illustration: petite Mairie et son drapeau francais.

« Les collectivités territoriales subissent l’incurie du gouvernement » : les sénateurs et les représentants des collectivités vent debout face aux nouvelles économies demandées aux territoires

Alors que Bruno Le Maire réunissait aujourd’hui le Haut Conseil des finances publiques locales, instance créée par le ministre de l’Economie en septembre dernier, afin d’inscrire les collectivités locales dans la trajectoire de baisse des dépenses publiques, les craintes montent du côté de ces dernières, déjà lourdement impactées ces dernières années. Au Sénat, la colère gronde également : « On ne peut pas nous demander de faire plus avec moins », tance Dominique Estrosi-Sassone, présidente LR de la commission sénatoriale des affaires économiques.
Alexis Graillot

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« Hashtag fatigue », nous lance un sénateur socialiste, pour résumer le mélange des sentiments qui animent ce mardi 9 avril, les élus locaux, alors que le gouvernement s’apprête à demander de nouveaux efforts budgétaires aux collectivités territoriales.

Invité ce matin dans la matinale de Public Sénat, le président de l’Association des Maires de France (AMF) et maire LR de Cannes, David Lisnard, avait renvoyé l’Etat à ses responsabilités, estimant que la mauvaise gestion des finances publiques de l’exécutif, ne devait pas retomber sur les collectivités locales. Un argument partagé par l’ensemble des élus, de gauche comme de droite : « Le gouvernement veut nous faire participer au déficit, mais ce déficit n’est pas le nôtre », tempête de son côté André Laignel, premier vice-président délégué de l’Association des maires de France et président du Comité des finances locales, à la sortie d’une réunion avec Bruno Le Maire, ce mardi matin.

« Le gouvernement cherche des responsables tous azimuts »

Sans surprise, les sénateurs ont fait part de leur colère à la suite de ce nouveau coup de rabot demandé aux collectivités locales, alors que celles-ci, contrairement à l’Etat, sont tenues de présenter un budget à l’équilibre : « Je n’en pense que du mal, c’est un très mauvais signal », tonne Dominique Estrosi-Sassone, qui estime pour sa part que « d’autres champs d’économie sont possibles », notamment au sein des dépenses de l’Etat. « On ne touche pas aux collectivités », nous lance à la volée, Corinne Imbert, sénatrice apparentée-LR.

Soupe à la grimace aussi à gauche, qui dénonce un « aveuglement du gouvernement sur la réelle situation des collectivités territoriales », selon André Laignel, premier vice-président délégué de l’Association des maires de France et président du Comité des finances locales. Le ton est encore plus vindicatif du côté d’Éric Kerrouche, sénateur socialiste des Landes, qui dénonce la « profonde irresponsabilité » de l’exécutif : « Il est un peu facile de se placer dans la logique gouvernementale, qui d’une part, baisse de manière systématique tout ce qui est ressources fiscales (…) et d’autre part, se refuse de mettre en place de mettre la taxation des superprofits. En gros, ce sont les collectivités qui subissent l’incurie des gouvernements », fulmine-t-il, critiquant des « discours purement dogmatiques ». « Le gouvernement cherche des responsables tous azimuts, alors qu’il n’a fait que baisser les impôts pour les plus riches », attaque la sénatrice communiste de Seine-Maritime, Céline Brulin, qui remarque que « même les plus dogmatiques revoient leur copie ». Ces derniers jours, certains élus LR (même s’ils ne sont pas nombreux), ont en effet ouvert la porte à une taxation des superprofits.

 Nous sommes au bout d’un système qui ne pourra pas être réformé par le conformisme technocratique, qui nous gouverne depuis 40 ans 

David Lisnard, maire LR de Cannes et président de l'Association des Maires de France (AMF)

« Ne pas transformer les collectivités territoriales en filiales de l’Etat »

« L’effort doit être demandé à tout le monde », demande de son côté Christine Lavarde, sénatrice LR des Hauts-de-Seine et membre de la commission des finances. Bien évidemment, à droite, on se refuse à mobiliser le levier fiscal : « Nous n’avons eu jamais autant de prélèvements obligatoires », rappelle David Lisnard, qui estime pour sa part que « plus l’Etat prélève sur les collectivités, les entreprises et les ménages, plus il est en déficit ». Corrélation fortuite ou causalité réelle, reste que « cette ponction supplémentaire de l’Etat de 2.5 milliards d’euros sur les collectivités » envisagée par Bercy, « s’ajoute aux 71 milliards déjà prélevés depuis 2010 », regrette le président de l’AMF, qui appelle à une refonte complète de l’organisation des pouvoirs publics : « Nous sommes au bout d’un système qui ne pourra pas être réformé par le conformisme technocratique, qui nous gouverne depuis 40 ans ».

