L’inquiétude monte en France face à la possible détection de huit cas positifs au variant Omicron. « Les autorités sanitaires sont mobilisées pour identifier le plus précocement possible chaque patient contaminé », indique Olivier Véran, le ministre de la Santé, dans un communiqué de presse publié dimanche. Les personnes concernées, testées positives au covid-19 mais négatives à l’ensemble des principaux variants circulant déjà en France, se sont rendues en Afrique australe au cours des deux dernières semaines, l’Afrique du Sud étant présentée comme le berceau de cette nouvelle mutation, qui a également été détectée au Royaume-Uni, en Allemagne, aux Pays-Bas, en Belgique, en Italie, au Danemark et en Autriche. Ce nouveau variant représente « un risque très élevé » au niveau mondial, estime l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), alors que les ministres de la Santé du G7, réunis en urgence à Londres lundi après-midi, ont fait valoir la « nécessité d’une action urgente » face à une souche « hautement transmissible ».
« Pour l’instant, on nage encore dans l’inconnu », glisse auprès de Public Sénat la sénatrice Catherine Deroche, rapporteure de la Commission d’enquête « pour l’évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies à la lumière de la crise sanitaire de la covid-19 et de sa gestion ». Comme beaucoup de ses collègues, elle attend avec impatience la table ronde qu’organise mardi la Chambre Haute sur les mesures de restriction prises contre le covid-19, et qui doit réunir l’épidémiologiste Dominique Costagliola, l’infectiologue Karine Lacombe et Yazdan Yazdanpanah, le directeur de l’ANRS. L’occasion d’interroger ces scientifiques sur la menace que représente Omicron. « On aura beaucoup de questions à leur poser. Il faut savoir si la dangerosité de ce variant peut mettre en péril des services hospitaliers déjà déshabillés », pointe Catherine Deroche. Mais aussi sur les capacités des autorités sanitaires à traquer ce nouveau variant. « On avait pris beaucoup de retard sur le séquençage. J’espère que les choses ont progressé », relève la sénatrice.
Le séquençage, toujours à la traîne ?
La stratégie de dépistage française des variants compte actuellement deux outils : les tests PCR de criblage, qui déterminent si un test positif comporte des mutations associées à tel ou tel variant. Et des enquêtes de séquençage, qui analysent l’intégralité du génome du virus, pour repérer de nouvelles mutations. « Cela revient à analyser une scène de crime, le processus est plus long, il demande au moins 48 heures », nous explique François Blanchecotte, le président national du syndicat des biologistes. En clair, le criblage permet de traquer des variants déjà identifiés, et le séquençage permet de détecter de nouvelles formes de mutation. Ces deux instruments se révèlent donc complémentaires pour dresser une cartographie génétique du coronavirus en France et de son évolution.
« Le séquençage est le talon d’Achille du dépistage en France », note toutefois le généticien Philippe Froguel, professeur au CHU de Lille, qui milite depuis plus d’un an pour l’élargissement des campagnes, et regrette de n’avoir été entendu « ni par l‘exécutif, ni par l’Institut Pasteur ». En février dernier, à la veille de la troisième vague, seul 0,15 % des tests positifs était séquencé. Un chaînon manquant de la stratégie « tester-tracer-isoler » ? « Au regard de la situation de nos voisins, le variant Omicron est probablement déjà présent sur le territoire », observe le sénateur socialiste Bernard Jomier, président de la mission d’information sur les mesures anti-covid. « Mais on ne trouve que ce que l’on cherche, et si on ne l’a pas cherché jusqu’à présent, il est normal qu’on ne l’ait pas trouvé », ironise ce médecin généraliste de formation.
Une lente mise en place
Pourtant, la France a lancé dès le début d’année le projet EMERGEN (Consortium pour la surveillance et la recherche sur les infections à pathogènes EMERgents via la GENomique microbienne), afin de monter en puissance dans ce domaine. Piloté par Santé Publique France et l’ANRS, EMERGEN est chargé de suivre l’évolution génétique du SARS-CoV-2 sur notre territoire, en détectant l’apparition de nouveaux variants et en mesurant leur dangerosité en termes de contagiosité, de virulence ou de résistance aux vaccins. Les données traitées sont issues des « enquêtes Flash » qui ont également été lancées en début d’année : à raison de deux enquêtes mensuelles, puis d’une enquête hebdomadaire depuis juin. Il s’agit d’un échantillonnage aléatoire de tests positifs, qui sont envoyés par les laboratoires auprès de huit plateformes – quatre plateformes publiques et quatre plateformes privées – chargées de réaliser le séquençage.
