Alors que le gouvernement demande un effort budgétaire de 5 milliards d’euros aux collectivités – « 11 milliards » selon les élus – le socialiste Karim Bouamrane affirme que « Michel Barnier est totalement inconscient ». Le PS a organisé ce matin, devant le congrès des maires, un rassemblement pour défendre les services publics.
Lutte contre la fraude fiscale : « On est dans la mesurette autour de laquelle on fait beaucoup de communication », déplore Éric Bocquet
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Il a peut-être parlé un peu trop vite. À l’occasion de la publication par Bercy d’un bilan de la lutte contre les fraudes fiscales, douanières et sociales, Gabriel Attal s’est félicité dans Le Parisien de « résultats historiques » dans la lutte contre la fraude fiscale en 2022. Une affirmation un peu cavalière, comme l’ont remarqué les Décodeurs du Monde, puisqu’avec 14,6 milliards d’euros mis en recouvrement, l’administration fiscale fait certes mieux que l’année dernière (13,4 milliards, 8,2 % d’augmentation), mais moins bien qu’en 2015, sous le quinquennat de François Hollande, où 16,3 milliards avaient été mis en recouvrement. D’autant plus qu’en termes de recouvrements effectivement encaissés, le Trésor public maintient simplement le niveau de l’année dernière, avec 10,6 milliards versés à l’administration fiscale. Les sommes annoncées par le ministre correspondent en effet aux recouvrements notifiés par Bercy, et pas aux sommes effectivement perçues.
« Mais tous les ministres se félicitent chaque année de résultats mirifiques »
« Je crois vraiment qu’on n’en fait trop avec ces chiffres », réagit Éric Bocquet, sénateur communiste auteur de plusieurs livres sur la lutte contre l’évasion fiscale : « On ne peut que se féliciter de ces milliards récupérés, évidemment. Mais tous les ministres se félicitent chaque année de résultats mirifiques, de recouvrements extraordinaires… Je tiens à rappeler qu’entre 2010 et 2018, les résultats oscillaient entre 16 et 21 milliards d’euros. » Cela placerait l’année 2022 en dessous des années 2010. « Il y a beaucoup de communication autour de ce sujet, et pour cause : le ruissellement des dividendes et les difficultés connues par nos concitoyens font que la fraude fiscale est devenue un sujet insupportable », poursuit le sénateur du Nord. Éric Bocquet se base sur les chiffres des syndicats des finances publiques, qui évaluent la fraude fiscale entre 80 et 100 milliards d’euros par an. « Il y a donc encore beaucoup de chemin à parcourir. »
Malgré ce couac de communication, auquel le cabinet du ministre du Budget n’a pas souhaité donner suite d’après Le Monde, la sénatrice centriste, Nathalie Goulet, en pointe sur les sujets de fraude fiscale et de fraude sociale, se montre plus clémente avec le gouvernement. « Prendre l’argent dans la poche des voleurs, c’est toujours encourageant. Je n’ai aucun doute sur la volonté du ministre de lutter contre la fraude, il émane une certaine volonté », confie-t-elle. La sénatrice de l’Orne en veut pour preuve une « task force » regroupant des parlementaires, déjà réunie deux fois par Gabriel Attal sur le thème de la fraude fiscale et qui devrait se réunir une nouvelle fois sur le thème de la fraude sociale, afin d’avoir « l’avis des parlementaires impliqués » dans la lutte contre la fraude, explique Nathalie Goulet. « Mais il va falloir mettre le turbo ! » ajoute-t-elle.
Un projet de loi de lutte contre la fraude présenté au printemps
Et pour ce faire, cette « task force » ressemble fortement à une façon de mener des réunions préparatoires au « plan de lutte contre toutes les fraudes » annoncé par Gabriel Attal devant le Sénat le 11 janvier dernier. Le ministre du Budget visait il y a un mois une présentation du plan « avant la fin du premier trimestre 2023 », notamment pour intégrer dans un nouveau texte des dispositions du dernier projet de loi de finances censurées par le Conseil constitutionnel. Une remise à plat des échanges d’information entre les douanes et l’autorité judiciaire devrait par exemple figurer dans un nouveau texte. « Nous aurons l’occasion d’y revenir », avait lâché Gabriel Attal en séance.
