Il y a urgence à apporter des solutions. La délégation sénatoriale aux outre-mer organisait mercredi 11 décembre une table ronde avec plusieurs acteurs importants de la grande distribution dans les territoires ultramarins. En cause ? Le coût faramineux de la vie quotidienne dans ces régions, qui s’ajoute à une situation économique déjà souvent dégradée dans ces zones. « Notre souhait profond est d’identifier des leviers d’action sur la situation véritablement intenable d’un certain nombre de nos concitoyens ultramarins », a ainsi introduit Micheline Jacques, présidente de cette délégation et sénatrice (LR) de Saint-Barthélemy.
Ces derniers mois, les tensions liées à cette problématique se sont faites particulièrement vives. En Martinique, elles ont même débouché sur plusieurs nuits d’émeutes et de pillages depuis le début du mois d’octobre. Le chef de file du mouvement contre la vie chère, Rodrigue Petitot, à la tête du Rassemblement pour la protection des peuples et des ressources afro-caribéens (RPPRAC), a en outre été écroué le 5 décembre dernier pour avoir tenté de s’introduire au domicile du préfet de l’île, au mois de novembre.
Ampleur des frais d’approvisionnement
Au-delà de ces aspects sécuritaires, comment améliorer l’accès aux denrées de la vie courante de la population dans les territoires ultramarins ? Selon une étude de l’Insee datant de 2022, les produits alimentaires en Martinique avaient un prix 40% plus cher sur place qu’en métropole. « Nous sommes ici pour essayer de trouver les causes de la vie chère, un problème qui existe depuis très longtemps », a assuré Stéphane Hayot, président du groupe de distribution éponyme et présent en Martinique, en Guadeloupe, en Guyane ou encore à la Réunion,
Premier représentant à s’exprimer durant ces deux heures d’audition, le chef d’entreprise évoque avant tout un problème majeur : le surcoût des frais d’approvisionnement dans les régions d’outre-mer. Or, « 25 % de ce que nous vendons est produit localement ; le reste est importé, principalement de l’Hexagone », explique-t-il. Les différents acteurs pointent d’abord les tarifs exercés par les transporteurs maritimes. Ceux-ci proposent le même forfait aux distributeurs pour le trajet d’un conteneur, qu’il s’agisse à l’intérieur de riz, d’eau ou d’ordinateurs.
Avec cette règle, « plus la valeur de la marchandise transportée dans le conteneur est faible, plus le surcoût est important », précise Kevin Parfait, directeur général adjoint du groupe Parfait, très implanté dans plusieurs secteurs en Martinique et en Guadeloupe. Les produits alimentaires, qui ne sont pas des biens précieux, absorbent donc en premier lieu ces surcoûts d’approvisionnement sur leurs prix. D’autres taxes d’importation, notamment l’octroi de mer, sont aussi citées par la grande distribution pour justifier la valeur des produits importés.
Durant l’audition au Sénat, certains représentants ont proposé des pistes pour réduire ces coûts, aussi appelés frais d’approche. François Huyghues-Despointes, président du groupe Safo, un des principaux acteurs de la chaîne logistique d’approvisionnement des produits aux Antilles françaises, a ainsi invité à créer un dispositif pour « tenir compte de la valeur marchandise, c’est-à-dire adapter les tarifs à ce qui est contenu dans les conteneurs ».
Une mesure nécessaire, selon les auditionnés, pour assurer la continuité territoriale dans les régions d’outre-mer. Dans cette optique, « on pourrait considérer que la solidarité nationale pourrait faire qu’on mutualise une partie significative de ces frais d’approche sur les 68 millions d’habitants que compte la France. À ce moment-là, l’impact sur les prix à la baisse serait considérable », a aussi proposé Stéphane Hayot.
Des normes qui limitent les solutions
Mi-octobre, une première solution avait été trouvée pour provoquer une baisse des prix en Martinique. Les représentants de la grande distribution, l’État, la préfecture, des parlementaires et la Collectivité territoriale avaient signé un accord pour diminuer le tarif en magasin de 6000 produits de la vie courante. Mais ce protocole est désormais suspendu par le vote de la censure du gouvernement de Michel Barnier, début décembre, et ne sera pas appliqué au 1ᵉʳ janvier 2025 comme initialement décidé.
Autre piste de réflexion à mener, selon ces représentants : « le développement de la production locale ». « Cela va créer de l’activité, de l’emploi, des revenus », justifie Stéphane Hayot. Mais dans le même temps, il souligne « l’étroitesse des marchés ultramarins », qui complique la mise en œuvre de projets industriels au niveau de la compétitivité vis-à-vis d’entreprises présentes dans l’Hexagone.
Sur ce thème, Micheline Jacques et son collègue socialiste Akli Mellouli ont tous deux questionné les représentants sur la possibilité pour les entreprises de grande distribution sur la possibilité de régionaliser leur production – ou, à l’inverse, de pouvoir importer pour de plus faibles tarifs des denrées produites dans des pays limitrophes. Mais, cette fois, la conformité des normes des articles à importer restreint aussi les options en la matière.
Amaury de Lavigne, président de Carrefour à La Réunion, leur a assuré avoir déjà tenté, en vain, de nouer des partenariats dans cette optique. « On a essayé d’approcher plusieurs industriels en Afrique du Sud : 100% de leurs produits sont produits à peu près aux mêmes normes que les normes européennes, raconte-t-il. Mais leur packaging est en anglais. Nous, on doit l’avoir écrit en français. Or, arrêter la production pour mettre l’emballage en français coûte cher ; donc la différence de prix qu’on pourrait obtenir est gommée par cet arrêt de production. »
Pas de problèmes avec les marges, selon la grande distribution
Plus sensible encore, le dossier des marges de la grande distribution a été évoqué devant la délégation. En 2019, un rapport de l’Autorité de la concurrence dans les départements d’outre-mer a pointé que « les taux de marge réalisés par certains acteurs sont plus importants que ceux réalisés en métropole, laissant apparaître une marge de manœuvre – parfois limitée – mais réelle ». La réduction des marges des distributeurs était aussi une revendication demandée par de nombreux manifestants lors du mouvement contre la vie chère en Martinique.
« Ne nous trompons pas de cible : le sujet n’est pas au niveau des marges en outre-mer, a réfuté Stéphane Hayot. Si nous étions en mesure de faire en sorte que des produits que nous achetons arrivent en magasin au même prix qu’en magasin à Nantes, Toulouse et Montpellier, nous les vendrions au même prix que là-bas. » Pour « restaurer la confiance » auprès de la population, le groupe Safo a ainsi finalement décidé de communiquer le détail ses comptes publiquement, a de son côté indiqué François Huyghues-Despointes.