Luc Carvounas, maire (PS) d’Alfortville, a dénoncé à son tour ce jeudi l’ampleur des économies demandées aux collectivités, notamment les communes, dans le cadre du budget 2025. « On n'est pas en train de se plaindre, a-t-il insisté, invité de la matinale de Public Sénat. Nous les maires, nous sommes des gens responsables. » Il attend un geste du Premier ministre Michel Barnier cet après-midi, en clôture du Congrès des maires de France.
Budget : le gouvernement réfléchit-il à la création d’un nouvel impôt local ?
Par François Vignal
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Dans son budget 2025, le gouvernement demande un effort de taille aux collectivités : 5 milliards d’euros. Mais celles-ci pourraient-elles profiter de nouvelles recettes ? La réponse pourrait passer par la création d’un hypothétique nouvel impôt local. Attention, à l’heure des 20 milliards d’euros de hausses d’impôts (30 milliards, selon le Haut conseil des finances publiques), prononcer les mots « nouvel impôt » est vite explosif.
Nouvel impôt basé sur le foncier ? Hausse des frais de notaire ?
Dans la majorité, le sujet est pourtant évoqué, sous le manteau. « Au sein du gouvernement, l’idée de recréer un impôt local, qui irait aux collectivités, est en arbitrage », avance en début de semaine un député Renaissance, qui évoque même « peut-être un deal » avec les collectivités, pour faire passer la pilule des 5 milliards d’euros d’économies. « Ça leur ferait plaisir. En tout cas, il y a une réflexion », ajoute le même. S’il ne s’agirait pas de recréer la taxe d’habitation, supprimée par Emmanuel Macron et dont bénéficiaient les collectivités, ce nouvel impôt « viserait les ménages et reposerait sur le foncier au sens large ». Autre piste évoquée : « Un relèvement temporaire des DMTO », les droits de mutation à titre onéreux, plus connus sous le nom de frais de notaire, acquittés lors d’une transaction immobilière. Ce sont les départements et les communes qui empochent les recettes.
Une piste qu’avait évoquée Emmanuel Macron lui-même, au cours d’une conversation avec le président (divers centre) du département de l’Aisne, Nicolas Fricoteaux. « Le président de la République m’a dit, lors d’un échange, qu’on pourrait peut-être augmenter le taux des DMTO », a confié le président de l’exécutif axonais, lors d’un déplacement à Laon, mardi, du rapporteur LR du budget au Sénat, Jean-François Husson, auquel publicsenat.fr a assisté (voir notre reportage).
Devant tant d’imagination fiscale, dans les rangs de « la macronie historique », fidèle au refus de toute hausse d’impôts, on prévient : « On abhorre cette mesure » de créer un nouvel impôt. « Bon courage ! C’est vouloir se tuer », lance un autre député Renaissance. « On est totalement contre. Je n’y crois pas un instant. Il y a beaucoup de ballons d’essai », tempère ce parlementaire qui connaît bien le groupe EPR (Ensemble pour la République).
« Pas de tabou » dans la « réflexion » sur la fiscalité locale au gouvernement
Reste qu’il n’y a pas de fumée sans feu. Le sujet de la fiscalité locale a bien été évoqué par deux membres du gouvernement, la ministre du Partenariat avec les territoires et de la Décentralisation, Catherine Vautrin, et le ministre du Budget des Comptes publics, Laurent Saint-Martin, devant le Comité des finances locales, le 8 octobre dernier. Ils y présentaient les 5 milliards d’efforts demandés.
« Au comité des finances locales, la semaine dernière, les ministres Laurent Saint-Martin et Catherine Vautrin ont effectivement dit qu’il n’y avait pas de tabou en matière de fiscalité locale. Et qu’ils n’étaient pas opposés à une réflexion sur le sujet pour ouvrir plus d’autonomie aux collectivités », confirme-t-on de source gouvernementale, avant de préciser aussitôt : « Il n’y a aucun dispositif, ni de périmètre d’arrêtés. Ça fait partie des échanges à avoir avec les collectivités, il peut y avoir un travail sur le sujet. Le gouvernement ne ferme pas la porte à cette éventualité ».
« Il n’y a pas de projet de la ministre ou du gouvernement de création d’un nouvel impôt local »
Du côté du ministère des Partenariat avec les territoires, on écarte encore plus clairement l’hypothèse. « Il n’y a pas de projet de la ministre ou du gouvernement de création d’un nouvel impôt local », soutient à publicsenat.fr l’entourage de Catherine Vautrin. Autrement dit, il n’y aura rien dans le projet de loi de finances 2025. Et de préciser les propos de la ministre : « Lors du Comité des finances locales, la ministre s’est montrée ouverte à un débat sur la fiscalité locale et pense que les collectivités doivent retrouver un pouvoir d’agir et une meilleure maîtrise de leurs recettes. Elle est à l’écoute des propositions en ce sens », fait valoir le cabinet de Catherine Vautrin.
