Du calendrier des aides aux règles d’urbanisme, le Sénat amende en commission le projet de loi d’urgence pour Mayotte

Du calendrier des aides aux règles d’urbanisme, le Sénat modifie en commission le projet de loi d’urgence pour Mayotte

Les sénateurs ont adopté en commission ce 29 janvier le projet de loi de reconstruction pour l’archipel mahorais. Sous l’impulsions des rapporteures, ils sont revenus sur plusieurs modifications introduites par les députés.
Guillaume Jacquot

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L’examen du projet de loi d’urgence pour Mayotte se poursuit au Parlement. Un mois et demi après le passage dévastateur du cyclone Chido, le texte a franchi une nouvelle étape ce 29 janvier en sortant de la commission des affaires économiques du Sénat. L’examen en séance publique aura lieu le 3 février. Il vise à adapter les règles d’urbanisme et de construction, et aménager les règles de la commande publique pour accélérer la reconstruction de l’île. Il comporte également plusieurs mesures d’ordre économique et social pour soutenir les entreprises et la population.

Les modifications sénatoriales ont consisté notamment à renforcer le rôle des élus locaux dans les opérations de reconstruction et à conserver le caractère limité dans le temps de certains dispositifs sociaux.

Rétablissement de l’article facilitant l’implantation de constructions temporaires

Moyennant de nouvelles garanties, les sénateurs ont rétabli l’article 3, qui avait été supprimé à l’Assemblée nationale. Il visait à faciliter l’installation en urgence, pour une durée maximale de deux ans, de constructions temporaires pour héberger les habitants sinistrés. « Ce sera bien encadré, le maire devra donner son accord, ce sera une décision prépondérante sur l’implantation », a défendu la rapporteur Micheline Jacques. Les sénateurs veulent des destinations précises, en particulier des logements temporaires pour les travailleurs du bâtiment en renfort, les bureaux ou encore les écoles.

Objet de vives crispations localement, l’article 10 n’a pas été ressuscité au Sénat. Il prévoyait une autorisation pour le gouvernement à légiférer par ordonnances dans le champ des procédures d’expropriation, pour faciliter la réalisation d’ouvrages publics. Une habilitation bien trop large selon les sénateurs, qui ont pris en compte les angoisses exprimées par les habitants. « Nous n’avons pas souhaité, à ce stade, réintroduire cet article. Mais nous avons indiqué à plusieurs reprises au ministre qu’il nous semblait possible d’inscrire dans la loi ce qu’il souhaitait faire, et sur quel domaine il souhaitait faire ces expropriations », a précisé la rapporteure Isabelle Florennes (Union centriste).

Toujours en matière de reconstruction, les sénateurs ont tenu à limiter les possibilités de travaux ou de réfection avant l’obtention de l’autorisation d’urbanisme. Leur rédaction permettra l’installation, dès le dépôt de la demande des infrastructures nécessaires au chantier (comme les cabanes de chantier). Elle retire en revanche la possibilité de procéder à des travaux de terrassements ou de fondations.

Les sénateurs ont également décidé d’inscrire dans le texte l’interdiction de la revente de tôles entre particuliers, dans l’optique d’éviter un marché parallèle et la reconstruction de bidonvilles. Cette mesure avait déjà fait l’objet d’un arrêté préfectoral.

L’automaticité du renouvellement de certains filets de protection limité dans le temps

Concernant les mesures économiques et sociales, les sénateurs se sont employés à revenir à la version du texte initial déposé par le gouvernement. C’est le cas pour la suspension de l’obligation de paiement des cotisations et contributions sociales dues par les employeurs ou encore les travailleurs indépendants (à l’article 18). Les députés avaient prolongé la suspension de droit jusqu’au 31 décembre 2025, et permis un renouvellement par décret jusqu’au 31 décembre 2026. Les sénateurs ont ramené la date butoir dans la loi au 31 mars 2025, et la possibilité de l’étendre par décret jusqu’au 31 décembre 2025. « Le caractère d’urgence impose que les mesures soient limitées dans le temps », résume Christine Bonfanti-Dossat, rapporteure (LR) pour avis de la commission des affaires sociales.

Il en est de même pour le renouvellement automatique des droits et prestations versés aux assurés mahorais qui expiraient au 14 décembre 2024. Le texte sorti de l’Assemblée prévoyait de fixer une date butoir au 30 juin, les sénateurs ont ramené la limite au 31 mars, pour l’aligner sur celle du renouvellement des allocations chômage des demandeurs d’emploi qui arrivent en fin de droits. En fonction de l’évolution de la situation sociale et des conditions matérielles, la période pourra néanmoins être renouvelée par décret jusqu’au 31 décembre, au plus tard.

Le régime de l’appui aux associations revu en commission au Sénat

Le texte sénatorial procède également à une série d’ajustements sur la facilitation des dons de particuliers. Le texte issu de l’Assemblée nationale prévoyait une défiscalisation à hauteur de 75 %, dans une limite de 3 000 euros, une modification intervenue en séance. Les sénateurs ont ramené le plafond d’exonération à 1 000 euros, soit le niveau habituel retenu pour majorations exceptionnelles de réductions d’impôt comme le dispositif Coluche.

Une modification obtenue par la députée RN de Mayotte Anchya Bamana a été retirée du texte. Son amendement visait à l’assurer que l’argent issu des dons ne pourrait être affecté par une association « à des actions visant la régularisation de ressortissants étrangers en situation irrégulière ». Pour la rapporteur Micheline Jacques, les actions qui peuvent être financées sont définies dans le projet de loi. La majoration de l’exonération fiscale est applicable si les associations « fournissent gratuitement des repas ou des soins aux personnes en difficulté ou contribuent à favoriser leur logement ».

Un renforcement du rôle des élus locaux

La chambre des territoires s’est également fait le relais des préoccupations des élus locaux mahorais, qui tiennent à être véritablement parties prenantes dans les opérations de reconstruction. Une délégation en avait fait l’une de ses revendications en rencontrant le 20 janvier le président du Sénat, Gérard Larcher. Les sénateurs ont consolidé le rôle des élus au sein de l’établissement public, chargé de coordonner la reconstruction de l’archipel. La présidence du conseil d’administration sera confiée au président du conseil départemental.

Le texte prévoit par ailleurs que la reconstruction ou la rénovation des écoles publiques soit confiée par l’Etat, au lieu des collectivités locales, initialement « sur avis conforme des communes concernées ». Les sénateurs ont « retourné la charge », en exigeant que ce type d’opération émane d’une « demande » des communes. « J’ai eu, dès le départ, le sentiment que la population mahoraise et les élus n’avaient été associés à ce texte. Il m’a semblé inconcevable qu’on puisse décider à 8 000 kilomètres de mesures d’urgence, sans associer, sans s’adapter aux réalités du territoire », a réagi ce mercredi la rapporteure Micheline Jacques, en visite sur l’île la semaine dernière.

À l’issue des débats au Sénat, une commission mixte paritaire devrait rapprocher les deux versions des deux chambres le 10 février, a précisé la présidente de la commission des affaires économiques.

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