« Dieu merci, les faits sont prescrits ! ». Ce 15 mars 2016, alors qu’il tient une conférence de presse à Lourdes à propos de son accusation de non-dénonciation des violences sexuelles commises par le prêtre Bernard Preynat entre les années 1970 et 1990, les propos de l’archevêque de Lyon, le cardinal Philippe Barbarin choquent.
Cette impunité liée à la prescription est le cœur de la raison du dépôt, vendredi 26 mai, de la proposition de loi du sénateur des Hauts-de-Seine Xavier Iacovelli (Renaissance), chef de file de son groupe concernant la protection de l’enfance. Intitulée « En finir avec la prescription des violences sexuelles sur mineurs », la proposition de loi souhaite surtout modifier le regard de la Justice, trop centré à son goût sur les auteurs de violences sexuelles à une époque où la parole se libère. « Les Français ne supportent plus l’impunité que peuvent avoir certains auteurs de crimes sexuels sur enfants. Ils veulent une Justice qui puisse à la fois condamner les auteurs et être protecteur des victimes », explique le sénateur. Xavier Iacovelli regrette la « double peine » à laquelle les victimes, ayant eu le courage de parler, se confrontent lorsque les faits sont prescrits. « Il faut que l’institution puisse reconnaître le statut de victimes de ces personnes ».
En 2021 en France, selon les chiffres du ministère de l’Intérieur publiés en novembre dernier, ce sont 72 000 personnes, qui ont été victimes d’infractions sexuelles. 8 victimes sur 10, d’après l’Unicef, seraient mineurs au moment des faits. Deux projets de loi ont été menés afin de lutter contre les violences sexuelles par la secrétaire d’État Marlène Schiappa, en 2018 d’abord, puis en 2021 suite à la publication du livre La Familia Grande de Camille Kouchner dénonçant les agissements du politologue Olivier Duhamel. Depuis, les violences sexuelles sur mineurs sont prescrites entre 10 à 20 ans après la majorité de la victime, selon son âge lors de l’agression. En cas de viol d’un mineur, le délai est étendu à 30 ans. Au-delà, en vertu de la prescription « glissante », les poursuites sont possibles si un autre cas non-prescrit est dénoncé.
« On peut espérer avoir un accord transpartisan »
La proposition de loi comporte 5 articles. La première mesure vise, comme le titre de la PPL l’indique, à supprimer les délais de prescription liés aux violences sexuelles sur les mineurs. « Le Conseil constitutionnel estime qu’il n’est pas anticonstitutionnel de lever les délais de prescription pour certains crimes ou délits », réagit Xavier Iacovelli aux potentiels avocats réfractaires souhaitant conserver l’imprescriptibilité aux seuls crimes contre l’Humanité. « D’autres pays l’ont déjà fait, comme la Suisse, les Pays-Bas, la Belgique ou encore le Danemark. Si tenté que l’on lève les freins conservateurs de la Chancellerie, on peut espérer avoir un accord transpartisan ».
La seconde mesure de la proposition de loi souhaite étendre jusqu’à 20 ans, le délai de prescription pour la non-dénonciation d’une agression sexuelle par une personne tiers. « Aujourd’hui, le délai de prescription est de quatre ans. Ce n’est rien quatre ans ! », s’offusque le sénateur.
Xavier Iacovelli souhaite aussi débattre au Sénat d’autres idées qu’il n’a pas formalisé dans son texte. Il s’agit, par exemple, de la prise en charge automatique des suivis médicaux et psychologiques des victimes dès lors qu’elles sortent du silence. « J’ai ouvert la porte à ce que l’on puisse travailler sur l’accompagnement des victimes au préalable et tout au long de leur vie ». Les violences sexuelles sont jugées destructrices pour la santé mentale des victimes. Selon l’Unicef, 95 % des victimes affirment que les violences ont eu un réel impact sur leur état psychologique et 42 % des personnes interrogées ont effectué une tentative de suicide.
Former les professeurs et les animateurs
« L’école est essentielle. C’est le premier lieu de signalement des violences physiques et sexuelles grâce à la détection des signaux faibles ». Le programme pHAre, lancé par l’ancien Ministre Jean-Michel Blanquer et actif depuis la rentrée 2021, a justement pour but de détecter le mal-être des élèves au sujet du harcèlement mais aussi des violences. Pour le sénateur Xavier Iacovelli, il faut désormais aller plus loin. « Je me bats pour former les futurs animateurs à ces questions. Chaque année, ce sont 50 000 personnes qui passent le BAFA sans module au sujet du mal-être des enfants. Ce sont donc 50 000 potentiels ambassadeurs de lutte contre ces violences. Il est donc devenu essentiel de former les futurs professeurs et animateurs à ces enjeux ».
Bien que la proposition de loi se concentre sur le domaine judiciaire, le sénateur encourage donc ses collègues à finaliser la loi lors des discussions au Sénat. « Il ne faut pas laisser de faux espoirs aux victimes », prévient Xavier Iacovelli. « La judiciarisation de ces actes n’est pas la solution à tout. La question pénale n’est pas la seule solution ». En moyenne, en France, seulement 4 % des viols sont ensuivis d’une plainte et dans 73 % des cas, cette plainte est classée sans suite.