Le pessimisme semble cependant régner parmi les élus, quant à l’avenir des moyens financiers des collectivités : « On veut faire disparaître le principe d’autonomie financière », alerte Dominique Estrosi-Sassone, qui estime « qu’on ne peut pas demander aux collectivités de faire plus avec moins ». « Les collectivités font vivre le territoire au niveau de la commune », explique de son côté le sénateur et conseiller départemental LR de l’Oise, Olivier Paccaud, qui souligne les « 50 millions de budget pour le soutien des intercommunalités et des communes », engagés par le département pour investir. « Nous sommes les champions en la matière », se félicite l’élu.

 Penser qu’en supprimant le niveau, on va supprimer les dépenses, pardonnez-moi l’expression, on est dans la connerie 

Eric Kerrouche, sénateur socialiste des Landes

« Bercy, ce sont des « cost killers » »

Un pied de nez aussi en réponse à un exécutif qui n’avait pas fermé la porte à la suppression d’un échelon, avec dans le viseur, les départements : « Je suis convaincu que l’accumulation de strates administratives comme locales, a un coût vertigineux », s’était alors défendu le ministre de l’Economie devant la commission des finances sénatoriale, le 6 mars dernier. Un argument qui fait bondir Eric Kerrouche : « Enfin, comme si la suppression d’un échelon allait régler les problèmes », s’agace le sénateur des Landes. « Lorsqu’on regarde ce qui se fait chez nos voisins, il n’est pas anormal d’avoir 3 niveaux de gouvernement », appuie-t-il, nous demandant, rhétoriquement : « On peut supprimer un niveau mais vous pensez sérieusement que les responsabilités vont être supprimées ? ». « Penser qu’en supprimant le niveau, on va supprimer les dépenses, pardonnez-moi l’expression, on est dans la connerie », proteste l’élu socialiste, qui attribue une partie de la trésorerie des collectivités à « l’incertitude systémique dans laquelle elles sont placées », étant donné la baisse de leurs dotations. « En 2023, leurs réserves ont été entamées de plus de 4 milliards d’euros », tempête-t-il. Pour autant, rien de surprenant pour le sénateur « avec un gouvernement qui aime autant les territoires », conclut-il, ironiquement.

« Bercy, ce sont des costs killers », relève pour sa part la présidente centriste de la délégation aux collectivités territoriales, Françoise Gatel, qui est néanmoins, du reste, plus mesurée que ses collègues : « On peut comprendre que l’Etat veuille surveiller les finances », qui contrairement à Eric Kerrouche, ne constate pas une baisse des dotations en faveur des collectivités : « On a connu l’époque des gouvernements socialistes où on nous annonçait des baisses de dotation de 30 à 40% », fustige-t-elle, estimant qu’au contraire, Gabriel Attal « porte avec conviction la nécessité et l’exigence de l’efficacité de l’action publique jusqu’au dernier kilomètre ». « Je crois qu’il est sincère et volontaire », se veut confiante la présidente de la délégation aux collectivités. De son côté, l’élue centriste appelle à donner de la « lisibilité » et de la « sécurité » aux budgets des collectivités, à travers un « horizon minimal de 3 ans ».

« On commence à se lasser des réunions sempiternelles »

A la sortie de la réunion à Bercy entre le ministre de l’Economie, le Haut Conseil des finances publiques locales, ainsi qu’une délégation des représentants des principales associations d’élus locaux, on ne semble en revanche guère plus avancés sur les intentions du gouvernement : « Nous allons attendre, il y a un doute », tempère Carole Delga, présidente socialiste de la région Occitanie, qui estime cependant que les collectivités « ne peuvent pas être montrées du doigt comme étant des élèves car la part de la dette des collectivités dans le PIB est stable depuis plus de 40 ans », et ce, alors même que celles-ci ont connu « de nombreux transferts de dépenses de la part de l’Etat ». Un constat partagé par David Lisnard, qui rappelle que « 19% des dépenses viennent des collectivités, 31% de l’Etat et 50% des comptes sociaux ». « Ce n’est pas nous qui avons demandé d’être sous tutelle de l’Etat par des mesures telle la suppression de la taxe d’habitation, qui ne se sont pas traduits par une baisse des prélèvements obligatoires », tance le président de l’AMF, qui fait valoir que « ce n’est pas en continuant de centraliser et en infantilisant les collectivités qu’on règlera les problèmes des comptes publics ».

