Narcotrafic : « Même dans une commune de 300 habitants, nous constatons des pratiques régulières » déplore Michel Fournier, maire de Voivres (Vosges)
Par Alexis Graillot
Publié le
Comprendre les ressorts de la « croissance exponentielle » de la consommation de drogue en milieu rural. Auparavant peu touchées, les petites et moyennes communes se heurtent maintenant elles aussi au « fléau » du narcotrafic, avec à la clé, des maires souvent démunis et confrontés à un sentiment d’impuissance que ce soit en raison du manque de moyens, de l’incompréhension des populations ou de la difficulté pour les forces de l’ordre et démanteler tout un réseau.
Pour autant, tous les édiles interrogés le rapportent ; au cœur de cette problématique, se révèle un enjeu bien plus profond : celui du statut de l’élu local, devenu responsable de tout et confronté à un « mal-être » grandissant, d’autant que pour ce sujet spécifique, des « petits » élus se retrouvent désormais en première ligne : « Longtemps le narcotrafic a été localisé sur les grandes villes, aujourd’hui, il irrigue l’ensemble du territoire national » constate le rapporteur, Etienne Blanc, pour qui les travaux de la commission d’enquête sont « placés sous le signe d’une inquiétude » face à de plus en plus d’Etats européens qui présentent « un certain nombre d’indices de corruption, de violence qui s’achemine vers les narco-Etats ». Pour le sénateur, la lutte contre le trafic tient en deux mots : « Prévenir » et « anticiper ».
Une extension des trafics aux communes rurales
Interrogés sur la situation du trafic et de la consommation de drogue dans leur commune, les maires sont unanimes pour constater une généralisation du phénomène qui n’est désormais plus cantonné aux métropoles. Un constat dont témoigne Yves Asseline, maire de Réville (Manche), petite commune d’un millier d’habitants, qui avait fait la une des journaux en février 2023, 850 kilogrammes de cocaïne ayant été découverts au large des côtes. Une semaine plus tard, près d’une tonne et demie avait été saisie. Au total, le « butin » représentait l’équivalent de 150 millions d’euros.
Hasard du destin ? Pas vraiment selon Michel Fournier, président de l’AMRF (Association des maires ruraux de France) et maire de Voivres, petit village des Vosges de quelques 300 âmes : « Il n’y a plus de territoires qui soient exclus de potentialités de trafics quels qu’ils soient. (…) Même dans une commune de 300 habitants, dans un bassin qui n’en compte que 5000, nous constatons des pratiques régulières » alerte l’élu. Ce dernier met en garde sur les conséquences financières affectant les consommateurs, qui ne sont pas toujours ceux que l’on croit : « La personne qui consomme a généralement de petits moyens, donc souvent des difficultés à payer son loyer, son alimentation, (…) ce qui explique que l’on retrouve un certain nombre de consommateurs clients des Restos du Cœur ». « L’appauvrissement de la population est donc aussi dû aux nouvelles consommations » ajoute-t-il.
Hervé Cherubini, maire de Saint-Rémy-de-Provence (Bouches-du-Rhône) et membre du bureau de l’APVF (Association des Petites Villes de France, qui comprend les communes comprises entre 2500 et 5000 habitants), abonde : « Les communes les plus touchées sont essentiellement les communes situées sur les grands axes, les communes frontalières, celles qui accueillent des grandes infrastructures (aéroports, gares), mais également les communes touristiques ». Communes touristiques qui connaissent tout particulièrement un phénomène « saisonnier » de consommation : « Sur l’ensemble des territoires ruraux ou semi-ruraux qui sont concernés, on observe une consommation qui augmente en fonction des saisons » fait part Denis Mottier, chargé de mission sécurité et prévention de la délinquance à l’AMF (Association des Maires de France), qui tient également à rappeler la situation particulière des départements ultramarins, « en première ligne » face à ces trafics, et qui manquent très souvent de moyens.
Une relation de « confiance » avec les forces de l’ordre
En dépit d’un phénomène qui touche désormais toutes les communes, les maires saluent la « bonne communication » et la « confiance » nouées avec les forces de l’ordre dans le cadre de cette lutte. « J’ai confiance dans les brigades de gendarmerie » salue Hervé Cherubini, pour qui [les maires] sont correctement informés ». Un « partenariat précieux » que certains élus souhaitent renforcer : « L’essentiel pour les petites communes rurales réside dans le partenariat avec la gendarmerie, qui est très satisfaisant. Je souhaiterais qu’il y en ait plus. Il faudrait une prégnance de la gendarmerie » témoigne Yves Asseline. Une intensification qui a déjà commencé pour d’autres problématiques de sécurité : « S’agissant de la commission sécurité et justice mise en place par l’AMRF, des travaux ont permis de renforcer les liens avec la gendarmerie nationale, notamment dans les domaines des cyberattaques, des agressions contre les élus, des dépôts sauvages de déchets ou encore des délits routiers ». Certains élus à l’image de Hervé Cherubini alertent toutefois sur un risque d’explosion des trafics pendant les JO alors que les forces de l’ordre seront concentrées sur les sites olympiques.
