Plus de coopération, mais pas plus de judiciarisation. C’est le résumé que l’on peut faire de cette table ronde portant sur l’avenir de la police municipale. Il y a quelques jours, Nicolas Daragon, ministre en charge de la sécurité du quotidien, a annoncé la réouverture du « Beauvau des polices municipales » pour le 21 novembre. Initiées en avril par le précédent gouvernement, ces concertations avaient été stoppées par la dissolution de l’Assemblée nationale en juin dernier. C’est dans ce contexte que Frédéric Masquelier (maire de Saint-Raphaël), Jean-Paul Jeandon (maire de Cergy-Pontoise) et Virginie Malochet (sociologue), ont pu développer leur vision de la police municipale devant la délégation aux Collectivités territoriales du Sénat. A noter qu’une mission d’information sur le sujet sera lancée au Palais du Luxembourg au premier semestre de 2025.
Un « continuum de sécurité »
Le cadre actuel de la police municipale n’a pas plus de 25 ans. Il a été donné par la loi Chevènement du 15 avril 1999. Depuis quelques années, on observe un « continuum de sécurité » estime Virginie Malochet, sociologue chargée d’études à l’institut Paris région et spécialiste des polices municipales. Et particulièrement en matière d’expérimentation judiciaire. Par exemple, la loi Sécurité globale de 2021 donnait à certaines polices municipales des compétences propres à la police judiciaire en matière délictuelle (pour constater la vente à la sauvette, la conduite sans permis…). Cependant, cet article a été censuré par le Conseil constitutionnel. « A dix ans d’intervalle, plusieurs mesures visant à renforcer les compétences judiciaires de la police municipale ont été censurées par les sages », résume Virginie Malochet.
Pourtant, renforcer les compétences judiciaires des agents est aussi l’objectif de Nicolas Daragon avec ce « Beauvau des polices municipales ». « Aujourd’hui, un policier municipal n’a pas accès aux fichiers (voitures volées, voitures assurées, identités, plaques d’immatriculation). Il ne peut pas contrôler l’identité d’un contrevenant, ne peut pas accéder au hall d’immeuble, ne peut pas avoir une grenade d’encerclement, ne peut pas utiliser un drone », a déploré le ministre de tutelle de Bruno Retailleau sur Europe 1. « Les avis sont partagés, y compris parmi les policiers municipaux, même si, très majoritairement, ils sont favorables à ce renforcement des compétences, considérant que leur qualité judiciaire actuelle les limite, les empêche en quelque sorte, dans l’exercice quotidien de leur métier », indique Virginie Malochet. « Certains élus locaux demandent aussi l’extension des compétences de leur police municipale et de faire sauter les verrous constitutionnels pour lutter contre la délinquance », ajoute la sociologue.
La crainte que les maires soient dépossédés de la police municipale
Frédéric Masquelier y est plus réticent. Le maire de Saint-Raphaël (Var) a rencontré Nicolas Daragon il y a quelques jours sur le sujet. Si le président de la commission Sécurité de l’Association des maires de France (AMF) se dit « satisfait » de cette réunion avec le ministre, il admet aussi avoir « des réserves sur l’évolution des pouvoirs judiciaires de la police municipale ». Le maire craint un transfert de responsabilité. « Nous ne voulons pas que la police municipale passe sous le contrôle d’un procureur de la République. Elle doit rester sous l’autorité du maire avec tout ce que cela implique », lance-t-il. Jean-Paul Jeandon abonde : « Nous ne sommes pas favorables à la judiciarisation. Si les policiers municipaux sont obligés de faire des rapports qui seront transmis au parquet, nos agents ne pourront plus être présents sur l’espace public », explique le maire de Cergy-Pontoise (Val d’Oise).
Frédéric Masquelier veut ancrer la réflexion sur la police municipale autour de quelques principes. Premièrement, « nous souhaitons conserver la libre administration », plaide le maire de Saint-Raphaël. « Dans ma ville, nous avons 115 personnes attachées à la police municipale. Certaines grandes villes n’en ont pas. C’est leur choix et ça doit rester comme ça. Chaque édile doit pouvoir décider », explique-t-il. Le deuxième élément est le transfert de nouvelle charge. « Par exemple sur le narcotrafic, nous avons peur que la police municipale devienne le supplétif de la police nationale. Une ville qui a un nombre conséquent d’agents municipaux ne doit pas pour autant être dotée de moins de policiers nationaux pour lutter contre le trafic de stupéfiants », ajoute Frédéric Masquelier.
Plus de transparence
Outre ces compétences judiciaires, Jean-Paul Jeandon souhaite une meilleure coopération entre la police municipale et la police nationale. « Comment peut-on mieux travailler ensemble ? », questionne-t-il. Pour lui, il faut impérativement plus de transparence. « On ne connaît pas le nombre de policiers par circonscription de police ou le nombre de brigade de gendarmerie. Il faut que tout soit clair sur les moyens mis en œuvre, c’est le point le plus important pour réfléchir à la suite », indique le co-président de la commission Sécurité de l’Association des maires de France.
Un dernier écueil est à éviter pour les deux représentants de l’AMF : penser que la police municipale à vocation à remplacer le travail d’une police de proximité. « L’insécurité augmente dans nos territoires et nous n’avons pas de police de proximité pour y faire face », tance Jean-Paul Jeandon. « D’autant plus que la sécurité, c’est du pouvoir de l’Etat. Davantage de policiers municipaux et une police de proximité, c’est essentiel pour aider la police municipale », conclut-il.