« Actuellement, nous pouvons séquencer jusqu’à 50 % des tests positifs les jours d’enquête », assure François Blanchecotte. Si l’on s’appuie sur la moyenne des contaminations au cours des sept derniers jours, ce sont donc 15 000 séquençages qui peuvent être réalisés chaque semaine. « Pour avoir une véritable idée de ce qui se passe sur le territoire, il faut en séquencer un minimum de 7 500 », note-t-il. Mais les dernières données publiées par Santé Publique France - qui datent d’octobre - sont bien en deçà de ces chiffres : avec un taux de séquençage qui oscille entre 32 et 36,8 % selon les semaines, soit entre 1 500 et 4 000 tests analysés à chaque étude Flash.
« Il faudrait du personnel et de l’argent »
« C’est très insuffisant, c’est ce qu’il faudrait faire chaque jour pour parvenir à un véritable suivi », indique Philippe Froguel. Selon lui, la France se maintient dans un entre-deux qui n’est guère satisfaisant : « Le gouvernement a fait quelque chose de mal taillé, c’est-à-dire beaucoup de PCR et peu de séquençages. » Mais pour rééquilibrer l’équation, « il faudrait du personnel et de l’argent ». Le 29 juillet, la Cour des comptes relevait dans les conclusions d’un audit que Paris avait bien moins investi que ses voisins dans la recherche publique pour la lutte contre le covid-19, avec 502 millions d’euros contre 1,3 milliard au Royaume-Uni et 1,5 milliard en Allemagne.
Philippe Froguel déplore également « des délais trop longs » et les lenteurs administratives lorsqu’il s’agit de mettre en place de nouveaux dispositifs, alors que la bataille contre la pandémie tient aussi de la course contre la montre. François Blanchecotte, du syndicat des biologistes, se rappelle également des appels d’offres chronophages lorsqu’il a été question d’intégrer des laboratoires privés au projet EMERGEN. « Il a fallu six ou sept mois avant de savoir qui ferait quoi », soupire-t-il. Et ce n’est qu’à la fin du mois de juillet que le nombre de séquençages hebdomadaires a pu être multiplié par deux. « Les freins politico-corporatistes empoisonnent cette question », soupire Philippe Froguel.
« Je ne suis pas sûr que cela aurait fondamentalement impacté nos dispositifs de lutte »
Même si Omicron est apparu en Afrique du Sud, la France avait pourtant tout intérêt à miser sur la traque des nouveaux variants, dans la mesure où ils ont tendance à se montrer plus virulents dans les pays avec une importante couverture vaccinale : « Les variants qui sont le plus à craindre naissent dans les pays où les taux de vaccination sont les plus élevés parce qu’il s’agit d’une course entre les variants et les vaccins. Parce qu’il sent de plus en plus de résistance, le virus est logistiquement programmé pour s’adapter et ainsi survivre », expliquait le 30 juin le professeur Didier Pittet, président de la mission sur l’évaluation de la gestion de la crise covid-19 par la France, lors d’une audition au Sénat.
« Le manque de séquençage a un impact certain dans le suivi de l’épidémie. Avec davantage d’analyses, nous aurions sans doute déjà détecté la présence d’Omicron sur notre territoire, il y a une semaine ou quinze jours », admet le sénateur Jomier. Lui aussi appelait dans un rapport d’information, rendu au début de l’été, à ce que « des mesures d’investissement soient rapidement prises pour amplifier les capacités de séquençage ». « Mais je ne suis pas sûr que cela aurait fondamentalement impacté nos dispositifs de lutte que sont la vaccination, les gestes barrières et l’isolement », nuance-t-il aujourd’hui. À ses yeux, « la logique qui consiste à laisser circuler le virus à un niveau élevé dans le pays » reste la première erreur stratégique de l’exécutif.