Alors que les députés PS soutiennent l’abrogation de la réforme des retraites portée par La France insoumise, qui efface également le mécanisme mis en place par l’ancienne ministre de la Santé Marisol Touraine sous François Hollande, le sénateur Bernard Jomier (Place publique), appelle les parlementaires de gauche à ne pas aller trop loin face aux enjeux démographiques.
José Frèches : « En Chine, certains animaux sont consommés comme des médicaments. »
Par Rebecca Fitousi
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Eclairez-nous d’abord sur ces marchés d’animaux sauvages où serpents, chauve-souris, et pangolins sont mangés vivants ou dépecés dans des conditions d’hygiène abominables… Ces lieux sont-ils nombreux ?
Ce qu’il faut d’abord dire, c’est qu’en Chine, depuis toujours, on considère que la nourriture a des vertus thérapeutiques. Tout ce qui est plante médicinale, certains membres d’animaux, voire certains animaux, sont consommés, non pas uniquement comme on consommerait du caviar ou de la langouste, mais comme si c’étaient des médicaments. Il y a aussi une tradition en Asie qui est de manger des animaux vivants ou qui viennent à peine d’être sacrifiés. Pour eux, c’est comme nourrir le souffle vital. Là-bas, on considère que chaque être humain est possesseur du souffle vital et que celui-ci peut se transmettre entre les espèces, et en particulier d’un animal à l’homme. Même à Shangaï, il m’est arrivé de voir des endroits avec des animaux vivants comme des poissons ou des serpents à l’entrée des restaurants. Dans le Sud de la Chine, j’ai également vu des civettes, dont on dit que le virus a donné le SRAS en 2003. Et effectivement, il y avait des marchés où le minimum de précaution sanitaire n’avait pas été pris. Cela dit, ce n’est pas propre à la Chine. Vous allez dans certains coins d’Indonésie, et je ne parle pas de l’Afrique avec la viande de brousse, où c’est exactement le même genre de phénomène qui existe. D’ailleurs certains virus qui sont nés en Afrique proviennent également d’espèces animales qui étaient en coexistence avec l’homme alors qu’il est censé y avoir une certaine distance entre le monde sauvage et le monde civilisé. Mais oui, on peut dire qu’en Chine, il y a une tradition de consommation de viande d’animaux vivants ou tués très récemment. Et je crois savoir que c’est désormais strictement interdit. Ce sont des marchés qui existaient à grande échelle depuis des millénaires, on y mangeait du rat, du chien, du chat, mais c’est de plus en plus interdit aujourd’hui. Le gouvernement chinois a sorti une loi il y a trois semaines pour proscrire la consommation de chiens et de chats. Et il faut savoir que le pangolin, c’était déjà strictement interdit !
Alors comment expliquez-vous que cela ait continué ? Hypocrisie ou impuissance de Pékin à faire respecter ces règles?
Dans un pays d’1,4 milliard d’habitants, vous ne pouvez pas tout contrôler. Même si c’est un des pays les plus contrôlés au monde, il y a, ou il y avait, un certain nombre de trous dans la raquette. De même que la Chine a interdit l’importation de cornes de rhinocéros et de défenses d’éléphants, et on sait très bien qu’il y a des acheteurs en Afrique en provenance de Chine mais aussi d’autres pays asiatiques, qui demandent à des contrebandiers d’aller tuer des rhinocéros parce que la poudre de corne de rhinocéros est censée avoir des vertus aphrodisiaques.
Ces pratiques concernent tous les milieux ?
Cela touche tous les milieux. Les gens qui ont une culture taoïste fondée sur le souffle vitale, vont avoir tendance à aller s’approvisionner sur le même genre de marchés qu’il y avait à Wuhan. Il ne faut pas imaginer qu’en Chine tout est contrôlé, propre et aseptisé. C’est un pays immense donc tout ce qu’on peut imaginer trouver, on le trouve.
Des marchés d’animaux sauvages auraient déjà rouvert dans les villes de Guilin et Dongguan… Est-ce que cela veut dire que la Chine ne tire aucune leçon de cet épisode désastreux ?
