Ce week-end, Emmanuel Macron a commémoré la rafle du « Vel d’Hiv », qui a vu des milliers de policiers et gendarmes français arrêter (« rafler ») plus de 13 000 juifs, dont plus de 4000 enfants les 16 et 17 juillet 1942, pour ensuite les déporter, principalement vers les camps d’Auschwitz-Birkenau en transitant par Pithiviers, d’où le Président de la République a prononcé son discours de dimanche. Mais ce sont les mots de la présidente du groupe LFI à l’Assemblée nationale, Mathilde Panot, qui ont attiré l’attention. La députée du Val-de-Marne s’est fendue d’un tweet appelant à « ne pas oublier ces crimes, aujourd’hui plus que jamais, avec un président de la République qui rend honneur à Pétain et 89 députés RN ! »
Tweet de Mathilde Panot : « En vérité c’était assez anecdotique »
En Macronie, et même au-delà, on estime que c’est une attaque politique qui conflictualise un sujet qui n’a pas lieu d’être. « On peut considérer qu’il y a des sujets où l’on ne doit pas faire de polémiques », concède Laurent Joly, directeur de recherche au CNRS et spécialiste de l’antisémitisme durant le régime de Vichy. « Mais j’étais très surpris du temps que l’on a passé sur ce tweet, parce qu’en vérité c’était assez anecdotique », ajoute l’historien, auteur de La Rafle du Vel d’Hiv [Grasset, 2022], pour qui Mathilde Panot n’a fait « que rappeler l’ambiguïté » entretenue sur Pétain par Emmanuel Macron en 2018. Le chef de l’Etat avait en effet déclaré, à l’occasion du centenaire de la victoire de 1918, « n’occulter aucune page de l’histoire » en réaffirmant que « le maréchal Pétain a été, pendant la Première Guerre mondiale, aussi un grand soldat » tout en ayant « conduit à des choix funestes durant la Deuxième. »
En faisant référence à ces propos le jour de la commémoration de la rafle du Vel d’Hiv, certains, jusque dans la Nupes, estiment que Mathilde Panot a franchi une ligne rouge. Laurent Joly se demande tout de même si la présidente du groupe LFI à l’Assemblée nationale ne paye pas sa « maladresse » lors du discours de politique générale d’Élisabeth Borne, qu’elle avait traitée de « rescapée » des divers remaniements alors que la Première ministre venait de faire référence à la déportation de son père lors de la Seconde Guerre mondiale. « C’est vrai qu’elle s’emmêle les pinceaux sur les ‘collaborationnistes’, mais il faut bien connaître l’histoire pour savoir que, dans l’usage, les 'collaborateurs’ c’est Vichy, alors que les 'collaborationnistes’ ce sont les cercles parisiens qui veulent aller plus loin encore », ajoute l’historien. « Mathilde Panot veut amplifier la charge contre Pétain, je ne lui chercherais pas des poux, on entend et on lit tellement d’erreurs quand les politiques mobilisent l’histoire. »
« C’était très bien qu’Emmanuel Macron rappelle que ce genre de commémoration se fonde sur un travail historique »
Si Laurent Joly minimise la portée de la « polémique » Panot, il se rappelle en revanche de 2018 et de la polémique déclenchée par Emmanuel Macron : « On lui a un peu fait un mauvais procès, parce que c’était le 100ème anniversaire [de la victoire de 1918]. Là où il avait été très maladroit, c’est que quand on parle de 1918 en 2018, on n’est pas obligé de parler de Pétain. Pétain c’est Verdun en 1916, 1918 en fait c’est Foch, avec Clemenceau aux manettes. C’est eux qu’il fallait honorer. » L’historien estime ainsi qu’il était « maladroit de vouloir jouer le ‘en même temps’, d’autant plus que ce n’était pas le premier clin d’œil qu’Emmanuel Macron fait à l’extrême droite, notamment avec des interviews dans certains journaux [Valeurs Actuelles en octobre 2019, ndlr]. »
Mais dans son discours de ce dimanche à Pithiviers, Laurent Joly estime qu’Emmanuel Macron a bien mis « les points sur les ‘i’ », surtout après l’offensive d’Éric Zemmour sur la mémoire de Vichy pendant la campagne présidentielle : « Il y a parfois des associations un peu bizarres dans la vision très large de la République qu’a Emmanuel Macron, où il noie de Gaulle entre fonctionnaire de police qui détourne la tête, Mgr Saliège et un écrivain résistant. Mais sur les faits historiques, il a été très juste. C’est une nouveauté qu’un homme politique comme Éric Zemmour revienne sur le discours de Jacques Chirac et reprenne la thèse du ‘moindre mal’ développée par les dirigeants de Vichy devant les tribunaux d’épuration. Au-delà du jugement moral, c’est faux historiquement, et c’est très bien qu’Emmanuel Macron rappelle que ce genre de commémoration se fonde sur un travail historique. »
Le 16 juillet 1995, Jacques Chirac avait en effet prononcé un discours qui avait fait date en admettant officiellement la responsabilité de la France dans la déportation et l’extermination de Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. « Ce discours était très inspiré du livre de Serge Klarsfeld, Vichy-Auschwitz [1983] », rappelle Laurent Joly, qui se félicite que 27 ans plus tard, un autre « discours de reconnaissance s’appuie sur le travail des historiens. »