Transidentité des mineurs : le Senat adopte la proposition de loi LR dans une ambiance houleuse

Mardi dans la soirée, le Sénat a adopté la proposition de loi de la droite sénatoriale visant à encadrer les transitions de genre chez les mineurs. Les débats ont parfois été tendus. Le texte a été largement décrié sur les bancs de la gauche car considéré comme « transphobe ».
Simon Barbarit

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Par 180 voix contre 136, le Sénat a adopté la proposition de loi visant à encadrer les pratiques médicales dans la prise en charge des mineurs souffrant de dysphorie de genre. Le texte déposé par le groupe LR a reçu le soutien d’une partie des élus centristes et des deux sénateurs RN.

Jacqueline Eustache-Brinio, la sénatrice LR à l’origine de la proposition de loi, a d’emblée clarifié ses intentions. « Ce texte n’est ni un texte transphobe, ni une volonté de psychiatriser la transidentité, ni une atteinte aux droits de l’enfant », a-t-elle assuré avant de fustiger « les attaques d’associations activistes qui fonctionnent comme beaucoup d’associations activistes : par la menace et l’intimidation ».

« Les personnes trans existent et que vous ne pouvez rien pour l’empêcher »

Son texte a été largement décrié sur les bancs de la gauche qui avait organisé, la veille, une table ronde sur « l’état des lieux de la transphobie en France » avec des responsables associatifs. En séance publique, le groupe écologiste a tenté, sans succès, de faire voter une motion de rejet préalable du texte. « Les vrais problèmes que vous avez, c’est que les personnes trans existent et que vous ne pouvez rien pour l’empêcher et qu’aucune loi ne pourra le faire », a tancé la sénatrice écologiste, Mélanie Vogel dans un discours très personnel citant le cas de sa nièce, « une petite fille trans que j’aime infiniment […] Je ne suis pas angoissée par sa transidentité du tout […] Ce qui m’angoisse, c’est le fait de savoir ne pas pouvoir totalement (la) protéger des gens comme vous », a-t-elle ajouté.

Le texte composé de 4 articles encadre strictement la prescription des bloqueurs de puberté aux mineurs dans des centres de référence spécialisés listés par arrêté et dans le respect d’un délai minimal de deux ans après la première consultation et la « vérification par l’équipe médicale de l’absence de contre-indication comme de la capacité de discernement du patient ». Il s’agit là d’un des ajouts notables du rapporteur Alain Milon (LR). A l’origine le texte interdisait, purement et simplement, la prescription de ces bloqueurs de puberté aux mineurs. Après le passage en commission, seuls les traitements hormonaux et des actes chirurgicaux de réassignation de genre sont interdits aux mineurs. Mais pour les opposants au texte, le délai de deux ans revient aussi à interdire indirectement ces bloqueurs de puberté. Lors des débats, le rapporteur du texte, Alain Milon a justifié la mise en place de ce délai. « Nous avons auditionné les équipes (médicales). Elles nous ont toutes dit la même chose : Il nous faut en moyenne deux ans pour avoir la certitude du diagnostic ».

« Tout ce que j’ai entendu m’a montré qu’on était dans une approche dogmatique »

L’examen de la proposition de loi a permis à l’exécutif de clarifier sa position. Le ministre délégué à la Santé, Frédéric Valletoux a indiqué solennellement être contre cette proposition de loi. « Il est prématuré de vouloir apporter une réponse politique avant de disposer de l’avis des autorités de santé compétentes », a-t-il d’abord souligné. La Haute Autorité de Santé doit effectivement présenter dans les mois qui viennent ses recommandations sur la prise en charge des personnes transgenres âgées de 16 ans et plus. « Tout ce que j’ai entendu m’a montré qu’on était dans une approche dogmatique, subjective où finalement les arguments scientifiques ou médicaux avaient peu d’importance et qu’il fallait marquer politiquement des points », a-t-il poursuivi.

L’article 2 fixe les sanctions pénales qui correspondent à la violation de ces interdictions. Il les réprime d’une peine de deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende, ainsi que de la peine complémentaire d’interdiction d’exercer pendant dix ans au plus. La gauche a tenté en vain de le supprimer, avec un avis favorable du gouvernement, car il pourrait porter atteinte « à la liberté de prescription des médecins », selon le ministre.

