Cette fois, la coupe est pleine pour les départements, qui alertent sur « l’impasse budgétaire » dans laquelle ils se trouvent. Ils n’engageront plus aucune « dépense nouvelle ou supplémentaire décidée unilatéralement par le gouvernement et non compensée intégralement par lui ». Dans un contexte de grande tension sur les finances publiques, la décision a été prise à l’unanimité ce 16 avril, en commission exécutive de Départements de France (DF), l’association qui représente les 103 départements ou collectivités ayant des compétences départementales. « Sans accord ou sans compensation, ces nouvelles dépenses ne seront pas honorées », insiste Nicolas Lacroix, président (LR) du conseil départemental de Haute-Marne.
Selon Départements de France, les décisions unilatérales du gouvernement depuis 2022 ont conduit à augmenter de 5,5 milliards d’euros les dépenses des départements, en particulier dans le champ des dépenses sociales. Ces dernières années, outre les revalorisations du montant des allocations de solidarité, plusieurs décisions ont pesé lourd sur les finances départementales, comme la hausse du point d’indice de la fonction publique, ou encore la hausse sur plusieurs années des cotisations à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL). Dans la même période, leurs recettes ont fondu de 8 milliards d’euros, principalement sous l’effet de la chute des transactions immobilières et donc de leurs droits de mutation.
L’an dernier, les départements s’étaient déjà opposés à la mise en œuvre de l’extension des augmentations indemnitaires du « Ségur de la santé », aux professionnels de la branche sanitaire, sociale et médico-sociale privée à but non lucratif. Non négocié, ce surcoût représente pour ces collectivités 170 millions d’euros par an.
Les départements de droite et du centre ne verseront pas aux CAF la hausse du RSA
Selon le communiqué de Département de France publié hier, la décision de la commission exécutive de ne plus prendre en charge de nouvelles décisions de l’État s’applique également à la revalorisation du RSA (revenu de solidarité active) de 1,7 % en vigueur depuis le 1er avril. Les 71 départements du groupe « droite, centre et indépendants » (DCI) avaient déjà décidé de ne plus rembourser aux Caisses d’allocation familiale (CAF) cette revalorisation. « On a décidé de ne pas financer cette augmentation. On ne l’a pas versé aux CAF. De plus, il n’est pas normal, sur le plan politique, que le RSA soit plus dynamique que le Smic », déclare Nicolas Lacroix, président du groupe DCI à Départements de France.
Les présidents de conseil départementaux situés à gauche considèrent de leur côté que l’offensive départementale doit être globale et ils se désolidarisent de l’angle spécifique du RSA. « Très clairement, nous laissons la liberté aux uns et aux autres de financer l’indexation de 1,7 % du RSA. Par contre, nous laissons la possibilité de retirer des versements à la Caisse nationale d’allocations familiales la somme correspondant à la compensation qui n’aurait pas été donnée par l’État. Nous nous réservons le droit de retenir les 1,7 % en fin d’année », précise auprès de Public Sénat Jean-Luc Gleyze, président (PS) du conseil départemental de la Gironde, à la tête des départements de gauche à DF.
« 50 départements qui n’arriveront pas à équilibrer leur budget »
Pour le président Nicolas Lacroix, ce type de décision est en fait inévitable. « Si on continue dans cette voie-là, vous aurez à la fin de l’année 50 départements qui ne pourront pas équilibrer leur budget. Beaucoup ont d’ailleurs repoussé le vote du budget au printemps », relate Nicolas Lacroix.
Au début de l’année 2024, dans la foulée des assises des départements à Strasbourg, l’association n’évoquait qu’alors qu’une quinzaine voire une vingtaine de conseils départementaux en difficulté. « 2025 sera bien pire. Notre capacité d’autofinancement, notre épargne, est réduite à néant. Ce qu’on vit va se généraliser dans la majorité des départements de France », avertit le socialiste Jean-Luc Gleyze.
« Il y a un moment, on aura un problème de légalité. Soit vos dépenses seront supérieures à vos recettes, et donc voter un budget déséquilibré n’est pas légal, ou soit vous n’assumez pas des dépenses obligatoires, et ça ne l’est pas non plus. » Ainsi résume le dilemme qui se pose aux départements, François Durovray (UDI), le président du département de l’Essonne.
En Essonne, « quatorze nouveaux collèges prévus, deux ne seront pas construits »
Dans de nombreux départements, le poids toujours plus important des allocations de solidarité se fait au détriment des autres politiques, y compris les plus visibles par les habitants. Selon Départements de France, l’action sociale représente désormais 70 % des dépenses d’un département en moyenne, contre 55 % il y a encore 10 ans. « Nous avions prévu quatorze nouveaux collèges, deux ne seront pas construits. C’est autant d’argent qui n’arrive pas dans l’économie girondine. C’est un très mauvais calcul de l’État de nous priver des capacités d’investissement », relève par exemple Jean-Luc Gleyze, en Gironde.
La tension budgétaire se fait aussi ressentir sur les enveloppes dédiées à l’entretien des routes départementales, qui représentent plus d’un tiers du réseau routier total du pays. « On ne peut pas dégrader notre niveau d’entretien, mais on le fait », témoigne Nicolas Lacroix (LR).
« Ce sont des économies qui touchent tous les secteurs. Cette année, il y a 40 millions d’économies, on est revenu sur des montants des actions pédagogiques. Le montant des subventions à la culture et au sport a diminué de 20 à 30 %, on a fermé une agence d’attractivité, divisé par deux le soutien au comité départemental du tourisme », énumère François Durovray (UDI). « L’an prochain, je n’ai plus du tout la faculté d’aller plus loin. Il reste 30 millions de dépenses dites facultatives. Est-ce qu’en 2026 je supprime les cantines ? » s’interroge l’ancien ministre.
« Des choix qui sont en train de devenir des renoncements »
Indirectement, les difficultés des départements vont se faire ressentir sur d’autres strates de collectivités locales plus petites. Avec leur situation financière de plus en plus contrainte, rares sont les départements à ne pas couper dans l’aide aux communes. « Ce sera une année blanche et cela va se ressentir fortement. Dans des projets communaux ou intercommunaux, quand il n’y a pas les 20 ou 30 % du département, le projet ne se fait pas », expose Nicolas Lacroix (Haute-Marne). Le contexte budgétaire très dégradé amène aussi des départements à retirer leur soutien à des associations ou à augmenter le tarif des cantines, ou à des chantiers d’insertion, pourtant nécessaires pour que les allocataires s’extraient du RSA. « Je vois que les choix sont en train de devenir des renoncements », observe inquiet le président de la Gironde Jean-Luc Gleyze.
Après la disparition du levier de la taxe foncière sur les propriétés bâties, remplacé par une fraction de TVA – dont les départements pointent l’absence de dynamisme – il faut trouver « un socle pérenne et évolutif des recettes » mais aussi des « financements pour tenir bon dans cette période », ajoute l’élu aquitain. Et de s’interroger : « La question de fond qui se pose, c’est veut-on asphyxier le financement des départements pour garantir leur suppression dans les strates administratives ? »
Pour François Durovray, la nouvelle offensive des départements n’a rien d’une « mauvaise volonté ». « Soit il faut changer de cadre, soit dire que les dépenses que l’on assume ne sont plus obligatoires », prévient-il. La conférence des territoires, qui réunira le gouvernement et les collectivités locales le 6 mai prochain s’annonce difficile avec les représentants des départements. « Au moins discutons pour une réparation à 50-50 du financement », demande Nicolas Lacroix.