En dépit de ces « bonnes relations », les élus témoignent d’une certaine « incompréhension » de la population, qui s’explique notamment par le fait que, malgré la connaissance du phénomène, les forces de l’ordre prennent souvent un certain temps avant d’intervenir. Une intervention différée pour éradiquer le mal à la racine, comme le rappelle Hervé Cherubini : « Quand on a connaissance d’un point de deal, il y a un certain délai entre le moment où on identifie le point et le moment où la gendarmerie intervient et ça, la population ne le comprend pas » remarque l’élu, qui plaide pour un « travail de pédagogie » et la nécessite de « faire preuve de patience ». Une forme de défiance aussi alimentée par la difficile mise en application des politiques publiques de l’Etat comme le rappelle Denis Mottier : « Ce que fait l’Etat est connu mais nous connaissons de grosses difficultés sur la mise en œuvre très locale de ladite politique publique et ses conséquences sur les territoires ».
« Impuissance » et « tristesse »
Face à ce constat, les élus locaux expriment une certaine « impuissance » à pouvoir lutter contre les trafics à leur échelle : « Localement, nous ne sommes pas armés pour lutter face à ce fléau » relève Hervé Cherubini. Incapacité à agir d’un côté et certain fatalisme de l’autre, faute à des moyens suffisants. « Un sentiment de tristesse » relate pour sa part Yves Asseline, qui décrit des élus qui font face à un double phénomène : « Nous sommes confrontés à 2 choses : un risque épisodique de voir de la marchandise arriver en grande quantité et un risque permanent de la consommation ».
La lutte contre les consommateurs est d’ailleurs un des points de difficulté auxquels les élus font face, d’autant plus qu’elle n’engendre généralement pas de trouble à l’ordre public : « On évalue mal, mais cela ne crée pas un désordre tel de sorte à en faire une priorité pour les maires ruraux sauf circonstances exceptionnelles » relève Michel Fournier. Un constat que partage Hervé Cherubini qui dépeint « une consommation à domicile par les propriétaires de luxueuses résidences secondaires » et donc l’ « absence de point de deal ». Pour autant, le maire de Saint-Rémy-de-Provence estime « important de parler des consommateurs en les pénalisant et en les responsabilisant ». « Les consommateurs sont complices et nous sommes tous co-responsables » affirme-t-il, critiquant d’une part le montant « trop faible » des amendes forfaitaires (aujourd’hui de 200 euros) pour les personnes prises en flagrant délit de consommation, d’autre part une déficience du recouvrement des amendes, qui restent souvent impayées.
Cette difficulté de lutter contre le mal à la racine est renforcée également par le manque de formation des élus en la matière, comme le remarque Denis Mottier. Si le chargé de mission reconnaît qu’ « il existe une possibilité pour les élus d’avoir des sensibilisations sur les moyens de prévention que les forces de sécurité peuvent mettre en œuvre sur le volet de la drogue, il constate l’absence de « formation spécifique des élus » sur le sujet. Une lacune renforcée par l’incapacité des communes rurales à « bâtir des campagnes de prévention ». Sur ce point, le chargé de mission sécurité et prévention de la délinquance à l’AMF propose d’ « accompagner les consommateurs sur la sortie de l’addiction par une concertation locale afin que l’ensemble des services qui participent à la lutte contre le phénomène soient mis en relation ». Une concertation qui s’opère avec « 2 partenaires stratégiques » : le CITDR (Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation) et la MILDECA (Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives) … sans oublier les nombreuses réunions avec les commissions de santé, qui « rejoint la problématique des déserts médicaux ».
Sur ce point précis, de nombreux élus montrent leur plus vive « inquiétude » au regard notamment de la disparition de la médecine scolaire, et notamment au collège, « l’âge de la bascule » selon Hervé Cherubini. « La médecine scolaire n’existe plus. Lorsqu’ils n’ont pas de services publics, les maires ne peuvent pas avoir la connaissance de tout », étrille pour sa part Michel Fournier.
« En synthèse, les maires ne peuvent pas agir sur la lutte, car ils n’ont pas mandat pour cela, mais ils peuvent agir indirectement sur les différents linéaments qui alimentent ces trafics », conclut le chargé de mission auprès de l’AMF, Denis Pottier.
Le statut de l’élu local est d’ailleurs au cœur d’une proposition de loi examinée en séance publique cette semaine au Sénat.
Pour aller plus loin