Les chiffres rendus publics cette semaine donnent une idée de la profondeur de la crise qui sévit dans le logement. En l’espace d’un an, les mises en chantiers ont chuté de 23 %. Le plongeon est de même ampleur pour les permis de construire accordés. Jamais leur nombre n’avait aussi été aussi faible depuis le plus bas historique du début des années 90. Le manque de logements neufs se répercute à tous les segments, que ce soit dans le marché locatif ou dans le parc social, dans lequel 2,6 millions de Français sont en attente d’attribution d’un logement.
C’est dans ce contexte que le gouvernement a présenté son projet de loi logement, attendu depuis plusieurs mois. Porté par le ministre Guillaume Kasbarian, qui cherche à provoquer un « choc de l’offre », le texte vise à « développer l’offre de logements abordables », selon son intitulé. À travers une quinzaine d’articles, le gouvernement espère stimuler la construction et « faciliter l’accès des Français à une offre locative abordable et à la propriété ».
Un assouplissement de la loi SRU pour développer le logement intermédiaire
Et ce, sans « tabou », insistait ce jeudi dans les colonnes du Parisien, le ministre du logement. La disposition la plus emblématique du texte, mais aussi la plus polémique, consiste à assouplir la loi SRU (loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain) imposant aux communes une part minimale de logements sociaux de 20 ou 25 %, suivant les cas. Le projet de loi doit permettre aux communes, qui n’ont pas atteint cette cible, de pouvoir rattraper une partie de l’objectif avec une part de logements intermédiaires. Ces derniers, pensés pour la classe moyenne, présentent des loyers de 10 à 15 % en dessous du marché.
Cette option sera valable pour les communes qui comptent déjà plus de 15 % de logements sociaux et qui ont signé un contrat de mixité sociale avec l’État. Selon le ministère, 650 villes seraient concernées. L’article 1er du projet de loi permettrait ainsi de cibler davantage la classe moyenne, souvent exclue dans les faits du logement social, mais aussi d’équilibrer des opérations qui auraient été déficitaires sans logement intermédiaire, selon le gouvernement.
Une application plus stricte des plafonds de ressources pour le maintien en logement social
Le gouvernement veut aussi s’attaquer à l’absence de mobilité dans le parc social. Selon le ministère du Logement, 8 % des locataires actuels ne sont plus éligibles actuellement aux conditions fixées pour rester dans ce type de logement. Le texte prévoit d’abaisser le seuil de non-reconduction d’un bail à partir de 20 % de dépassement des revenus maximums autorisés, contre 50 % aujourd’hui. Ce dépassement devra être constaté sur deux ans et un délai de prévenance de 18 mois sera appliqué. La résiliation ne s’appliquera pas aux personnes âgées ou en situation de handicap. D’autre part, avec ce projet de loi, les surloyers en logement social s’appliqueront dès le premier euro de dépassement du plafond de revenus et non pas, comme actuellement, en cas de dépassement de plus de 20 %.
Toujours dans une optique de « justice sociale », le gouvernement propose également de prendre en compte le patrimoine des locataires en logement social, avec un croisement avec les données du fisc. Une personne détenant un « bien équivalent » ne pourra plus conserver le bénéfice de son logement à prix modéré. À travers ces dispositions, le gouvernement vise une mobilité équivalente à « une demi-année de production » de logements sociaux en plus.
Autre façon de redonner des marges de manœuvre financière au logement social : les bailleurs sociaux qui le souhaitent pourront modifier les loyers des logements anciens, dans le cas d’une relocation, dans la limite des plafonds réglementaires prévus pour les logements sociaux neufs.
À l’article 2, le projet de loi traduit l’une des promesses exprimées en janvier par Gabriel Attal. C’est également une demande de longue date de la majorité sénatoriale, qui avait adopté une proposition de loi en ce sens. Il s’agit de donner aux maires le pouvoir d’attribuer les logements sociaux neufs et disposera d’un droit de veto. Le préfet pourra par ailleurs déléguer au maire son contingent de réservations, en totalité ou en partie. Le texte prévoit aussi de confier au maire la responsabilité d’autoriser la vente directe aux locataires du logement social, en supprimant les autorisations préfectorales.
De nouvelles mesures pour accroître le nombre de logements ou en abaisser leur coût
Le gouvernement espère également booster le secteur de la construction, à travers quelques simplifications. Le projet de loi propose de faire passer de six à deux mois les délais de recours pour un permis de construire. Pour Guillaume Kasbarian, ce gain de temps « devrait permettre d’économiser 3 % du prix d’une opération ». Le même gain de temps est recherché s’agissant des aménagements multisites par un même acteur : le texte prévoit de limiter l’autorisation à un seul permis de construire. Le texte doit également permettre aux maires de densifier plus facilement les zones pavillonnaires.
Un autre pouvoir est annoncé pour les maires : la création d’un nouveau droit de préemption pour maîtriser l’évolution des coûts du foncier. Si le prix d’un terrain est déconnecté des prix du marchés, une commune pourra le préempter. Une façon de répondre à l’envolée des coûts du foncier sur des nombreux territoires du pays.
Inquiétudes des associations
Le Conseil national de l’habitat (CNH), qui rassemble plusieurs acteurs du monde du logement (associations professionnelles, bailleurs sociaux, élus, associations de locataires…), s’est majoritairement prononcé contre le projet de loi, mais leur position n’a qu’une valeur consultative. Les cinq principales associations de locataires HLM ont fustigé, pour leur part, « un projet de loi qui fait la chasse aux pauvres ». Les associations craignent aussi bien l’assouplissement de la loi SRU que le durcissement des règles relatives au plafonds de ressources. « Les marches entre le logement social et le logement privé, dans certains territoires, elles sont très, très hautes », dénonce ainsi le délégué général de la Fondation Abbé-Pierre Christophe Robert.
L’examen du projet de loi ne s’achèvera pas avant la fin de l’année, puisque l’Assemblée nationale n’en sera saisi qu’après la rentrée de septembre. La séquence parlementaire commencera à la mi-juin au Sénat, où déjà le contenu du texte suscite des déceptions (lire notre autre article).