Réforme des retraites : la comparaison avec nos voisins européens est-elle pertinente ?

Réforme des retraites : la comparaison avec nos voisins européens est-elle pertinente ?

En Europe, la France fait figure d’exception avec un âge légal de départ fixé à 62 ans. Pourtant, les Français ne partent pas à la retraite bien plus tard que leurs voisins européens. La principale différence étant plutôt que les Européens partent en moyenne avant l’âge légal de départ fixé dans leur pays, mais avec une décote. Plutôt que le temps passé au travail, c’est le niveau des pensions qui se retrouve alors au cœur du débat.
Louis Mollier-Sabet

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Alors que le débat autour de la réforme des retraites bat son plein, vous avez probablement déjà vu passer ce genre de cartes, comparant les âges légaux de départ à la retraite dans différents pays européens. Le site Toute l’Europe propose une carte interactive qui permet de voir au premier coup d’œil que la France fait partie des pays ayant un âge légal de départ à la retraite les plus bas de l’Union Européenne, avec la Suède et la Slovaquie.

Carte des âges légaux de départ à la retraite dans l'Union européenne
Source : https://www.touteleurope.eu/economie-et-social/l-age-legal-de-depart-a-la-retraite-dans-l-union-europeenne/

C’est d’ailleurs l’un des arguments des partisans de la réforme des retraites, en témoigne cet échange entre les économistes Elie Cohen, macroéconomiste spécialiste des politiques industrielles et de la mondialisation, et Michaël Zemmour, économiste de la protection sociale, dans l’émission Quotidien (TMC).

Elie Cohen, qui avait soutenu Emmanuel Macron en 2017, explique en montrant la carte des âges légaux de départ en Europe, que « n’importe qui peut constater que ces chiffres montrent que la France est une espèce d’oasis au milieu des pays européens », et justifie la nécessité de la réforme par un « déficit démographique. » Une évidence, donc. Seulement, dans la séquence, Michaël Zemmour, hostile à une réforme « ressentie comme injuste » car elle « ne tape que sur l’âge de départ », tente d’expliquer que cette carte « ne compare pas la même chose. » Ce qu’il voulait dire, explique-t-il a posteriori, c’est que l’âge de 67 ans qui figure sur la carte en Allemagne correspond plus à notre âge de départ sans décote, c’est-à-dire 67 ans : « L’âge de 67 ans, en Allemagne, c’est un peu notre âge de taux plein garanti, vous avez la possibilité de partir avant, avec une décote. »

« On brandit le 67 ans en Allemagne, mais en moyenne, les Allemands partent à 65 ans »

C’est ce qu’explique aussi Bruno Palier, directeur de recherche CNRS en science politique à Sciences Po, et spécialiste des politiques sociales en Europe : « En France, il y a deux âges de départ à la retraite. Celui que l’on met toujours en avant, 62, c’est l’âge à partir duquel vous avez le droit de partir. Si vous décidez de partir avant, vous n’avez pas une carrière complète, donc pas une retraite complète, puisque c’est proportionnel. Mais en plus de ça vous avez une sanction, qui s’appelle la décote, de 1,25 % par trimestre manquant, soit 5 % par année manquante. Ça n’est qu’à partir de 67 ans que, même si vous n’avez pas tous vos trimestres, ce qui est le cas de beaucoup de femmes, vous n’aurez plus la décote. Dans les autres pays, c’est cet âge-là qui est mis en avant. »

Ainsi, il vaudrait mieux comparer les âges effectifs de départ à la retraite, c’est-à-dire l’âge moyen à partir duquel les Européens décident de quitter le marché du travail et de liquider leurs pensions, pour savoir dans quels pays l’on part effectivement le plus tôt ou le plus tard. « Quand on brandit le 67 ans en Allemagne, on fait croire que tout le monde part à 67 ans, mais l’âge moyen de départ effectif en retraite, c’est 65 ans. De même en Suède : les fameux 65 ans, c’est un âge pivot, vous pouvez partir à 63 ans, mais avec une décote, alors que c’est une surcote – une sorte de bonification – si vous partez après 65 ans. » Avec un âge de départ effectif à 65 ans, l’Allemagne reste l’un des pays où l’on part le plus tard en Europe, explique l’auteur de l’ouvrage Réformer les retraites (Presses de Sciences Po, 2021), qui compare les différentes réformes des retraites menées en Europe.