Attention, il y a animaux vivants et animaux sauvages. Vous savez, en France, il y a encore des marchés où l’on vend des poules et des lapins vivants. En Chine, vous allez dans un restaurant de poisson, et bien les poissons sont dans l’aquarium, comme dans certains restaurants en France où vous avez les fruits de mers, les homards qu’on sort du vivier. Donc ça, je pense que cela continue en effet. En revanche, je suis à peu près certain que les marchés d’animaux sauvages, eux, sont traqués par les autorités chinoises. Mr Xi Jinping, ses collaborateurs et tout le parti communiste n’ont certainement pas envie qu’il y ait une nouvelle épidémie de ce type et que cela recommence. Ça leur coûte suffisamment cher…
Vous parlez des autorités mais quid de la population ? Croyez-vous à une prise de conscience des Chinois sur le danger de leurs pratiques ? Ont-ils envie de remettre en question leurs coutumes ancestrales ?
Ce sont des pratiques qui n’étaient pas généralisées. Les consommateurs d’écailles de pangolins, il ne devait pas y en avoir des millions ! Et toute la génération des Chinois qui sont soit plus instruits, soit plus jeunes, ils ont plus tendance à aller manger au MacDo qu’à aller sur un marché comme celui de Wuhan.
Cette crise donne une image désastreuse de la Chine, non ? Vous le regrettez ? Vous trouvez cela injuste ? Caricatural ?
Je ne suis pas tout à fait d’accord avec vous, je ne suis pas sûr que cela donne une image uniquement désastreuse de la Chine. C’est clair que c’est de là qu’est parti le Covid-19, mais à la limite, cela aurait pu partir d’un marché en Indonésie, c’est tombé sur eux, de même qu’en 1917, la grippe espagnole est née dans un camp d’un Etat américain. Ce n’est pas pour autant que c’était la faute des Etats-Unis. Donc je pense qu’il faut raison garder. D’autre part, au niveau des mesures qui ont été prises pour juguler cette épidémie, j’observe que les pays européens et notamment la France sont plutôt en train de s’inspirer de la Chine parce qu’elle a été redoutablement efficace, même si ces mesures ont été drastiques. Enfin, autre point sur lequel il faut prendre un peu de recul. En France, on dit qu’il faut s’inspirer de la Corée du Sud, qui est une démocratie alors que la Chine est une dictature. Mais que ce soit la Corée du Sud ou la Chine, ce sont des sociétés que je qualifie de « confucéennes », de même que la société japonaise, et bien ce sont des sociétés où l’on apprend aux gens que la collectivité passe avant l’individu, donc il y a une très grande discipline, pratiquement innée. Il y a une acceptation de la contrainte qui existe tout autant en Corée du Sud qu’en Chine. On voit en France toutes les difficultés qu’on a pour se mettre d’accord sur le « tracking » des gens qui seraient infectés par le Covid-19 grâce au téléphone portable, et bien la méthode est utilisée en Corée du Sud et bien entendu en Chine. Chez nous, cela pose des tas de problèmes parce que nous ne sommes pas des sociétés confucéennes. Nous sommes des sociétés individualistes. C’est la grande différence entre l’Occident et l’Asie, nous cultivons la liberté individuelle alors qu’ils cultivent le sens collectif.
Puisque vous parlez de la gestion de la crise en Chine… Plusieurs lanceurs d’alerte sur d’éventuels mensonges des autorités sont aujourd’hui portés disparus… Cela vous surprendrait que Pékin essaie de museler la parole de ceux qui critiquent la gestion de la crise ?
Là aussi, il faut avoir un jugement un tout petit peu mesuré. Vous êtes dans un pays et tout à coup, vous avez une maladie totalement inconnue qui se développe. Moi je vous mets au défi, si cette épidémie s’était déclarée aux Etats-Unis, voire en France, qu’au bout de 24H, on aurait eu un ministre de la Santé qui serait venu à la télévision disant « halte au feu ! Il y a un virus extrêmement dangereux, on va confiner dès demain ! ». Avant de décider de lancer ce type d’alerte susceptible d’affoler la population, vous devez avoir la mesure qui va contrer la menace, sinon vous allez créer un chaos social. Mais effectivement, ce qu’on peut reprocher tout à fait légitimement aux autorités chinoises, c’est d’avoir muselé ces lanceurs d’alerte alors qu’elles auraient évidemment dû en tenir compte. Il y a notamment une chef du service infectieux de l’hôpital de Wuhan qui avait contacté le jeune médecin ophtalmologue. Lui a été inquiété parce qu’il avait répandu sur les réseaux sociaux le fait que la maladie se développait. Il est décédé ensuite, mais aujourd’hui, ce médecin est considéré comme un héros, y compris par les autorités !
