vais devoir veiller à ce que mes réponses ne perturbent pas les investigations »

Après avoir prêté serment, Patrick Strzoda a indiqué avoir reçu six questions de la part de la commission d’enquête le 28 décembre dernier. Deux de ces six questions lui ont d’ailleurs déjà été posées par les enquêteurs en charge du volet pénal de l’affaire pénale. « Les enquêteurs m’ont demandé de leur expliquer les démarches effectuées par l’Élysée pour s’assurer après son licenciement le 1^er août 2018 de la restitution par M.Benalla des passeports diplomatiques (…) ils m’ont également demandé si ces titres étaient restés dans le bureau de l’Élysée après son licenciement, s’il avait été les chercher ou s’ils lui ont été remis » a-t-il déclaré pour expliquer qu’il ne pouvait pas répondre à ces deux questions. « Je vais devoir veiller à ce que mes réponses ne perturbent pas les investigations » justifie-t-il

Patrick Strzoda révèle aussi qu’Alexandre Benalla serait entendu dans « les prochains jours », « les prochaines heures » par le procureur de la République.

Téléphone crypté de Benalla : « Il y a eu des dysfonctionnements et un manque de réactivité » affirme Strzoda, qui a « déclenché une enquête interne »

Dès la première question, la co-rapportrice de la commission d’enquête, la sénatrice LR Muriel Jourda, interroge Patrick Strzoda sur les dernières révélations du Canard enchaîné sur le téléphone crypté Teorem, de la société Thales, que l’Élysée a laissé à l’ancien chargé de mission de l’Élysée.

Le directeur de cabinet du président de la République assure qu’il a appris la nouvelle en lisant l’hebdomadaire hier soir. Ce téléphone crypté, « très répandu dans l’appareil d’État, avec 4.600 terminaux », n’est « pas classé secret-défense ». Il y a « 30 combinés à la présidence », dont un « à la chefferie ». Il a été « affecté à M. Benalla, compte tenu de la nature de ses fonctions, il était notamment chargé d’adapter le dispositif dans le cadre des déplacements du Président », en lien avec les services de sécurité.

« Au moment de son licenciement, Alexandre Benalla aurait dû rendre son combiné » comme « tout salarié ». « Cette obligation n’a pas été respectée » affirme-t-il.

C’est seulement « le 4 octobre, lors d’un inventaire périodique, (…) qu’il a été constaté que le combiné affecté à Alexandre Benalla était manquant » assure le directeur de cabinet, qui ajoute : « Et entre-temps, on a pu s’assurer que les enquêteurs ne l’avaient pas pris ».

Dès « le 4 octobre, le service gestionnaire a immédiatement rendu le matériel inutilisable ». En exploitant « les journaux de connexion du poste pour voir s’il avait été utilisé », le responsable du service dédié a pu constater que « cet appareil n’avait plus été utilisé depuis le 1^er juillet » assure Patrick Strzoda.

En apprenant par l’avocat d’Alexandre Benalla que le téléphone « a été retrouvé dans les affaires de M. Benalla », il annonce avoir lancé une enquête interne :

« Quand j’ai appris ça, j’ai déclenché une enquête interne, c’est-à-dire hier soir, pour savoir pourquoi les chefs de service n’ont pas enclenché de démarches (…) au cours de l’été pour demander à Alexandre Benalla de restituer le matériel ».

« Il y a eu des dysfonctionnements et un manque de réactivité. J’en tirerai les conséquences » ajoute Patrick Strzoda.

Patrick Strzoda : « Monsieur Benalla a utilisé presque une vingtaine de fois ses passeports entre le 1^er août 2018 et le 31 décembre ».

A la question de Muriel Jourda, co-rapporteuse de la commission d’enquête sur l’affaire Benalla, de savoir qui s’est assuré de la restitution de tous les objets « confiés à Monsieur Benalla pour l’exercice de sa mission », Patrick Strzoda  répond : « [Alexandre Benalla] a été licencié le 1^er août. Son bureau a fait l’objet d’une perquisition le 26 juillet (…) Le 2 août (…) il a été procédé à un inventaire de tout ce qui a été dans le bureau de Monsieur Benalla (…) Tous les objets, qui étaient dans le bureau, ont été inventoriés et cet inventaire, je le tiens à votre disposition. Les passeports n’y étaient pas. »

