Violences conjugales, une justice à la peine
Sénat en action
Par Simon Barbarit
Publié le
Ce sont 59 propositions contenues un « plan rouge VIF » (violences intrafamiliales) que la députée (Renaissance) Émilie Chandler et la sénatrice centriste, Dominique Vérien avaient remis le mois dernier au garde des Sceaux.
Mise en place il y a 6 mois, la mission d’information parlementaire avait notamment la lourde tâche de trancher sur l’opportunité de créer en France, une juridiction spécialisée sur les violences intrafamiliales. Demande de longue date des associations et des élus de gauche, qui s’inspire du modèle espagnol, considéré comme une référence en la matière.
Le ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti s’était lui montré, à plusieurs reprises, plus que réservé sur cette question (lire notre article). De retour d’un déplacement à Madrid, les membres de la mission avaient également estimé qu’une telle juridiction serait difficilement transposable en France (lire notre article).
« Chambre spécialisée » et « parquet spécialisé »
Les parlementaires préconisent en lieu et place de créer dans chaque juridiction « une chambre spécialisée » et « un parquet spécialisé » en matière de violences intrafamiliales. « L’idée c’est que les magistrats et les procureurs pourront être à la fois dedans et dehors. Un juge aux affaires familiales pourra par exemple siéger à mi-temps dans une chambre spécialisée. Nous demandons également des audiences dédiées aux violences intrafamiliales », précisait Dominique Vérien à publicsenat.fr le mois dernier.
La mesure a sans surprise été retenue par le garde des Sceaux. « Je vous annonce la création d’un pôle violence intrafamiliales dans toutes les juridictions de France, avec un coordonnateur au parquet, un coordonnateur au siège, des magistrats référents, des assistants de justice dédiés […] Nous aurons des audiences spécialisées dans chaque tribunal judiciaire », a-t-il annoncé lors d’une conférence de presse.
« Comités de pilotage » et « comités opérationnels »
Dans l’optique de coordonner civil et pénal, la mission souhaitait instituer des « comités de pilotage » et des « comités opérationnels » au sein desquels se réuniraient une fois par mois, magistrats, associations, policiers, gendarmes… « Le comité de pilotage va permettre le partage d’informations sur des situations préoccupantes. Le comité opérationnel va porter sur la préparation des sorties de prisons des auteurs. Il s’agira de s’assurer que la victime a bien été informée de la sortie de son ex-conjoint. Si une mesure de bracelet anti rapprochement a été prononcée, il s’agira de s’assurer que le rendez-vous a bien été pris pour la pose », détaillait la sénatrice. A noter que le rapport préconise une formation, à différents niveaux, de tous les acteurs de la chaîne pénale et civile en matière de violences intrafamiliales. La formation sera d’un niveau supérieur pour les magistrats des pôles et parquets spécialisés.
Lors de la conférence de presse, la sénatrice présente aux côtés du ministre a d’ailleurs insisté sur ce point. « La formation c’est très important, en plus d’une meilleure organisation de la justice qui est déjà en route ».
Là encore, la création de ce comité de pilotage est une mesure retenue par le gouvernement. Éric Dupond-Moretti a par ailleurs reconnu « des difficultés technologiques » dans le déploiement des bracelets anti-rapprochements. « Nous avons changé d’opérateur. Nous aurons un bracelet 5G ». Le ministre a confirmé une mesure a annoncé par Élisabeth Borne. La délivrance d’une ordonnance de protection dans l’urgence, dans les 24H. « Ensuite, bien sûr, dans un délai de six jours, elle pourra être confirmée et s’exercera un contradictoire qui est indispensable à la légalité de cette disposition nouvelle ».
Éric Dupond Moretti a également confirmé que d’autres mesures « étaient en cours d’arbitrage ». Les mesures, qui feront l’objet de décrets, comme la création de pôles spécialisés, ou intégreront des projets de loi comme le projet de loi d’orientation Justice en examen au Sénat début juin. Les ordonnances de protection immédiates devraient faire l’objet d’un texte de loi spécifique à l’automne.
Quid du contrôle coercitif ?
Suite à un déplacement en Angleterre, la mission avait pu noter que la traque et le contrôle coercitif de l’auteur sur la victime faisaient l’objet d’une sanction spécifique outre-Manche. Un mari qui trouve que sa femme est habillée trop court ou trop sexy et qui décide de ses tenues. Une femme qui doit dire où elle est et ce qu’elle fait quand elle est en pause ou qui n’a pas accès à son compte en banque… sont autant de définitions du « contrôle coercitif », une contrainte imposée par un conjoint dans la vie de tous les jours
Pour autant, les parlementaires ne se dirigeaient pas vers une infraction similaire pour la France. « Ce n’est pas facile à incriminer, mais ça doit faire partie des éléments de preuves. Si une victime n’est pas libre de s’habiller comme elle veut, de sortir comme elle veut, ne dispose pas de son argent… Policiers et magistrats constatent qu’il ne s’agit pas d’un simple conflit mais de violence. On inverse la charge de la preuve », soulignait Dominique Vérien.
Il y a quelques semaines, Isabelle Rome, la ministre chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, avait quant à elle faire part de sa réflexion de faire du contrôle coercitif un délit pour déceler et punir les hommes violents avant qu’ils ne passent aux coups. Mi-avril, elle avait lancé un groupe de travail sur ce sujet avec des experts de haut niveau.
La sénatrice avait prévenu que leur rapport nécessitait des moyens humains. Sur les 300 postes de magistrats créés chaque année jusqu’en 2027, 100 devront être dédiés aux violences intrafamiliales. Éric Dupond-Moretti aura l’occasion de s’exprimer sur ce point devant les sénateurs mardi 23 mai dans le cadre d’une audition sur le projet de loi orientation de la Justice.
Pour aller plus loin
L'intégrale du 20 novembre