Comme le rapporte Le Monde, la ministre des Partenariat avec les territoires s’est de nouveau montrée prête à réfléchir à la fiscalité locale, jeudi 17 octobre, lors de la convention d’Intercommunalités de France, rappelant que « toute une partie de la population ne participe aucunement à l’effort global ».
« Ça fait un moment que la création d’un impôt résidentiel est dans les tuyaux »
En réalité, le sujet n’a rien de nouveau. « Ça fait un moment que la création d’un impôt résidentiel est dans les tuyaux », rappelle un sénateur au fait du sujet, qui pense aussi qu’« il faudrait redonner la main aux collectivités, avec une ressource qu’elles peuvent piloter ».
Au Sénat, la question est en effet dans les radars. « Depuis 2 ans, Gérard Larcher dit qu’il faut remettre un impôt résidentiel », expliquait mardi Jean-François Husson au président du département de l’Aisne. Cela fait même plus longtemps que ça. Dès 2017, le président de la Haute assemblée expliquait la nécessité de remplacer la taxe d’habitation, dont Emmanuel Macron venait d’annoncer la suppression. « J’ai proposé de faire une taxe locale, moderne et adaptée qui constitue un lien entre des citoyens et une collectivité locale », affirmait ainsi le sénateur LR des Yvelines, lors du congrès des maires.
Dès 2017, Gérard Larcher voulait créer « une fiscalité locale moderne à la main des collectivités »
Quelques jours plus tard, dans un entretien aux Echos, Gérard Larcher évoquait cette « fiscalité nouvelle » et appelait à « inventer une fiscalité locale moderne à la main des collectivités locales. Puisque la taxe d’habitation est morte, vive autre chose ! »
Plus récemment, lors du congrès des Régions de France, en septembre 2023, il demandait d’« aller plus loin dans l’autonomie fiscale », en instaurant « une véritable autonomie financière et fiscale des collectivités, avec un panier de recettes clair pour chacune d’entre elles. Revoyons complètement un système de financement complètement à bout de souffle ».
Propositions du Sénat pour « renforcer l’autonomie fiscale des collectivités »
Les sénateurs se sont évidemment emparés du sujet au cours de leurs travaux, nombreux sur les collectivités. En juillet 2023, le groupe de travail sur la décentralisation avait ainsi mis sur la table 15 propositions, dont la numéro 10 : « Renforcer l’autonomie fiscale des collectivités territoriales et le lien démocratique essentiel, opéré par l’impôt, entre les citoyens et leurs collectivités ».
Appelant à un « big bang des finances locales », le rapport préconise « d’affecter à chaque échelon de collectivités une part suffisante de ressources localisées sur lesquelles elles peuvent exercer un pouvoir de taux ou d’assiette ». Mais pour les sénateurs, cette réforme impliquerait, « au niveau de l’ensemble des administrations publiques, un effort de réduction de la pression fiscale pesant sur nos concitoyens et sur les entreprises ».
David Lisnard pour « un impôt résidentiel, au niveau des mairies, et un impôt économique, au niveau des intercommunalités »
Parmi les associations d’élus, l’Association des maires de France (AMF) pousse particulièrement dans le sens de l’option nouvel impôt. « Il faut une nouvelle organisation de la fiscalité, […] que les habitants se sentent concernés par la dépense. Or, aujourd’hui l’impôt local ne repose que sur les propriétaires », pointait du doigt le président de l’AMF et maire LR de Cannes, David Lisnard, invité de Public Sénat le 9 avril dernier.
Cette nouvelle fiscalité, le président de l’AMF l’imagine en plusieurs pans : « Il faut un impôt résidentiel, qui soit au niveau des mairies, du bloc communal, un impôt économique qui soit au niveau des intercommunalités, etc ». Et si on les appelait taxe d’habitation et taxe professionnelle, les deux impôts locaux supprimés ?
« Sujet hyper inflammable dans la période »
On le voit, le sujet est mûr, du moins avancé, dans la tête des acteurs. Le gouvernement serait-il tenté aujourd’hui d’avancer la carotte d’un nouvel impôt local, en contrepartie du bâton des 5 milliards d’euros d’économies ? « Si la porte est ouverte sur le sujet, ce n’est pas du donnant-donnant », assure un conseiller, « il n’y a pas de logique de marchandage ». On comprend surtout que le gouvernement marche sur des œufs. « C’est un sujet hyper inflammable dans la période », alerte-t-on. Au moment d’augmenter les impôts, il semble en effet pour le moins périlleux, politiquement, d’annoncer aujourd’hui la création d’un nouveau prélèvement.
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