Autonomie de la Corse : « Aujourd’hui, le feu couve sous la cendre », avertit Gilles Simeoni
Par Hugo Ruaud
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Après Gérald Darmanin, Gilles Simeoni va tenter de convaincre les sénateurs. Le président du conseil exécutif de Corse, autonomiste depuis des décennies, est auditionné mercredi après-midi au Sénat au sujet de l’évolution institutionnelle de l’Île de beauté. Mi-mars, le gouvernement et les élus corses sont tombés d’accord sur un projet d’écriture constitutionnelle. Le document, qui tient en une page, prévoit de doter la Corse « d’un statut d’autonomie au sein de la République », tenant compte de « ses intérêts propres, liés à son insularité méditerranéenne et à sa communauté historique, linguistique, culturelle ».
A l’issue de cet accord, Gilles Simeoni a vanté le caractère « irréversible » de ce « pas considérable » vers une Corse autonome. C’était sans compter sur les sénateurs, dont certains sont farouchement opposés au projet. « Le projet sur la Corse revient à constitutionnaliser le communautarisme », s’est insurgé le président du groupe LR au Sénat, Bruno Retailleau. Beaucoup, à droite, voit derrière ce texte un précédent susceptible d’ouvrir une boîte de Pandore concernant les autres régions aux velléités d’autonomie (Alsace, Bretagne, Pays basque…). Gérard Larcher, président du Sénat, se dit « pour une autonomie, pour l’application pleine et entière d’une loi qui permettrait à l’assemblée territoriale de Corse de prendre des initiatives », mais tient à ce que le projet passe par le Parlement, dont c’est le « rôle ».
Blocage sur la compétence « législative »
Gilles Simeoni a donc bien conscience d’arriver au Sénat en terrain difficile. « Au moment où on parle, le président Gérard Larcher a déjà exprimé ses réserves, pour ne pas dire un peu plus, par rapport à un transfert de compétences de nature législative », concède l’élu corse, invité mercredi matin sur le plateau de Public Sénat. Pour autant, la compétence législative reste une priorité, pour ne pas dire une ligne rouge, chez les autonomistes : « Le transfert d’un pouvoir de nature législative est un critère nécessaire d’une véritable autonomie », assure Gilles Simeoni, qui va « vers le président Larcher comme je suis allé vers le gouvernement : avec une légitimité démocratique, des convictions profondes, et la légitimité historique d’un combat qui s’est inscrit sur plus de 60 ans ». Les arguments de l’élu corse sont multiples : les urnes, l’histoire, la géographie. Il rappelle d’ailleurs que « toutes les grandes Îles méditerranéennes sont autonomes depuis longtemps ».
Autonomie, un pas vers l’indépendance ?
En face, la crainte des sénateurs est double. Celle d’un texte qui ancre le « communautarisme dans la Constitution », comme l’a dit Gérard Larcher sur France 2 d’abord, mais aussi celle d’une autonomie faux nez d’une indépendance à venir. « C’est une crainte récurrente instrumentalisée par les tenants du conservatisme », déplore Gilles Simeoni. Le président du conseil exécutif de Corse prend l’exemple de la Sardaigne, « autonome depuis la fin de la seconde guerre mondiale » et dont « le mouvement indépendantiste est aujourd’hui extrêmement minoritaire ». « Il n’y a pas de déterminisme qui puisse permettre de dire que lorsqu’on va vers l’autonomie, on va vers l’indépendance », conclut l’élu corse. Au scepticisme jacobin de certains sénateurs, Gilles Simeoni veut opposer son optimisme et sa bonne volonté : « L’Etat, la nation française sont suffisamment forts pour pouvoir reconnaître la Corse, le peuple corse, la nature insulaire du territoire et son statut d’autonomie ». Surtout, l’élu corse lance un avertissement. Il invoque l’autonomie de l’Île comme « une aspiration légitimée par les urnes, inscrite dans la durée, qui a aussi conduit à un conflit lourd avec des centaines de morts, des milliers d’attentats et d’années de prison distribuées au fil des décennies ». « Traiter cette inspiration en disant non, nous n’avancerons pas, c’est risquer de mettre le couvercle sur la marmite ».
Risques de « crise politique majeure »
« Aujourd’hui en Corse, le feu couve sous la cendre », prévient l’élu, qui explique tout faire pour que « la tentation de la violence ne reprenne pas vigueur ». « Il y a des phénomènes puissants de spéculation immobilière, de déséquilibres économiques et sociaux, de refus de prendre en compte la légitimité des urnes », martèle Gilles Simeoni, convaincu que « cela contribue à une situation qui peut très rapidement devenir ingérable ». Et le président du conseil exécutif de Corse de proposer aux élus du continent la seule solution qui vaille selon lui : « Aller vers la prise en compte de ce qu’ont souhaité les Corses à travers les urnes et vers la construction réciproque d’une solution politique », sans quoi, « on crée les ingrédients d’une crise politique majeure ».