Alors que les députés PS soutiennent l’abrogation de la réforme des retraites portée par La France insoumise, qui efface également le mécanisme mis en place par l’ancienne ministre de la Santé Marisol Touraine sous François Hollande, le sénateur Bernard Jomier (Place publique), appelle les parlementaires de gauche à ne pas aller trop loin face aux enjeux démographiques.
Le coronavirus, « C’est la revanche des petites inégalités »
Par Jonathan Dupriez
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Le Covid-19 peut infecter tout le monde, pour autant, sommes-nous tous exposés de la même manière au virus ?
Pour le moment, on ne sait pas encore si le fait d’être riche ou pauvre détermine le fait d’être infecté ou non, nous n’avons pas encore d’études nous permettant de l’affirmer avec certitude. À ce stade, le virus me semble assez démocratique, il touche à peu près tout le monde même s’il est plus fatal aux personnes âgées qu’aux jeunes. Dans l’histoire, il y a pourtant eu des maladies qui dévastaient les pauvres plutôt que les riches, là nous ne sommes pas dans ce cas-là. En revanche, ce sont les conditions de vie face à l’épidémie qui s’avèrent très contrastées…
Selon vous, la crise du coronavirus exacerbe surtout de « petites inégalités. » Qu’est-ce que cela signifie ?
Ce qui me frappe, c’est que jusqu’à présent, ces inégalités étaient relativement banales et ne posaient pas de problèmes majeurs. Mais avec le confinement, et avec la récession économique, ces inégalités deviennent insupportables. Dans la presse, on a pu lire des articles sur « tre confiné dans sa maison de campagne » ou « être confiné avec ses enfants dans un appartement », le fait d’être obligé de travailler ou de ne pas travailler, d'être connecté ou ne pas être connecté, d’être capable d’aider les enfants à faire leurs devoirs ou ne pas être capable… Toutes ces inégalités-là qui, d’une certaine manière, faisaient partie de notre vie quotidienne avant le confinement, prennent une importance considérable avec la pandémie. C’est la revanche des petites inégalités. Notre société avait tendance à considérer que seuls les gens très actifs, diplômés et performants étaient très utiles à la société. Désormais, et c’est une bonne chose, on se rend compte que les routiers, les caissières, les éboueurs sont indispensables. Au fond, c’est une piqûre de rappel qui nous dit que dans une société, tout le monde a besoin de tout le monde.
Pensez-vous que la France est scindée en deux, entre les personnels mobilisés en première ligne pour endiguer l’épidémie, et les autres qui télétravaillent ?
Dire qu’il y aurait d’un côté les nantis qui peuvent rester chez eux et faire un vague télétravail et les autres, cela ne me paraît pas aussi tranché. Je ne pense pas qu’il y ait deux classes opposées comme cela, ni même un clivage entre ceux qui seraient directement concernés par l’épidémie et ceux qui ne le seraient pas. Tout le monde est concerné par l’épidémie. Mais le coronavirus fait apparaître d’autres clivages. On se rend compte que tous ceux qui travaillent et que l’on ne voyait pas deviennent visibles. On découvre que tous ces gens, ces travailleurs, ces petits boulots qui étaient considérés comme des variables d’ajustement sont indispensables à notre société. Et c’est ça qui est complètement nouveau.
La crise du coronavirus porte-t-elle les germes d’une crise sociale à venir comparable à celle des gilets jaunes ?
Ce qui a caractérisé la crise des gilets jaunes, c’est qu’il y avait des inégalités que la société ne percevait pas tellement. Ceux qui avaient besoin d’une voiture diesel pour aller travailler et ceux qui n’en avaient pas besoin par exemple. Ni les syndicats ni les partis politiques n’en parlaient. Et ça a explosé avec les gilets jaunes mais cela n’a pas eu d’expression politique. Ce que l’on pourrait craindre aujourd’hui, c’est que le confinement révèle des inégalités de ce type et qu’il n’y ait pas d’expression politique une fois qu’il sera terminé. Ce qui est essentiel à mes yeux, c’est que les conflits et tensions sociales aient des expressions démocratiques collectives et négociables. Si cela reste des colères et des ressentiments cantonnés à la sphère privée, cela est très dangereux. Sans faire de la politique-fiction, on pourrait voir surgir une haine du tous contre tous.
Comment éviter cela ? Devrons-nous nous tourner davantage vers le personnel politique, les syndicats, pour sortir de la crise ?
Il y a dans la crise, un sentiment d’injustice qui n’est pas évitable. Mais quand on sortira du confinement, la question de trouver des expressions politiques à ces injustices va se poser. Il faudra rediscuter du statut du personnel soignant, de ceux qui travaillent et que l’on méprisait plus tôt, des revenus exorbitants des uns et de la précarité des autres, tout ça va poser problème alors que le gouvernement n’aura pas forcément posé ces sujets sur la table de lui-même. Nous devrons avoir des capacités politiques de négociation, de compromis et de discussion. Autrement, nous avons bonnes raisons d’être très inquiets. J’espère que le personnel politique en tirera un devoir de responsabilité et qu’il arrêtera de jouer au jeu détestable de désigner des coupables. Je ne défends pas le gouvernement, mais ceux qui déplorent l’absence de masques sont ceux qui étaient au pouvoir sous Hollande et sous Sarkozy et qui ont détruit les masques… donc à un moment, il faudra se poser la question de la responsabilité collective et pas une responsabilité accusatoire. Notre classe politique, nous allons vraiment savoir ce qu’elle vaut à la sortie du confinement.
Comment imaginez-vous l’après-crise ?
On va sortir dans une situation où l’on sera très différents psychologiquement, le confinement va laisser des traces. Socialement aussi, nous serons très différents, et sur le plan économique, il va falloir que l’on partage les pertes et pas les bénéfices. On va avoir de la dette, du chômage, et on va avoir une revendication de solidarité. Les gens les plus touchés vont dire : « on a été maltraités mais on a été indispensables ». Soit la situation sera analogue au climat qui a suivi la Seconde guerre mondiale où tout le monde s'était mis autour de la table pour renégocier une forme de contrat social et d’État-providence, soit tout le monde joue contre tout le monde. Cela dépendra de la politique. Car jusqu’à présent, la politique accompagnait le changement économique sur un mode libéral social ou social-libéral. Tandis que là, nous entrons dans une conjoncture totalement nouvelle. Il ne suffira pas d’accompagner la mondialisation, il faudra redéfinir un autre modèle.