Et il ajoute : « Monsieur Benalla prétend que ces passeports étaient restés à l’Élysée et qu’ils lui auraient été remis par un agent de l’Élysée (…) Je dis haut et fort ici que les mesures qui ont été prises (…) et pour lesquelles il existe des notes de service, des courriers (…) me permettent d’affirmer que les passeports n’étaient pas à l’Élysée. Mais surtout (…) nous savons aujourd’hui que Monsieur Benalla a utilisé presque une vingtaine de fois ses passeports entre le 1^er août 2018 et le 31 décembre. »

Le directeur de cabinet du président de la République a également expliqué qu’à partir du 20 juillet « l’accès à tous les services de la présidence de la République » a été interdit à Alexandre Benalla : « Je peux affirmer que Monsieur Benalla n’est jamais venu à l’Élysée après la date de son licenciement. » 

Troisième demande d'un passeport diplomatique : « On est confronté à un comportement fautif d’un individu », déclare Patrick Strzoda

Patrick Strzoda explique qu’en sa qualité de directeur de cabinet du président de la République, il « n’intervient à aucun stade dans la délivrance de passeports diplomatiques ». Selon lui, Alexandre Benalla a fait trois demandes de passeports diplomatiques (mai 2017, septembre 2017 et mai 2018). Les deux premières fois, sa demande a transité par le service du protocole à l’Élysée, qui l’a ensuite transmise au ministère des Affaires étrangères.

La troisième était une « initiative personnelle de l’intéressé », a expliqué Patrick Strzoda, précisant que la voie hiérarchique a été court-circuitée. « Cette demande il l’a adressée directement, je dis bien directement, sans passer par le service du protocole [...] La demande a été faite directement au ministère des Affaires étrangères », a insisté Patrick Strzoda. « On est confronté à un comportement fautif d’un individu qui a profité de failles du système. Si la hiérarchie avait eu connaissance de cette demande bien évidemment elle s’y serait opposée », a-t-il ajouté.

Ces révélations ont surpris le rapporteur Jean-Pierre Sueur. « Je m'étonne que vous appreniez le 16 janvier qu'un individu aussi connu ait franchi 20 frontières sans que personne ne s'en rende compte. Existe-t-il un minimum de service de renseignement ? »

Le sénateur socialiste s’interroge aussi sur l’émission d’un passeport de service. « Quelle utilité pouvait-il y avoir pour ce membre des services de l’Élysée d’avoir un passeport de service dès lors qu’il avait en plus deux passeports diplomatiques ? Il y a là peut-être quelque chose d’un peu inflationniste, M. le directeur ».

Patrick Strzoda révèle que Benalla aurait falsifié un document pour obtenir un passeport de service

Coup de théâtre lors de l’audition de Patrick Strzoda. Le directeur de cabinet du président de la République affirme qu’Alexandre Benalla a falsifié un document pour obtenir un passeport de service le 28 juin dernier.

Le co-rapporteur socialiste de la commission d’enquête du Sénat, Jean-Pierre Sueur ne comprenait déjà pas  comment Alexandre Benalla avait pu obtenir le renouvellement de son passeport diplomatique. Il est resté effaré des moyens utilisés par Alexandre Benalla pour obtenir un deuxième passeport de service le 28 juin dernier (Alexandre Benalla en détenait déjà un au titre de ces anciennes fonctions de chef de cabinet au sein de la délégation interministérielle à l’égalité des chances des Français de l’Outre-mer en 2016).

Le directeur de cabinet du président de la République a fait, au sujet de la délivrance du deuxième passeport, des révélations. « Votre question me permet d’apporter un nouvel élément qui vous permettra de cerner la personnalité de M. Benalla » commence-t-il. « Pour obtenir ce deuxième passeport, M. Benalla a adressé au ministère de l’Intérieur une note dactylographiée à en tête du chef de cabinet, non signée, de façon manuscrite ». Premier silence dans les rangs des sénateurs.

Patrick Strzoda poursuit : « Quand on a vu ce document, bien évidemment on a demandé au chef de cabinet si c’était lui qui avait adressé ce document au ministère de l’Intérieur. Il n’est pas l’auteur de cette note. Donc, soupçonnant une falsification faite par M. Benalla, nous avons signalé ce fait au procureur de la République par l’article 40 (du code de la procédure pénale).

« À quelle date ? » Interroge Jean-Pierre Sueur. « Ce matin », répond le directeur de cabinet. Plus tard, il évoquera la date du 9 janvier.

