« L’île est dévastée ». C’est par ces mots que commence le point de situation à Mayotte de la cellule interministérielle de crise. Le passage du cyclone Chido dimanche 14 décembre a laissé un territoire exsangue, désolé. C’est une « catastrophe d’une intensité exceptionnelle jamais mesurée depuis 1934 », d’après la cellule de crise. Alors que le climat s’est calmé, arrive le temps de la réponse d’urgence. Mais l’aide est difficile, dans une zone éloignée du territoire hexagonal, à 1 400 km de La Réunion, où les infrastructures et les hôpitaux ont particulièrement souffert.
« Tout est entièrement détruit »
Dans le point d’étape de la cellule de crise, le bilan humain est encore flou et provisoire : 21 morts à l’hôpital, 45 blessés en urgence absolue, 1 500 blessés en urgence relative, au 17 décembre. « 70 % des habitants ont été gravement touchés », peut-on lire dans le document. La mission de reconnaissance aérienne commandée par l’Etat est sans appel : « Tout est entièrement détruit ». L’aéroport a perdu sa tour de contrôle, l’hôpital de Mamoudzou ses urgences, son déchoquage et sa réanimation. 80 % du réseau de téléphone est indisponible, l’eau potable est coupée. Les habitations précaires, très nombreuses sur l’île, sont complètement rasées. Environ 100 000 personnes vivent dans des bidonvilles. Autant de vies difficiles à retracer et à identifier.
« J’ai travaillé sur place après le passage d’Irma en 2017 », raconte Christian Causse, membre du bureau national du Secours Populaire français, en charge de la logistique, « c’est quasiment la même scène, j’ai l’impression de la revivre ». L’ouragan avait ravagé Saint-Martin et Saint-Barthélemy et fait 134 morts et plus de 1 000 blessés. « Quand je suis arrivé sur place et que j’ai vu Saint-Martin », se souvient-il, « les arbres étaient torsadés sur eux-mêmes, il n’y avait plus rien, je me suis dit ‘comment peut-on vivre là ?’ ». Ces paysages, il les retrouve dans les images qui lui parviennent de Mayotte aujourd’hui. « Les gens sont hagards, ils ne savent plus où ils sont, ils cherchent les membres de leur famille, leurs amis, … Ils cherchent à récupérer leurs affaires dans les gravats », décrit-il.
Un couvre-feu instauré
Depuis dimanche, les ministères se sont mobilisés et ont mis en place des aides d’urgence. L’île de La Réunion est utilisée comme base arrière. C’est là qu’est fixé le pont humanitaire où arrivent les vols qui permettent d’acheminer du matériel médical, des vivres et de l’eau, mais aussi du personnel de secours. L’armateur CMA-CGM a affrété un navire transportant de l’eau, de la nourriture et de quoi amorcer une reconstruction des logements. Des effectifs sont envoyés en renfort : 800 personnels de la sécurité civile, 400 gendarmes, ou encore 35 policiers du RAID. Un hôpital de campagne est prévu pour le jeudi 19 décembre. Les axes routiers, endommagés, sont presque remis en état, avec « 70 à 75 % du réseau routier départemental et national est dégagé », d’après la cellule de crise. Des missions de recensement des morts, des besoins sanitaires et d’hébergement sont lancées.
Autour de la désolation, des tensions naissent. Le ministère de l’Intérieur fait état d’échauffourées près des stations-service, dont les deux-tiers sont réquisitionnés pour les secours. Pour éviter les violences, Beauvau a instauré ce mardi un couvre-feu de 22 heures à 4 heures du matin sur l’île.
« Aujourd’hui, la situation est urgente sur le plan du soutien psychologique »
L’Etat n’est pas le seul acteur à se mobiliser pour venir en aide aux Mahorais sinistrés. De nombreuses ONG, spécialisées dans la gestion de crise, ont lancé lundi 16 décembre des appels aux dons pour pouvoir intervenir. C’est le cas du Secours Populaire, de la Protection Civile, ou encore de la Fondation de France ou de la Croix Rouge.
