Un débat sur l’intelligence artificielle pour les 40 ans de l’OPECST

L’office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques fête ses quarante ans cette année. C’est une institution qui regroupe députés et sénateurs « pour éclairer la décision parlementaire » sur les sujets de sciences et de technologies. Pour marquer le coup, le Sénat a organisé hier quatre sujets de débats sur des controverses scientifiques. L’un d’eux s’intitule : « L’intelligence artificielle est-elle une menace ? ».
François-Xavier Roux

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Le 8 juillet 1983, est voté à l’unanimité la création de l’OPECST. Composé à parité de 18 sénateurs et de 18 députés, l’office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) est une « structure originale, utile, efficace » pour Gérard Larcher. Aux 36 parlementaires, il faut ajouter 24 scientifiques. Avec des expertises assez variées, l’office traite de tous les sujets : agriculture, nouvelles technologies, nucléaire, énergie, etc. En 40 ans d’existence, ce sont près de 250 rapports qui ont été adoptés. L’OPECST organise aussi des discussions – ouvertes au public – pour approfondir certains sujets. Jeudi 7 juin, l’office a tenu au Sénat quatre discussions. Au programme : les énergies renouvelables, les produits phytosanitaires agricoles, le CO2 et l’intelligence artificielle.

« Un lieu intéressant de fabrique de consensus »

Gérard Larcher, président du Sénat, a ouvert la journée en rappelant les apports de l’OPECST depuis sa création. Le spatial, les déchets nucléaires, la génétique, l’informatique : autant de sujets traités par l’office en 1983, et qui sont encore d’actualités. Cela montre, pour le président du Sénat, la pertinence des discussions tenues par l’OPECST. Gérard Longuet (LR), premier vice-président de l’office et qui quitte le Sénat après 20 ans de présence, souligne l’implication des membres : « Des gens passionnés qui ont appris à travailler ensemble avec la diversité de leurs formations, de leurs convictions ». La qualité des débats et la confrontation des points de vue sont des enjeux auxquels l’OPECST a su répondre. Tant sur la forme que sur le fond, les parlementaires ont réussi à dépasser les clivages existants. Gérard Larcher se félicite de la réussite d’une « vraie structure bicamérale », mais aussi que malgré des sujets polémiques, « l’office n’a jamais calé devant l’adoption d’un rapport ». Jean-Yves Le Déaut, ancien député socialiste et président de l’OPECST de 2014 à 2017, parle de l’office comme « un lieu intéressant de fabrique de consensus ».

L’OPECST dépasse le seul milieu parlementaire. Par son intégration de scientifiques dans son comité, il crée un trait d’union avec la communauté des scientifiques, mais aussi la société civile plus globalement. Le président du Sénat rappelle son fonctionnement particulier. L’office tient des auditions publiques d’actualités, ouvertes aux questions des internautes en direct. « C’est un lien utile et essentiel », juge Gérard Larcher. Il est aussi produit une dizaine de notes scientifiques annuellement, coécrites par des parlementaires et des scientifiques, à l’initiative de Gérard Longuet et Cédric Villani. Gérard Larcher insiste sur le rôle « plus qu’essentiel » de l’OPECST. Alors que « la défiance envers la science […] et les raccourcis pseudo-scientifiques me paraissent de plus en plus répandus », explique-t-il. Est aussi dénoncée la multiplication des « pratiques ésotériques et les discours obscurantistes ». Gérard Larcher juge même le travail de l’office « d’intérêt général », pour « éclairer non seulement les parlementaires, mais aussi les médias et la société tout entière ».

« L’intelligence artificielle est-elle une menace ? »

Pour les 40 ans de l’OPECST, quatre discussions autour de controverses scientifiques ont été organisées au Sénat. Gérard Longuet définit les controverses comme la confrontation « d’opinions différentes avec la nécessité malgré tout de trouver une position qui puisse fédérer une action collective nationale. C’est le rôle du parlement ». C’est dans cette idée que sont intervenus Laurence Devillers, professeur d’informatique appliquée aux sciences sociales, et Raja Chatila, professeur de robotique et d’intelligence artificielle. Ce dernier est aussi membre du comité scientifique de l’OPECST. Ils ont répondu à la question : « L’intelligence artificielle est-elle une menace ? ». L’office produit son premier rapport sur le sujet en 2016, intitulé : « Pour une intelligence artificielle maîtrisée, utile et démystifiée ».

Raja Chatila insiste sur le « domaine sociotechnique » de l’intelligence artificielle (IA). Elle est « omniprésente » dans tous les secteurs et tous les domaines. Mais il se montre plutôt rassurant sur les craintes d’une IA qui dépasserait les hommes. « Il ne s’agit pas d’observer les propos alarmistes », sachant qu’il explique que « ce discours n’est pas fondé scientifiquement ». Pour lui, la vraie question réside dans la notion de vérité. Les IA « mélangent du vrai et du faux par nature ». Elles peuvent remettre en question les accords communs sur des vérités partagées, qui sont le socle de notre société, et « en cela c’est une menace ». Il est donc nécessaire de « correctement contrôler et réguler ». C’est le rôle de l’OPECST « d’éclairer les débats » sur ce point. Le député Pierre Henriet (LREM), président de l’OPECST, situe l’office « dans la séquence d’analyse et d’évaluation ». Il doit surveiller le secteur de l’IA et éventuellement apporter des préconisations de réglementations.

Sur la question de la régulation, Laurence Devillers parle même d’enjeux « géopolitiques très graves ». Elle alerte sur les géants du numérique et leur dessin d’une « prise de pouvoir ». « Il y a un effort de guerre à faire », si on ne veut pas que les « normes soient faites par des Américains ou des Chinois ». Elle constate que très peu d’industriels se saisissent du dossier. Mais pour répondre à la question de la controverse, Laurence Devillers affirme que l’IA n’est pas une menace : « Cette machine ne comprend rien, elle fait des statistiques ». Ce débat existe surtout par un manque de connaissance, et une « mystification » de l’IA. Elle en appelle à « plus de transparence sur le fonctionnement », et une éducation de toute la population à ce nouvel outil. A l’heure actuelle, elle observe un manque de connaissance et de formation sur les IA, qui conduit à « une société qui va créer des modèles complexes, mais qui sera incapable de les mettre à jour ». Laurence Devillers recommande de créer « une identité souveraine capable de travailler sur la formation et la recherche », pour répondre à ces problèmes géopolitiques, éthiques, techniques et éducatifs.

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