« Une meilleure efficience est possible mais à condition que l’Etat arrête d’interférer dans le champ de nos actions (…) et [accepte] de mener plus de décentralisation », abonde Carole Delga, qui se félicite d’une « gestion rigoureuse » de la part des collectivités, alors même que « les ministres ont constaté que nous avons fait face depuis le Covid à une explosion de nos dépenses (énergie, carburant) et [que] nos dotations n’ont pas augmenté ».

L’ombre des « effets de secousse »

La crainte des collectivités est enfin celle du mécontentement des citoyens, face à des élus locaux en première ligne : « La France est assise sur un baril de poudre », s’alarme André Laignel. « Si nous n’avons plus la capacité à répondre à leurs attentes, la colère va s’aggraver », s’inquiète-t-il, rappelant le « besoin de moderniser notre pays » et de « tenir compte des nécessités climatiques », avant d’avertir le gouvernement : « Si on veut nous empêcher de faire ce qui est nécessaire pour le bien-être de nos concitoyens, nous n’en serons pas ».

« On ne peut pas nous demander de plus investir sur la transition écologique et nous demander des efforts », déplorait de manière analogue, quelques minutes plus tôt, David Lisnard, à notre micro. « Les collectivités ne sont pas au service de l’Etat, ce sont aux habitants de décider ce qu’ils veulent que l’on fasse dans leur commune », rappelait-il. « La France a le moral bas. (…) On commence à se lasser des réunions sempiternelles », soupire de son côté la présidente de la région Occitanie, Carole Delga. De son côté, Françoise Gatel incite à « faire attention aux effets de secousse » : « Vous ne pouvez pas dire à nos concitoyens qu’ils n’auront que du sang et des larmes (…) sans en expliquer les raisons », avertit-elle, mentionnant au passage les démissions d’élus face au manque de visibilité : « La frugalité budgétaire doit s’accompagner d’intelligence et de pertinence », avance l’élue bretonne, pour qui « investir c’est dépenser, mais aussi construire des écoles, des équipements », ainsi que « de l’argent qui retourne vers les entreprises ».

Si l’emploi des mêmes éléments de langage à gauche comme à droite n’est pas très surprenant, les élus étant unanimes dénoncer cet énième coup de rabot, c’est plus l’utilisation du même vocable qui est plus déconcertant. Bien sûr, les réponses diffèrent entre élus sur la volonté soit d’aller chercher de nouvelles recettes (à gauche), soit de faire des économies supplémentaires dans les dépenses de l’Etat (à droite), mais tous soutiennent la nécessité de laisser des marges de manœuvre aux collectivités pour investir, au risque d’« accentuer la crise démocratique », alors que les élus locaux sont aujourd’hui les seuls à bénéficier d’une certaine confiance des Français. Dans la dernière enquête du CEVIPOF sur la confiance politique, le maire apparaît toujours comme la personnalité politique des Français avec 60% d’opinions favorables, loin devant les conseillers départementaux (47%) et régionaux (45%), mais surtout très loin devant les élus nationaux, qu’ils soient députés (39%) ou membres de l’exécutif (respectivement 35% et 29% pour le Premier ministre et le président de la République).

En tous les cas, à l’heure où l’inflation normative constitue un vrai sujet pour les collectivités, en atteste la présence du Premier ministre à l’anniversaire de la signature de la charte de simplification entre l’Etat et les territoires, la nécessité de « tracer un chemin ensemble », des mots de Françoise Gatel, semblent prendre tout leur sens : « Quand on sait qu’entre 2017 et 2022, le coût supplémentaire des normes est de 2.5 milliards d’euros, on peut regarder de ce côté-là », souligne-t-elle. Un chiffre d’autant plus ironique que les économies supplémentaires demandées aux collectivités selon le président de l’AMF sont de … 2.5 milliards d’euros. Simple coïncidence ?

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