Ils sont à pied d’œuvre pour venir en soutien des populations. « Nous avons sollicité nos partenaires sur la zone », explique Christian Causse, « ils ont déjà commencé à recenser les besoins, nous organisons la solidarité avec nos partenaires alentour, les Comores et La Réunion ». Le Secours Populaire travaille avec des associations locales, et leur fournit des moyens financiers. La Protection Civile, elle, organise un pont aérien entre La Réunion et Mayotte, et a envoyé sur place dès samedi un coordinateur, pour superviser la logistique.
« Aujourd’hui, la situation est urgente sur le plan du soutien psychologique », s’inquiète Christian Causse. En plus des besoins en eau et en nourriture, la situation des sinistrés est précaire sur le plan moral : la plupart ont vu leurs habitations endommagées ou détruites, n’ont pas de nouvelles de leurs proches, … C’est également le constat que fait Jérémy Crunchant, porte-parole de la Protection Civile.
« Notre priorité est la sécurité des bénévoles », explique ce dernier. Alors que la Croix Rouge peine à joindre près de 200 de ses 437 membres présents sur l’île, cet aspect devient capital. Il faut qu’ils puissent dormir, se nourrir, être en sûreté, sur le territoire qu’ils viennent aider. Car la situation de détresse dans laquelle se trouvent les habitants de l’île peut vite dégénérer. « Pendant Irma à Saint-Martin, les associations qui donnaient ‘au cul du camion’ ont été prises d’assaut », se souvient Christian Causse, « il faut sécuriser, on ne peut pas dire que des centaines de milliers de personnes affamées vont avoir un comportement normal, alors qu’elles sont apeurées ».
« Nous n’avons pas les moyens de financer un vol humanitaire »
Pour autant, ces associations rencontrent des difficultés pour venir en aide aux Mahorais. Les conditions matérielles extrêmement dégradées et la distance de l’île au territoire hexagonal rendent la tâche plus difficile, mais ce n’est pas le principal frein à leur action. « Ce sont les fonds qui manquent », explique Jérémy Crunchant, « pour envoyer un kit catastrophe par fret humanitaire aérien, il faut compter minimum 50 000 euros, c’est très cher. Nous n’avons pas les moyens de financer un vol humanitaire ». Alors, l’association prévoit d’acheminer les bénévoles qu’elle envoie mercredi sur place par un vol commercial. Avec dans leur sac des moyens satellitaires, pour rétablir les télécommunications, « parce qu’ils rentrent dans un bagage cabine », précise-t-il.
Le plan de soutien de ces associations se déroule sur plusieurs mois, voire plusieurs années, tant la reconstruction prend du temps. « Alors que l’ouragan Irma est passé en 2017 sur Saint-Martin, nous sommes toujours présents sur place pour aider les populations », précise Christian Causse. La Protection Civile, engagée auprès du Maroc après le séisme meurtrier de septembre 2023, est toujours présente dans la zone sinistrée. « C’est important de parler sur la durée », affirme son porte-parole. Car après l’aide d’urgence, l’acheminement de personnel médical, de vivres et de soins, il faut aider à la reconstruction. Ce que redoutent les associatifs, c’est l’oubli, une fois que la situation se sera un peu calmée. Christian Causse est formel : « Il faut appeler à donner, ce ne sont pas trois jours de médiatisation qui vont régler le problème ». Depuis le lancement de son appel aux dons le 16 décembre, le Secours populaire a récolté 300 000 euros. « Ce n’est rien par rapport à l’urgence, il faut collecter encore plus, les besoins sont colossaux », s’inquiète son porte-parole. Le site associations.gouv.fr recense les appels aux dons d’ONG pour venir en aide à Mayotte. Un élan de soutien populaire dont l’île a besoin, à quelques jours des fêtes de fin d’année.