Durant cette crise, la Chine a beaucoup communiqué, ou en tous cas davantage qu’elle ne le fait habituellement. Vous y voyez une petite révolution ou c’est parce qu’elle n’avait pas le choix ?
La Chine est un bloc, le même bloc depuis des millénaires, c’est une société extrêmement hiérarchisée et extrêmement nombreuse. Quand on dit que la Chine a confiné sa population, en fait, elle a confiné une ville et une province. Donc cela n’a rien à voir avec la France qui a confiné tout un pays. La Chine n’a pas été confinée totalement, 95% du territoire chinois continuait à vaquer plus ou moins à ses occupations pendant qu’étaient confinés les habitants de Wuhan et du Hubei. Donc je ne pense pas que cette crise changera grand-chose à la façon dont le pays est gouverné. Les autorités sont extrêmement soucieuses qu’il ne soit pas dit par l’opinion publique qu’elles ont été négligentes, et je pense qu’à la fin du mois de janvier, Xi Jinping a dû avoir « un peu chaud aux fesses », c’est très clair ! [rires] Mais depuis, aux yeux des gens il s’est largement rattrapé.
Qu’est-ce qui est en jeu pour la Chine ? L’honneur du pays ? Le business en danger ?
L’honneur en Asie, on dit « la perte de face » et perdre la face, aucun Asiatique ne l’accepte, donc la Chine ne veut pas perdre la face. C’est ce qui explique qu’elle ait joué les grands seigneurs en distribuant des masques et en proposant aux pays européens de leur exporter du matériel médical. Mais aujourd’hui, les autorités chinoises ont à mon avis, suffisamment à faire en relevant le défi d’une croissance économique en berne parce que c’est très préoccupant pour elle. Une panne économique dans un pays d’1,4 milliard d’habitants, cela peut avoir des conséquences absolument incalculables. Les autorités sont entièrement concentrées sur une reprise la plus efficace et la plus prudente possible pour limiter la casse économique. Si on compare la Chine avec la superpuissance américaine, la Chine est beaucoup mieux à même de faire face à ce type de crise. Premièrement, ce n’est pas une démocratie, donc les autorités n’ont pas à tenir compte de problèmes de votes au Congrès ni d’affrontements purement politiciens entre républicains et démocrates. Deuxièmement, l’Etat fait absolument ce qu’il veut au niveau économique, ils ont une planification, donc s’ils appuient sur un bouton pour obtenir 45 millions de masques par semaine, ces 45 millions de masques sortiront des usines. Alors que nous, cela risque de prendre des mois. C’est une planification à la soviétique extrêmement décriée, mais vers laquelle l’Europe sera obligée de revenir à mon avis. La preuve est faite que les Etats tels que nous les envisagions dans le monde d’hier, c’est-à-dire le monde d’il y a un mois, ne sont plus du tout à même de protéger les sociétés. On le voit bien, nous ne sommes même pas capables de fabriquer nous-mêmes nos médicaments, nos masques et nos dispositifs respiratoires. S’il y a une partie du monde qui est en grande difficulté, c’est plutôt le monde occidental. Et je vois dans cette crise du coronavirus un des signes supplémentaires du basculement de la puissance vers l’Asie.
Vous croyez aux statistiques chinoises ? Au nombre de morts officiel ? (Environ 3.500)
Je n’y crois pas une seconde. Je pense que c’est beaucoup plus important que cela. En revanche, si les autorités disent que l’épidémie a été jugulée, c’est qu’elle est jugulée. Quand on voit aujourd’hui toutes les précautions qu’elles prennent pour éviter que cela reparte, en mettant en quarantaine tous les Chinois qui reviennent de l’étranger, cela montre qu’ils ont réussi à stabiliser la situation.
Autre accusation visant la Chine, la discrimination envers des Africains soupçonnés d’être porteurs du Covid-19… Les Chinois sont-ils racistes ?
Je pense malheureusement que tous les peuples sont racistes. On est tous racistes. Certains se soignent, d’autres pas. J’ai constaté en effet que les Chinois considéraient les Africains comme du « menu fretin ». Je ne sais pas pourquoi, ils ont toujours considéré les Africains comme des gens de seconde catégorie, donc je ne serais pas étonné aujourd’hui que les Africains présents en Chine, les étudiants notamment, subissent des discriminations. De même que, en France, au début de l’épidémie, certains Français ne voulaient pas s’asseoir à côté d’un Asiatique et encore moins s’il portait un masque. Donc ne leur jetons pas la pierre !
