« Non dans le sport, il n’y a pas d’Omerta ». En novembre 2017, la ministre des Sports et ancienne championne olympique d’escrime, Laura Flessel, en était persuadée alors que les dénonciations d’agressions et de violences sexuelles se multipliaient sur les réseaux sociaux sous l’égide des hashtags #MeToo et #balancetonporc.
Six ans plus tard, le paysage a drastiquement changé. La parole se libère dans le sport mais « la France est en retard », conçoit le sénateur de l’Aude Sébastien Pla. Le socialiste présente, accompagné du sénateur du même groupe et rapporteur de la PPL Jean-Jacques Lozach, une proposition de loi pour « renforcer la protection des mineurs et l’honorabilité dans le sport ». Par le terme honorabilité, les sénateurs expliquent leur volonté de contrôler « tous les adultes afin qu’ils prouvent qu’ils sont à même d’intervenir auprès d’enfants », note le sénateur Sébastien Pla. « L’objectif est d’inverser la charge de la preuve. Nous ne devons plus demander la preuve aux enfants, qui ont subi des violences. Ce sont au contraire aux encadrants de prouver leur honorabilité ». La proposition de loi a été acceptée, ce matin, à l’unanimité par la commission de la culture, de l’éducation et de la communication.
Cette proposition de loi est aussi conduite en partenariat avec Sarah Abitbol, ancienne patineuse artistique française médaillée de bronze aux championnats du monde de 2000. L’ancienne sportive représente la libéralisation de la parole dans le sport en contradiction aux propos de Laura Flessel en 2017. Par son livre Un si long silence, paru en janvier 2020, Sarah Abitbol incarne la libération de la parole des femmes dans le sport « Sarah a brisé l’Omerta. Contrairement aux autres pays, en France, il a fallu que des sportifs de haut niveau sortent du silence pour que le législateur s’occupe de la question », s’émeut Sébastien Pla.
Des chiffres exorbitants
« On ne peut que remercier ces sportifs et sportives qui ont osé, qui ont témoigné, qui ont porté leurs convictions, qui ont créé des associations et parfois qui ont écrit des livres », avance Jean-Jacques Lozach. Les pouvoirs publics se sont emparés du sujet en diligentant au préalable des enquêtes statistiques. Selon les travaux de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise), 160 000 enfants sont victimes chaque année de violences sexuelles. Dans le sport, d’après une étude européenne, c’est un enfant inscrit dans un club sur sept qui en est victime chaque année.
En février 2020, le ministère des Sports s’attaque au dossier avec une Convention. Celle-ci débouche sur un plan de prévention, nommé #TousConcernés, à destination de tous les éducateurs et des bénévoles et sur la création d’une cellule de traitement des signalements de violences sexuelles dans le cadre sportif. « 610 affaires ont déjà été signalées à la cellule qui traite le problème des violences sexuelles dans le sport depuis sa mise en place en 2020, affaires dans lesquelles 84% des victimes sont des mineurs », note les sénateurs dans leur proposition de loi. Pour le sénateur Sébastien Pla, rien ne va assez vite. « Toutes les fédérations ne sont pas toutes aussi avancées. À 100 jours de la coupe du monde de rugby, à un an des Jeux olympiques, il est temps que les pouvoirs publics prouvent que la France est au niveau ».
« Tous les adultes doivent prouver qu’ils sont à même d’intervenir auprès d’enfants »
La proposition de loi des deux sénateurs comporte quatre mesures concrètes pour permettre à « la honte de changer de camp ». Tout d’abord, la France compte deux millions de bénévoles dans ses clubs de sports qui s’occupent au quotidien d’enfants. « Sur ces deux millions de personnes, seulement la moitié des encadrants ont dû prouver leur honorabilité », note le sénateur Sébastien Pla. L’objectif principal de la loi est donc de renforcer les contrôles, mais aussi d’étendre la liste de personnes contrôlables à toutes celles qui accompagnent des enfants dans leurs pratiques sportives. « Tous les adultes doivent prouver qu’ils sont à même d’intervenir auprès d’enfants afin d’éloigner les prédateurs des clubs français. Lorsque j’accompagne mon enfant à un match, j’en emmène la plupart du temps trois autres. Je dois aussi prouver mon honorabilité », estime-t-il.
Ensuite, les deux autres propositions suivantes concernent le casier judiciaire d’une personne condamnée. Le texte permet aux présidents des clubs en France, à l’instar des employeurs, de consulter le bulletin n°3 du casier judiciaire, relatif aux plus grosses condamnations. De plus, en cas d’effacement d’une précédente condamnation du casier judiciaire, les faits seront – grâce au texte – toujours inscrits au sein du fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (Fijais) et consultables par les clubs.
Enfin, après l’instauration d’une enquête suite à un signalement, les sénateurs proposent d’en introduire un second obligatoire auprès d’un préfet. « Celui-ci a la possibilité d’écarter la personne ou de fermer la structure. Ce signalement permettra d’éviter que la personne en cause ne sévisse durant le temps d’enquête », note le rapporteur de la loi. Le texte sera présenté au Sénat durant la niche parlementaire socialiste.