Alors que le gouvernement demande un effort budgétaire de 5 milliards d’euros aux collectivités – « 11 milliards » selon les élus – le socialiste Karim Bouamrane affirme que « Michel Barnier est totalement inconscient ». Le PS a organisé ce matin, devant le congrès des maires, un rassemblement pour défendre les services publics.
La réforme des retraites est-elle une nécessité pour « sécuriser le système » ?
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C’est la rentrée. Alors que les contours de la réforme des retraites seront annoncés le 10 janvier prochain par la Première ministre, ce premier conseil des ministres de 2023 s’est déroulé dans l’ombre de ce dossier particulièrement chaud. Les consultations avec les partenaires sociaux et l’opposition continuent, mais pour le moment, Olivier Véran maintient pour le moment le cap. « On ne fait pas de réforme pour dire de faire une réforme des retraites, mais parce que c’est notre rôle de sécuriser le système des retraites pour les Français. Si dans 5 ans, dans 10 ans, vous avez des déficits annuels de 10 milliards d’euros, vous nous le reprocheriez », a ainsi répondu le porte-parole du gouvernement, lors du point presse traditionnel à la sortie du conseil des ministres.
L’exécutif entend ainsi assumer une « réforme dans la justice » et un « effort partagé », nécessaire pour l’équilibre du système par répartition. Si les débats sur le sujet ont déjà été nourris lors de la campagne présidentielle et promettent de l’être dans les prochaines semaines, cette nécessité financière d’une réforme semble encore faire débat. Le gouvernement, comme les oppositions, se prévalent ainsi du rapport annuel du Conseil d’Orientation des Retraites (COR) pour à la fois justifier et contester l’impératif financier de report de l’âge légal de départ à la retraite. Mais, à partir des données disponibles actuellement, que peut-on réellement dire de l’avenir financier du système de retraites par répartition ?
Retraites : un système déficitaire au minimum jusqu’en 2039
Le Conseil d’orientation des retraites est un organisme rattaché aux services du Premier ministre et composé de représentants des partenaires sociaux, de parlementaires, de directeurs d’administration concernées, ainsi que d’experts du sujet. Son rapport annuel fait donc figure de référence sur le sujet, et le neuvième sorti en septembre dernier a réactualisé ses dernières prévisions. Plusieurs périodes se distinguent alors.
Sur la période 2023-2027, le COR ajuste ses prévisions sur celles du gouvernement, consignées dans la loi de programmation des finances publiques adoptée, sur laquelle la majorité sénatoriale et le gouvernement n’ont pas réussi à se mettre d’accord. Le gouvernement table en effet dans cette programmation budgétaire sur l’atteinte du « plein-emploi » (soit un taux de chômage de 5 %) pour 2027, et sur une croissance de 1,8 % la même année.
Des hypothèses « un peu élevées » pour le Haut conseil pour les finances publiques, qui ont amené le COR à tabler sur un taux de chômage revenu à 7 % en 2032 pour réaliser ces projections. « De ce fait, la croissance est fortement déprimée entre 2027 et 2032 », explique ainsi le COR (p. 68 du rapport), en précisant « qu’il s’agit là d’un artefact lié à la méthode de projection : rien ne permet bien sûr d’anticiper que la conjoncture économique sera particulièrement déprimée sur la période 2027-2032. »
À plus long terme (des années 2030 aux années 2070) le COR distingue quatre trajectoires selon les gains de productivité observés et produit des scénarios en prenant en compte les efforts budgétaires de l’Etat (« convention EEC »), ou pas (« convention EPR »).
Si l’Etat maintient un effort budgétaire constant, seul le scénario le plus pessimiste prévoit un déficit pérenne (entre 0,5 % et 1 %), alors que le régime des retraites atteindrait l’équilibre au mieux en 2039. Les scénarios médians tablent sur un retour à l’équilibre entre les années 2040 et 2060.
Des projections qui évoluent rapidement avec la conjoncture économique
Excédentaire de presque 1 milliard en 2022, le régime des retraites est donc amené à être déficitaire au moins pendant une quinzaine d’années, même si à cause des différences d’hypothèses macroéconomiques entre le gouvernement et le COR, la période 2023-2032 reste très difficile à interpréter. « Sur les 25 prochaines années, le système de retraite serait en moyenne déficitaire », résume tout de même le COR, avec un déficit variant de – 0,5 % à – 0,8 % du PIB entre 2022 et 2032. À plus long terme, si l’Etat maintient sa participation budgétaire et selon les gains de productivité, le régime serait en moyenne excédentaire en l’état à l’horizon 2050 ou 2060.
