Si plus de 9 % des Français ont aujourd’hui passé la barre des 75 ans, ils seront 16 % d’ici 2 060. Cela représentera 24 millions de personnes âgées dont environ 200 000 centenaires. Dans ce contexte, comment donner un nouveau sens à l’allongement de la vie ? Françoise Forette, professeure en gériatrie à l’Université Paris-Descartes et fondatrice de l’International Longevity Centre en France ne manque pas de porter des précisions à ces chiffres : dans cette frange des plus de 75 ans, seuls 8 % sont atteints de dépendance, ce qui signifie que 92 % de cette population est autonome. Il y a donc une balance à prendre en compte : « La dépendance à chaque âge diminue, parce qu’il y a eu des progrès socio-économiques et médicaux qui font que les personnes sont moins dépendantes. » et il est délicat de faire des projections quant à leur nombre. De quoi remettre en question l’image qu’on se fait des « vieux ».
« La dépendance à chaque âge diminue, parce qu’il y a eu des progrès socio-économiques et médicaux qui font que les personnes sont moins dépendantes. »
Comment faire face à l'augmentation de la part des personnes âgées dans la population ? #UMED
Pascale Boistard, secrétaire d’État en charge des personnes âgées entre 2016 et 2017 rappelle que si une loi d’adaptation de la société au vieillissement a été adoptée en 2015, cette adaptation se fait « petit à petit, et souvent sous le coup d’actualités sordides, comme la canicule de 2003 » qui nous a rappelé à l’ordre quant à cette part fragile de notre société. Mais si le législateur tente de s’adapter, qu’en est-il de la vision globale qu’on se fait des personnes âgées aujourd’hui ? Sont-ils intégrés à part entière dans la société ?
La révolution de la longévité
Pour le sociologue spécialisé dans le vieillissement Serge Guérin, « un mot est important, c’est la notion de longévité. Quand on parle de société du vieillissement, les vieux c’est toujours les autres, ce n’est jamais soi. En revanche, la longévité concerne tout le monde. ». C’est un fait, même un enfant sait qu’il vivra longtemps. Quand l’anticipation du vieillissement devient l’anticipation de la vie dans sa globalité, le rapport au vieillissement change : « Avec la longévité, on implique tout le monde, à tous les âges, quand je nais je suis déjà impliqué dans cette société de longévité. ». Force est de constater qu’actuellement, la majorité des regards posés sur « les vieux » ne correspondent pas à celui du sociologue. Serge Guérin donne un exemple parlant :
« Au collège quand on demande aux jeunes ce qu’ils veulent faire, c’est « m’occuper de petits enfants », personne ne dit « je veux m’occuper de gens âgés. ».
Société du vieillissement : "Les vieux c'est toujours les autres, en revanche la longévité c'est tout le monde" #UMED
Ce changement de regard commencerait-il tout simplement par une éducation différente ? C’est dans cette optique que le maire de Souvigny-de-Touraine s’est lancé en 2011 un projet de lieu de vie commun pour personnes âgées partagé avec une école.
Une question d’éducation ?
À Souvigny-de-Touraine, ce village d’environ 400 habitants, retraités autonomes et écoliers en primaire partagent leur quotidien. Une structure d’accueil pour personnes âgées est construite sur le même terrain que l’école. Dans cet établissement hors norme, la grande baie vitrée de la salle commune est ouverte sur la cour de récréation des enfants. Un lieu qui nous invite à penser différemment les maisons de retraite et donc le vieillissement. Françoise Forette félicite le projet : « C’est une innovation importante. Une structure qui lutte contre l’isolement avec de jeunes enfants, c’est excellent pour les personnes âgées ». Le contact avec les enfants permet une transmission d’expériences de vie qui redonne du sens.
"Le pire pour les personnes âgées, c'est l'isolement" : Françoise Forette #UMED
En dehors de l’apport positif pour les séniors, c’est la solidarité entre générations qui est favorisée. Le changement de regard nécessaire et la prise de conscience politique se préparent pendant l’enfance. C’est ce que Serge Guérin soutient. Il insiste sur le regard posé sur les métiers en rapport avec les personnes âgées : « on ne changera pas si on ne commence pas par changer de regard et par valoriser les métiers les plus essentiels ». Dès le plus jeune âge, on peut donc donner envie aux enfants de se diriger vers ces métiers, peu valorisés aujourd’hui. Philippe Gutton, psychanaliste et président de l’association OLD'UP qui a pour but de « donner du sens et de l'utilité à l'allongement de la vie », se dit « très sensible à la dimension intergénérationnelle de ce projet » car pour lui l’enfant qui grandit dans cette école « ne sera pas l’adulte d’aujourd’hui, il va avoir évolué quant aux questions que nous sommes en train de nous poser, et les aborder après toute une longue histoire qu’il a reconstruit (...) Dans leur fonctionnement psychique il y a une évolution, ils n’auront plus une conception de la vie telle qu’ils auraient pu l’avoir s’ils n’étaient pas dans ce type d’école ».
L'enfant qui évoluera dans ce type d'école « ne sera pas l’adulte d’aujourd’hui, il va avoir évolué quant aux questions que nous sommes en train de nous poser » #UMED
« Le maintien à domicile n’est pas synonyme d’isolement »
Presque paradoxalement, il ne faut pour autant pas oublier que « 80 % des séniors interrogés veulent rester le plus longtemps possible chez eux », comme le précise Pascale Boistard, et qu’à ce niveau ce sont « des politiques publiques qu’il faut faire vivre, et s’y intéresser comme un projet de société » et permettre à ces personnes de ne pas être « maintenues » à domicile, mais « accompagnées », en favorisant par exemple les activités culturelles afin de rompre avec l’isolement. Les personnes âgées à domicile posent aussi la question des « aidants ».
« 80 % des séniors interrogés veulent rester le plus longtemps possible chez eux. Ce sont des politiques publiques qu’il faut faire vivre, et s’y intéresser comme un projet de société »
Comme le sociologue le précise, autour des personnes âgées gravitent des professionnels mais surtout des « aidants », ces « millions de personnes dont une partie accompagne des proches très âgés au quotidien et gratuitement », sans qui « le système s’écroule ». Il pointe ici la problématique de la solidarité nationale face au vieillissement de la population, qui ne semble pas évoluer au même rythme que la croissance du nombre de personnes âgées dans la société. Même si Pascale Boistard rappelle qu’aujourd’hui « la loi reconnait les aidants », il semble qu’il faudrait aller plus loin. Comme Françoise Forette le rappelle, « le pire pour les personnes âgées, c’est l’isolement ». Il s’agit donc de trouver des solutions qui permettraient d’intégrer de manière plus concrète les séniors dans notre société.
N’oublions pas que l’expérience de Souvigny-de-Touraine est unique en France. Mais lorsqu’on demande aux invités si elle serait transposable, ils répondent tous « oui ». Pas forcément via l’école, d’après Françoise Forette qui précise qu’un grand nombre d’innovations sont déjà à l’œuvre. Ce qui est difficile, c’est de « planter ses crocs dans un projet », tant les normes administratives sont parfois contraignantes. Constat que ne dément pas Pascale Boistard, qui défend l’idée qu’« il faut laisser une grande liberté à des projets qui s’adaptent au désir des uns et des autres. » En définitive, il y a donc encore beaucoup à faire pour changer notre regard, mais élargir le champ des possibles serait donc la clé pour « respecter ces personnes qui sont des citoyens et citoyennes à part entière même si elles sont âgées »
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