L’âge moyen de départ à la retraite en France : 63 ans, un peu en dessous de la moyenne européenne

La carte des âges légaux de départ à la retraite est donc à compléter avec la carte des âges effectifs moyens de départ à la retraite. En Allemagne, on part en moyenne avant l’âge légal de départ alors qu’en France, on part après. Le dernier rapport du COR (p. 251) estime que l’âge effectif de départ à la retraite en France « s’établit aux alentours de 63 ans en 2021 », soit un an de plus que l’âge légal de départ actuel. Cela reste en dessous de l’Allemagne, mais dans la moyenne européenne, d’après des données de l’OCDE datant de 2020, avec 64,5 ans d’âge de départ moyen pour la France, contre une moyenne de 63,9 ans en Europe.

Le périmètre de ces données internationales est à prendre avec précaution puisque, pour le cas français, les estimations du COR semblent plus solides, comme le confirme Bruno Palier, qui estime que l’âge effectif se situe plutôt autour de 63 ans en France, soit un peu en dessous de la moyenne européenne. Force est de constater aussi, que les économies les plus développées d’Europe sont plutôt dans la fourchette haute des âges effectifs de départ, alors que ce sont les économies moins développées qui se situent en dessous de la France.

Cela étant dit, l’écart entre les 63 ans français et les 65 ans allemands est déjà moins impressionnant que l’écart d’âge légal entre 62 ans et 67 ans présenté habituellement. Michaël Zemmour ajoute qu’avec la montée en charge de la réforme dite « Touraine », qui finira de s’appliquer en 2035 en l’état, et que le gouvernement veut accélérer, « l’âge effectif moyen de départ à la retraite va progressivement passer à 64 ans en France », soit à peu près la moyenne européenne pour l’âge effectif de départ (63,9 ans au sens de la Commission européenne en 2019, d’après le COR).

Partir avant l’âge légal avec une décote : « C’est pour ça que les retraites ont beaucoup baissé en Allemagne »

D’autant plus que l’Allemagne représente la fourchette haute européenne et que ce décalage entre âge légal de départ et âge effectif s’est soldé par une baisse du niveau de vie des retraités qui partent mécaniquement plus souvent qu’en France avec des décotes : « Eux ne l’appellent pas décote, mais c’est le même mécanisme. C’est pour ça que les retraites ont beaucoup baissé en Allemagne, le taux de remplacement est moins élevé qu’en France. Si on poursuit la comparaison, on s’aperçoit aussi que la pauvreté est remontée chez les retraités en Allemagne, en Suède et en Italie, où ne permet plus de maintenir le niveau de vie des retraités. »

Dans le chapitre de son ouvrage consacré aux réformes des retraites en Europe, Bruno Palier tire cette conclusion des différentes réformes menées en Grande-Bretagne, comme en Suède ou dans les systèmes sociaux dits « bismarckiens » comme l’Allemagne ou l’Italie : « Seuls les plus aisés ou les mieux représentés syndicalement arrivent effectivement à compenser les baisses actuelles ou futures des retraites publiques par des fonds de pension individuels ou collectifs. Beaucoup d’autres se retrouvent sans capacité d’épargner pour compenser les baisses des régimes publics. En conséquence, on a commencé à voir au cours des années 2010 dans plusieurs pays (Royaume-Uni, Suède, Allemagne) un retour de la pauvreté chez certaines personnes âgées, principalement des femmes, celles en particulier qui ont des carrières incomplètes. »

Le politiste explique aussi que « face à ces tendances nouvelles », les différents gouvernements européens ont tous tenté de « mettre en place des filets de sécurité garantissant des minima de pension ‘adéquats’ », ce qui rappelle furieusement la question de la pension minimale à 1200 euros, dont le champ d’application reste pour le moment encore en question. Il n’en reste pas moins que la comparaison européenne semble montrer qu’en augmentant l’âge légal, on augmenterait certes l’âge effectif moyen de départ, mais surtout le nombre de personnes qui liquident leur pension avec décote. Au-delà de la question du temps passé à travailler qui est évidemment au cœur d’une réforme paramétrique comme celle proposée par le gouvernement, il ne faudrait donc pas oublier la question du niveau des pensions qui va avec un décalage de l’âge légal.

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