Une réponse qui a interpellé Jean-Pierre Sueur. En effet, Patrick Strzoda affirme avoir pris connaissance de ce document falsifié « au courant de l’automne ». « À ce moment-là, j’ai considéré que le problème était réglé car les passeports avaient été invalidés (…) Récemment, au vu de l’enquête préliminaire, sur la base d’abus de confiance et d’utilisation frauduleuse des titres que j’ai souhaité qu’on verse cet élément supplémentaire au dossier parce qu’on est confronté à un Monsieur qui visiblement utilise régulièrement des faux pour obtenir un certain nombre de titres officiels » accuse-t-il

Le deuxième passeport de service a été invalidé le 31 juillet 2018 par le ministère de l’Intérieur. Le 21 août 2018, Patrick Strzoda a demandé par courrier à Alexandre Benalla de restituer ce passeport. « N’ayant pas obtenu de réponse de sa part, j’ai adressé un courrier au ministère de l’Intérieur le 10 octobre pour lui demander de poursuivre toutes les démarches pour récupérer ces passeports. Le passeport a été remis au ministère de l’Intérieur le 11 janvier » a-t-il signalé. Alexandre Benalla détient toujours l' autre passeport de service qu’il a obtenu lors de son passage à la délégation interministérielle à l’égalité des chances. « Il devrait être restitué dans les jours qui viennent » veut croire Patrick Strzoda.

Patrick Strzoda : « Si vous retenez de mes propos que la maison n’est pas tenue, c’est faux ! »

Face à Jean-Pierre Sueur, qui lui reproche de « ne pas savoir grand-chose », Patrick Strzoda s’emporte. Il n’accepte pas qu’on lui dise que « la maison n’est pas tenue » et rappelle qu’il « a consacré beaucoup d’heures à préparer cet entretien. »

Il précise qu’il n’existe pas de reporting automatique au franchissement des frontières. Ainsi, il a été informé des déplacements de M. Benalla « par la presse », puisqu’il n’avait « pas d’autre moyen de le savoir. »

Patrick Strzoda rappelle qu’il « n’est pas dans ses compétences de voir comment sont gérés les passeports. » Il fait un point pour préciser sa fonction et ses missions en tant que directeur de cabinet et conclut : « Les tribulations de M. Benalla ne sont pas dans mes priorités. Il n’est plus dans mes radars depuis le 1^er août. »

Patrick Strzoda précise que « la traçabilité des passeports se fait au moment où l’on franchit les frontières, souvent à l’arrivée. » Ainsi, il reporte la responsabilité du contrôle sur les pays de destination d’Alexandre Benalla. Il considère que « les démarches côté français ont été faites », mais reconnaît qu’« on ne peut pas utiliser la force pour aller chercher ce document. »

Patrick Strzoda rappelle avoir donné des instructions au personnel diplomatique, précisant « qu’il n’y a pas de diplomatie parallèle. » Il a rappelé que « la politique étrangère de la France est mise en œuvre par le ministère des Affaires étrangères et les ambassadeurs. » Il a été catégorique : « On n’a pas besoin d’émissaires. »

Pour le réveillon, « j’ai regardé un épisode de Columbo »

Au regard « de rumeurs de presse et de questions émanant de journalistes » sur « d’éventuels missions personnelles » d’Alexandre Benalla « comme consultant, alors qu’il était en fonction à l’Elysée » Patrick Strzoda affirme avoir écrit à l’intéressé, n’ayant « aucune information de ce type ». L’ex-chargé de mission lui a répondu le 31 décembre 2018 n’avoir « jamais exercé de fonctions privées » ni « reçu de rémunération » pendant son travail à l’Elysée.

Le chef de cabinet se souvient au passage sa soirée du réveillon, après les vœux d’Emmanuel Macron. Cherchait-il à apitoyer les sénateurs ou simplement rappeler l’engagement qu’impose sa fonction ? Toujours est-il qu’il raconte sa soirée : « Je quitte mon bureau à 22h30. Je suis rentré chez moi. J’ai regardé un épisode de Columbo. Et j’ai dégusté un Dalmore 1962, grand cru ». Un whisky d’exception, qui peut coûter très cher.

« Et le 1^er janvier, je suis rentré au bureau envoyer un courrier au président de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique, lui demandant de vérifier les affirmations de M. Benalla » explique le directeur de cabinet. Il n’a pas encore reçu la réponse.