Simplification des normes : « Notre droit est devenu obèse », reconnaît Gabriel Attal
Par Alexis Graillot
Publié le
« La simplification est l’affaire de tous », a souhaité rappeler d’entrée le président du Sénat, Gérard Larcher, reconnaissant d’emblée que « tout n’est pas de la responsabilité du gouvernement », face à l’explosion des normes ces dernières années. A ce titre, il alerte sur l’inflation des amendements parlementaires, prenant l’exemple éloquent de la dernière loi de finances, où « 3750 amendements » avaient été déposés. « En 20 ans, le Code général des collectivités territoriales a triplé », souligne-t-il, code en main, non sans oublier que le volume du Code de l’environnement a lui été multiplié par dix. « Les normes s’épuisent à vouloir régler tous les problèmes et tous les cas », a-t-il alerté, appelant à « redonner du pouvoir aux élus ». « La complexité du droit est telle que les maires sont obligés de faire appel à des cabinets pour rédiger leurs documents d’urbanisme », a déploré Gérard Larcher, qui, reprenant à son compte une citation de Jacques Chirac, dont il a été le ministre, déclare : « Il faut simplifier les choses pour mieux les comprendre ».
Un constat partagé par le Premier Ministre, Gabriel Attal, qui demande « qu’un plan de simplification soit mis en place », mais souhaite également « aller plus loin », qui passe selon le locataire de Matignon, par « sortir du schéma selon lequel toute loi règle un problème ». Une « inflation normative » qui a un coût, le Conseil national pour l’évaluation des normes (CNEN), ayant estimé un montant pour les collectivités à 2.5 milliards d’euros.
« Une demande pressante et exigeante »
Au cœur des demandes des agriculteurs, le Premier ministre rappelle que l’enjeu de simplification lui est « cher » et « traverse largement les courants politiques ». « Il n’y a pas une fois au cours de mes déplacements, où on ne me parle pas de procédures trop lourdes, de démarches kafkaïennes et de parcours administratifs ubuesques », déclare-t-il, soulignant ainsi la « demande pressante et exigeante des élus locaux et des Français » en la matière. Signe de cette inquiétude, « 80% des [élus locaux sondés] estiment que la complexité des normes s’est aggravée depuis 2020 », et « 82% déplorent les conséquences négatives de la complexité des normes sur les projets locaux », appuie Rémy Pointereau, vice-président de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales, qui a rappelé que la simplification était « nettement en tête des priorités des élus ».
Un sujet d’autant plus prioritaire qu’il suscite « incompréhension », « colère », ou pire encore, selon le locataire de Matignon, « résignation », qui « poussent à arrêter d’innover et d’entreprendre », tout en « nourri[ssant] les rancœurs ». « Le paradis des normes, c’est l’enfer des Français », s’est-il voulu grave. « Depuis 2017, nous cherchons à agir mais en simplifiant nous avons aussi complexifié d’autres choses », a-t-il néanmoins concédé, estimant la situation « urgente ». « Notre droit est devenu obèse », tance-t-il, dans le sillage de la présidente de la délégation des collectivités, Françoise Gatel, qui avait parlé, non sans humour, au cours d’un petit-déjeuner de presse, de « harcèlement textuel ».
« Il n’y a rien de plus destructeur pour la politique que les annonces sans lendemain, ou des textes qui sont votés, mais dont les décrets d’application donnent le sentiment qu’ils ont été construits pour empêcher l’application du texte qui a été voté », alerte Gabriel Attal, qui salue le fait que la charte de simplification « a permis de donner un calendrier et une visibilité », mais également un « meilleur contrôle de l’exécutif ».
« Mener un profond changement de mentalité »
Ne souhaitant pas s’arrêter là, le Premier ministre déclare vouloir « aller plus loin », en faisant de nouvelles annonces. S’il reconnaît que « bien entendu, la loi reste au cœur de notre système républicain », Gabriel Attal estime nécessaire de « sortir du schéma selon lequel tout problème est réglé par une loi », appelant de fait à « mener un profond changement de mentalité ». « Faisons des normes l’essentiel, cela leur [aux maires] ôtera un poids, et leur redonnera le pouvoir d’agir », encourage-t-il, insistant sur le fait que « la complexité du droit constitue une plus grande source d’insécurité ».
« Faire confiance », « responsabiliser », « économiser », tel est le triptyque martelé par le Premier ministre. Sur ce dernier point, il sourit jaune, rappelant les « 60 milliards d’euros perdus par an à cause des démarches et des complexités de notre quotidien », soit 3% du PIB, chiffre d’autant plus sensible que sans ces 60 milliards, la France serait dans les clous de ses engagements européens, qui imposent un déficit inférieur à 3% du PIB par an.
Ainsi, le Premier ministre annonce que le Conseil national d’évaluation des normes (CNEN) devra » faire des propositions tous les six mois pour réduire le stock de normes obsolète », tout en souhaitant mener en parallèle le chantier de la « délégalisation » afin de « faire sortir certains sujets du domaine de la loi ». Pour cela, il demande au gouvernement à ce que « toute nouvelle norme soit concertée, étudiée et nécessaire avant d’être décidée », un moyen essentiel pour « donner des marges de manœuvre à chacun ». Un travail qui a d’ores-et-déjà été lancé par le Secrétariat général du gouvernement, le nombre de saisines en urgence du CNEN ayant été diminué de moitié en un an. De manière analogue, le gouvernement souhaite « rendre plus visible les avis du CNEN, en insérant dans l’étude d’impact des projets de lois, le lien hypertexte vers l’avis du CNEN ». Ajouté à cela, l’exécutif a lancé un vaste travail de formation à la légistique, dans l’objectif d’améliorer la qualité de la loi.
De leur côté, les élus prennent également leur part avec le lancement d’une vaste « manifestation de sensibilisation » envers les sénateurs. Car si l’inflation normative représente un coût financier pour les collectivités, elle engendre également une « perte d’attractivité de la fonction publique territoriale » ainsi que « l’abandon, la modification et le report des projets locaux ». Raison essentielle pour laquelle, comme Françoise Gatel nous l’avait annoncé il y a quelques semaines, la délégation aux collectivités souhaite l’insertion de « clauses de réexamen dans les lois territoriales », sur le modèle britannique, qui permet à la fois, de « vérifier que les effets de la réforme correspondent à ceux qui étaient attendus », mais également de « limiter l’empilement des normes ». En cas d’inadéquation avec ces principes, ces clauses permettraient de rendre caduque la loi en question. « A force de normes, on finit par ne plus faire ce qui est permis », se désole Rémy Pointereau.
L’occasion de conclure sur les célèbres mots du juriste Portalis, un des fondateurs du Code civil de 1804 : « L’office de la loi est de fixer, par de grandes vues, les maximes générales du droit ; d’établir des principes féconds en conséquence, et non de descendre dans le détail des questions qui peuvent naître sur chaque matière. C’est au magistrat et au jurisconsulte, pénétrés de l’esprit général des lois, à en diriger l’application ». 3 petites lignes pour résumer près d’une heure et demie d’échanges fructueux. Les anciens ont définitivement tout à nous apprendre.
Pour aller plus loin