Comme toute projection économique, ces équilibres restent extrêmement sensibles aux variations de conjoncture, d’autant plus dans le contexte d’incertitude actuel, lié à la guerre en Ukraine et la crise énergétique. À titre d’exemple, la conférence de financement organisé par le COR en 2019 tablait sur un déficit annuel de 12 milliards en 2027, une somme à laquelle s’est référée Élisabeth Borne dans son entretien au Parisien en décembre dernier. Trois ans plus tard, le COR estime ces besoins de financement à horizon 2027 à 8,3 milliards.
Avec la reprise économique post-covid, le COR a en effet notamment réduit ses prévisions de déficit de 2,4 milliards entre 2021 et 2022. Une évolution « très significative en elle-même », mais qui ne représente que 0,3 % des 350 milliards du budget total consacré aux retraites, précise le dernier rapport. En l’état actuel des prévisions du COR, il faudrait donc trouver une dizaine de milliards par an pendant une vingtaine d’années.
Report de l’âge légal : nécessité ou choix politique ?
Mais une fois cet état des lieux financier posé, la question du financement de ce déficit reste ouverte. Afin d’équilibrer le régime des retraites, trois pistes s’offrent à l’exécutif :
- Travailler plus longtemps, et donc faire payer les actifs, soit en repoussant l’âge légal, soit en augmentant la durée de cotisation
- Diminuer les pensions, et donc faire payer les retraités
- Augmenter les cotisations salariales et patronales, et donc faire payer les entreprises
Ces options pourraient d’ailleurs être mises en œuvre en même temps, comme lors de la réforme Touraine de 2014, qui avait allié allongement de la durée de cotisation, augmentation des cotisations retraite et mise à contribution des retraités. Depuis la campagne présidentielle, Emmanuel Macron a régulièrement exprimé son désaccord avec les deux dernières options, refusant de diminuer le niveau de vie des retraités ou de faire peser la pression du financement du régime des retraites sur les entreprises, justifiant ainsi la « nécessité » d’une mesure d’âge.
Le COR précise que si l’équilibrage financier du régime doit reposer uniquement sur des mesures d’âge, et que la participation de l’Etat au financement reste inchangée, il faudra porter l’âge effectif de départ – et non pas l’âge légal – à 64,1 ans en 2032, soit une augmentation de 0,7 an. Il serait d’ailleurs possible de ramener cet âge de départ à 63,7 ans en 2070, soit 0,2 an de moins qu’actuellement, tout en laissant le régime à l’équilibre. Pour augmenter l’âge effectif de départ, l’exécutif pourrait reporter l’âge légal de départ, ou bien augmenter la durée de cotisation.
Les autres pistes de financement, ou comment trouver 10 milliards par an ?
La piste privilégiée par le gouvernement est aussi celle des Think tanks libéraux comme l’Ifrap, qui alertent sur le déficit du régime et militent pour un équilibrage par une augmentation de l’âge de départ. Côté social-démocrate, une note de Terra Nova évoque d’autres pistes de financement, sans exclure de mesures d’âge « raisonnables. » Ainsi, d’après cette note, 4 milliards d’euros, soit la moitié du déficit prévu pour 2027, pourraient être récoltés en revenant sur les allègements de cotisations au-dessus de 1,6 SMIC, jugées inefficaces par le Conseil d’analyse économique (CAE), rattaché aux services du Premier ministre.
L’économiste de la protection sociale, Michaël Zemmour, propose dans Alternatives économiques « Cinq pistes pour combler le déficit des retraites sans se fatiguer », en mettant notamment sur la table le retour sur les 8 milliards de baisses des impôts de production entérinées par le budget pour 2023, comme la suppression de la CVAE, ou bien l’augmentation les cotisations de 0,8 point, pour 12 milliards d’euros par an.
« Ce qu’on exclut, en revanche, c’est de baisser le montant des retraites ou d’alourdir le coût du travail par des cotisations supplémentaires », répond pour le moment la Première ministre, alors que toutes les organisations syndicales sont opposées à un report de l’âge légal. La position du gouvernement devrait être définitivement arrêtée le 10 janvier prochain.