Comment les Chinois observent-ils ce monde confiné ? Se sentent-ils un peu coupables voire un peu honteux ?
Je ne pense pas, non. Les Chinois sont patriotes, assez nationalistes. Plus l’Occident les critiquera, plus ça provoquera l’effet inverse. Ils considèrent qu’ils ont été victimes du colonialisme occidental au XIXème siècle, que les Occidentaux et en particulier les Anglais ne sont très mal comportés avec la guerre de l’opium. Ils considèrent également que les Etats-Unis sont un pays impérialiste qui a provoqué le chaos mondial dans lequel nous sommes, à cause de leur économie très pétrolière. Les Américains sont même leur ennemi numéro un. Plus Trump tapera sur la Chine, plus l’opinion publique chinoise sera anti-américaine.
Comment voyez-vous la Chine de demain ? Toujours plus conquérante sur le plan économique ? Faisant fi des critiques ? Plus forte parce que sortie de la crise plus tôt ?
Ce qu’il faut avoir bien présent à l’esprit, c’est que la Chine est un pays hors-normes à cause de sa population. 1 milliard 400 millions de personnes vivent sous le même drapeau. Et ils sont très organisés. Ils ont compris depuis très longtemps que s’il n’y avait pas un système d’organisation avec une poigne de fer, cela ne pouvait pas marcher. Comparez la situation en Chine avec celle de l’Inde. En Inde, avec le confinement, vous avez des centaines de millions d’Indiens qui vont crever de faim parce que c’est le chaos. Il y a les beaux esprits qui vont dire que l’Inde est une démocratie mais la belle affaire ! Si dans une démocratie, les gens crèvent de faim, à quoi sert la démocratie ? La Chine est un pays qui est très organisé. Ceux qui pariaient sur une désorganisation de la Chine à la suite de cette crise, se trompent ! Et ceux qui le souhaitent ont tort car une Chine désorganisée, c’est la planète entière plongée dans le chaos. Soyons clair, c’est un régime extrêmement autoritaire, et je vous le dis tout de suite, je préfère être Français que Chinois, mais notre intérêt à tous, c’est que les choses continuent en Chine comme elles étaient avant la crise.
Donc elle pourrait même sortir plus forte ?
C’est un pays qui était en train de faire la grande course en tête avec les Etats-Unis. Or, moi je pense que le Covid-19 va porter un coup terrible aux Etats-Unis et à la société américaine, et si on assiste à un affaiblissement considérable des Etats-Unis, par voie de conséquence, la Chine n’aura même pas besoin de forcer pour dépasser les Américains et devenir la superpuissance de demain.
C’est difficile d’être un amoureux de la Chine aujourd’hui ? Vous sentez-vous obligé d’être l’ardent défenseur d’une culture attaquée ?
Attendez ! Je ne suis pas l’ardent défenseur de la Chine ! J’essaie de comprendre. Je ne porte pas de jugement et en tous cas, lorsque j’en porte un, il faut toujours savoir, comme on disait en 1968, d’où on parle ! Donc j’essaie de ne pas porter un jugement connoté occidental, c’est-à-dire un discours des Droits de l’Homme, donneur de leçons à la terre entière. Nous avons colonisé au XIXème siècle une bonne partie de la planète, nous avons été le terrain de deux guerres mondiales au cours du XXème siècle, nous sommes les inventeurs de la bombe atomique, donc on est mal placé pour donner des leçons. Je ne défends pas du tout le régime chinois, j’essaie d’expliquer pourquoi la Chine a ce type de régime. On ne comprend une époque déterminée et en particulier le temps présent, que lorsqu’on connaît l’histoire. Rien n’est le fait du hasard. Si la Chine est comme elle est, c’est parce que depuis les origines, elle est organisée comme cela, si nous-autres en Occident, on a les difficultés qu’on a, c’est justement parce qu’on a été une puissance coloniale, que cela nous vaut un certain rejet de la part d’un certain nombre de pays, qu’on a été les contempteurs des Droits de l’Homme et donc de l’individualisme. Mais en réalité nous sommes tous embarqués dans le même bateau !
Interview réalisée par Rebecca Fitoussi @fitouss
« La petite voleuse de la soie » de José Frèches, chez XO Editions
Relire notre entretien avec Raymond Soubie, ancien conseiller social de Nicolas Sarkozy : https://www.publicsenat.fr/article/politique/raymond-soubie-ce-sont-les-contribuables-qui-paieront-cette-crise-181859