Ces échanges d’informations, tant entre administrations qu’au niveau européen, représentent une avancée extrêmement importante pour Nathalie Goulet : « Il faut absolument réunir les CNIL européennes parce que la Belgique a un système de recueil et d’échange de données remarquable en matière de lutte contre la fraude. Tout est contrôlé par la CNIL belge, qui pas moins compétente que la nôtre. Au cœur de l’Europe il y a des paradis fiscaux, avec les ports francs au Luxembourg : l’échange de données au sein de l’Europe est extrêmement important. Il faut l’harmoniser tout en maintenant des objectifs de protection des données. »
« Il reste des trous béants, notamment sur la TVA, où l’on est très mauvais »
La transmission des données au niveau européen doit donc être un axe clé de la lutte contre la fraude, pour les sénateurs, et notamment dans la fraude à la TVA, ciblée par un rapport transpartisan à l’automne dernier. Celle-ci semble d’ailleurs dans le viseur du gouvernement et des discussions autour du futur projet de loi. « La fraude sur laquelle on a le plus de marge pour aller recouvrer, c’est la TVA », déclarait encore Gabriel Attal ce jeudi sur France Info, estimant le potentiel de recouvrement à 20 milliards d’euros. « Il reste des trous béants, notamment sur la TVA, où l’on est très mauvais, alors que c’est la fraude la plus importante au niveau européen », déplore, elle aussi, Nathalie Goulet.
Mais le problème de la fraude à la TVA dépasse largement ce cadre, comme l’illustre notamment le cas des « ports francs », évoqué par la sénatrice centriste. L’un d’eux en particulier, le « Freeport Luxembourg », fondé par le Suisse Yves Bouvier, pose question. L’immense entrepôt de 20 000 m² spécialisé dans les transactions concernant les œuvres d’art, est une enclave fiscale en plein cœur de l’Europe, où les droits de douane sont franchisés, et où les œuvres d’art sont exemptées de TVA. De tels entrepôts existent en Suisse ou à Singapour, mais cette plateforme située au centre de l’Union européenne permet aux produits échangés de circuler en ayant échappé à l’impôt à l’entrée. Un rapport du Parlement européen avait par ailleurs alerté sur les opérations de blanchiment d’argent que cet « angle mort » de la transparence financière européenne pouvait abriter.
« Tant que l’on ne considère pas le Luxembourg comme un paradis fiscal, on va avoir un problème »
C’est notamment ce que dénonçait Éric Bocquet dans son livre Milliards en fuite (Ed. Le cherche midi), paru à l’automne dernier, quelques semaines avant la révélation des fameux « Pandora Papers » par un consortium international de journalistes d’investigation. Pour lui le « groupe de travail » mis en place par Gabriel Attal, auquel il participe aussi, a déjà le mérite d’exister : « Pour l’instant, on écoute. Je crois qu’on est d’accord sur les constats, mais on jugera sur pièces le projet de loi qui sera présenté au printemps. » Toutefois, le sénateur communiste met déjà en garde : « Il faudra être très ambitieux et sortir des ambiguïtés au niveau européen. Tant que l’on considère que le Luxembourg n’est pas un paradis fiscal, on va avoir un problème. »
Éric Bocquet rappelle notamment l’ampleur des révélations des Pandora Papers sur l’ampleur « industrielle » de l’évasion fiscale au Luxembourg : « Le Luxembourg héberge 55 000 sociétés offshore sur son territoire, dont 17 000 détenus par des contribuables français, première nationalité dans ce classement. L’ensemble de ces sociétés détient 6500 milliards d’actifs. » Ce spécialiste du sujet laisse le bénéfice du doute au gouvernement, mais ne cache pas ses craintes sur l’ampleur réelle de ses intentions : « J’ai peur que l’on soit dans la mesurette autour de laquelle on fait beaucoup de communication. Il faut changer de braquet. » Réponse fin mars – début avril prochain.