Le texte de Jacqueline Eustache-Brinio est issu des recommandations d’un groupe de travail composé uniquement de sénateurs LR et dont les conclusions ont été qualifiées « d’idéologiques », sur les bancs de la gauche. « Permettez-moi de rétablir certaines vérités sur la situation que vous mentionnez ici. Très peu de mineurs sont en réalité concernés par les transitions médicales. Il ne faut pas confondre l’affirmation des questions de genre, qui est une évolution sociétale dont tout le monde est libre de penser ce qu’il veut, et la situation spécifique des personnes qui se sentent, au plus profond d’elles-mêmes, appartenir à un autre genre que celui de leur sexe biologique. C’est pourtant ce que fait le rapport réalisé en amont de la loi », a souligné Frédéric Valletoux. Le rapport du groupe de travail des Républicains alertait sur « les dérives de certains influenceurs transactivistes » perçues comme « l‘un des vecteurs actuels du mal-être existentiel à l’adolescence ».

« Le chapitre II du grand remplacement »

« La transition ne s’encourage pas mais ne se combat pas non plus. C’est comme l’époque où l’on parlait de gens qui avaient choisi d’être homosexuels. Personne n’a choisi d’être homosexuel », a comparé la sénatrice socialiste, Laurence Rossignol. L’ancienne ministre des Familles de l’Enfance et des Droits des femmes n’a pas non plus été tendre avec le rapport de ses collègues LR. « Ce qui sous-tend ce rapport, c’est une approche très idéologique, très civilisationnelle, c’est le chapitre II du grand remplacement. L’idée que l’un des fondamentaux de notre société, fondé sur la différence des sexes, serait menacé, par les homosexuels hier, les lesbiennes, les trans, les non-binaires ».

« Ce genre d’affirmation relève de l’insulte »

Des critiques qui n’ont pas été du goût de Bruno Retailleau, le président du groupe LR. « Je ne supporte pas d’entendre caricaturer la position de mon groupe. Il n’y a pas d’un côté le camp du bien et de l’autre le camp du mal, d’un côté des transphobes et de l’autre des personnes toute en humanité. Ce genre d’affirmation relève de l’insulte », a-t-il estimé en s’adressant à Frédéric Valletoux. Bruno Retailleau s’est défendu de tout dogmatisme, rappelant « que certains pays » étaient « en train de rétropédaler » sur la législation autorisant la réassignation de genre. Le président du groupe LR en a profité pour faire référence aux propos de la sénatrice Cécile Cukierman. La présidente du groupe communiste avait indiqué quelques minutes plus tôt qu’elle comptait s’abstenir sur ce texte considérant « n’avoir aucune certitude ». « L’attrait du progressisme n’est pas un guide politique », avait-elle affirmé.

« Le sujet de la pédopsychiatrie n’a rien à faire dans un texte sur les mineurs en questionnements de genre »

Un autre aspect de la proposition de loi a irrité les bancs de la gauche. L’article 3 qui propose l’émergence d’une stratégie nationale pour la pédopsychiatrie. Cette stratégie vise notamment « à permettre à tous les enfants d’avoir accès à une offre de soins adaptée au plus près de leur lieu de vie ». Le sénateur du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen (RDSE), Philippe Grosvallet a rappelé, que depuis 2010, la France a exclu le transsexualisme de la liste des maladies mentales.  « Le sujet de la pédopsychiatrie aussi important soit-il, n’a rien à faire dans un texte sur les mineurs en questionnements de genre », a-t-il regretté.

Alain Milon a tenté de rassurer l’hémicycle. « Nous considérons depuis longtemps que la transition de genre n’est pas une maladie psychiatrique. Nous ne sommes pas rétrogrades sur le sujet. Mais le questionnement de genre entraîne quand même une souffrance qui nécessite un soutien », a-t-il justifié.

Avant le vote, Anne-Sophie Romagny (centriste) et Mélanie Vogel ont lu des lettres de parents d’enfants voulant transitionner. « On aurait pu vous lire des textes de parents d’enfants qui veulent détransitionner et ça aurait été tout aussi émouvant », a réagi la sénatrice LR Muriel Jourda. « Nous voulons tous protéger les enfants. Vous, vous pensez les protéger en suivant leur désir. Nous, nous pensons les protéger en questionnant longuement leur désir », a-t-elle résumé.

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