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Surpopulation carcérale : « Il faut arrêter de faire un fait divers, une loi. C’est démagogique », estime Dominique Simonnot

Au 1er juillet 2023, les prisons françaises n’ont jamais été aussi remplies avec 74 513 détenus pour 60 666 places. Une surpopulation carcérale sur laquelle Dominique Simonnot, contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, tire la sonnette d’alarme. Selon elle, la solution n’est pas de construire de nouvelles places de prisons mais d’inscrire la régulation carcérale dans la loi. Entretien.
Stephane Duguet

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Les prisons françaises n’ont jamais été aussi surpeuplées qu’en juillet 2023. Les établissements pénitentiaires comptent 74 513 détenus au 1er juillet pour 60 666 places. Depuis la fin de l’année 2022, les records de surpopulation carcérale s’enchaînent. En juillet, il y a 814 détenus de plus qu’en juin. D’après les statistiques fournies par l’administration pénitentiaire, les courtes peines sont beaucoup plus importantes ces trente dernières années. Le temps passé en détention a lui atteint 11,8 mois en 2020 contre 8,6 mois en 2006.

Dominique Simonnot est contrôleuse générale des lieux de privation de liberté depuis octobre 2020. Elle a visité des dizaines d’établissements pénitentiaires qui ont donné lieu à des rapports et des recommandations. Pour Public Sénat, elle revient sur la réalité des conditions de détention derrière les chiffres de surpopulation et elle plaide pour une régulation carcérale inscrite dans la loi.

On parle d’un record historique du nombre de détenus au 1er juillet. Mais que signifie concrètement la surpopulation carcérale ? Le taux d’occupation en prison est d’en moyenne 122,8 %, il grimpe jusqu’à 146 % dans les maisons d’arrêts.

C’est épouvantable. D’autant plus que nous sommes en été et que traditionnellement les chiffres baissent. Là, au contraire, c’est une hausse énorme ! La surpopulation carcérale peut aller bien au-delà des chiffres que vous donnez. Au centre pénitentiaire Bordeaux Gradignan, c’est 245 % de taux d’occupation, à Toulouse-Seysse 180 %, à Nîmes 226 % et à la maison d’arrêt de Majicavo à Mayotte, c’est 278 %.

Derrière ces chiffres, quand vous entrez dans une cellule, c’est l’humiliation suprême. Lorsque j’ai visité le centre pénitentiaire de Perpignan, les détenus m’ont demandé de ne pas m’asseoir. Les surveillants m’ont dit qu’avant de rentrer à mon hôtel, il fallait que je mette tous mes vêtements dans un sac plastique parce qu’il fallait qu’aucune affaire ayant touché la prison ne rentre chez moi. Les détenus avaient leurs bras rongés de piqûres. Ils m’ont montré les nids de punaises qu’ils s’efforcent de combattre. Et il doit faire 50 degrés dans la cellule. Dans le sud de la France, les détenus n’ont pas de douches en cellule. A cause du manque de surveillants, ils ont deux ou trois douches par semaine alors que c’est la canicule.

On apprend aussi que 2 478 détenus dorment sur un matelas posé au sol alors que l’an dernier, il y en avait 1 872.

Il y a des cellules où vous avez le matelas au sol et le lit superposé sans échelle. Si vous voulez aller aux toilettes, vous devez enjamber votre codétenu et il faut le faire au vu et au su de tous. J’ai rencontré un détenu qui m’a dit : « Je ne mange plus, comme ça, je n’évacue plus ». Certains ont des problèmes intestinaux, d’autres attendent que leurs codétenus aillent en promenade pour aller aux toilettes. La surpopulation gangrène tout. Les détenus ne sont pas soignés, on manque de médecins. En prison, les professionnels médicaux sont dimensionnés en fonction des places théoriques et non pas de l’occupation réelle.

 La promiscuité crée des tensions. La prison est aussi devenue un grand asile psychiatrique 

Dominique Simonnot, contrôleuse générale des lieux de privation de liberté

Qu’est-ce qu’on espère ? Dans quel état on relâche ceux qui ont commis des délits ? On ne les met pas en état de retrouver une vie normale. La norme en prison, c’est un surveillant pour 50 détenus. Vous avez des établissements où c’est un surveillant pour 150 détenus. Les directeurs de prison ne sont pas loin de la panique et les surveillants ne sont pas loin d’être désespérés. La promiscuité crée des tensions. La prison est aussi devenue un grand asile psychiatrique. Des gradés de l’administration pénitentiaire me disent avoir des cas psychiatriques lourds et ils sont même étonnés qu’il n’y ait pas plus d’incidents très graves. C’est impossible de continuer comme ça.

L’été dernier, les médias se sont fait l’écho de la polémique du karting à la prison de Fresnes. Un an après, est-ce que cela a eu un impact sur les activités en prison ?

Oui, toutes les demandes de nouvelles activités se sont alourdies. Le circuit est très long et beaucoup plus compliqué. Nous travaillons actuellement sur le sujet pour avoir une idée un peu plus claire du phénomène, mais les témoignages qui me remontent font état d’activités empêchées. Je vous donne un exemple. Il devait y avoir un spectacle dans une prison avec beaucoup de détenus et finalement, il a été limité à moins de dix. Tout est revu à la baisse.



 Il est normal de punir des gens, mais cela doit se dérouler dans de bonnes conditions pour les détenus et pour tout le monde 

Dominique Simonnot, contrôleuse générale des lieux de privation de liberté

Le ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti rappelle l’objectif de créer 15 000 places en prison d’ici 2027. Est-ce approprié à la situation selon vous ?

Emmanuel Macron avait déjà annoncé en 2018 la création de près de 7 000 places en 2022. Aujourd’hui, nous ne sommes qu’à 2000 places. Et puis ça prend énormément de temps. Par exemple, la prison de Lutterbach ouverte en 2021 avait été annoncée par Michèle Alliot-Marie lorsqu’elle était ministre de la Justice en 2008 ! Le récent rapport du député Les Républicains Patrick Hetzel montre d’ailleurs qu’il y aura 73 000 places construites en 2027 alors que nous sommes déjà à près de 75 000 détenus. Et les mesures prises par le gouvernement pour diminuer le nombre de détenus sont inopérantes, donc il faut bien trouver une solution. En plus ça coûte 110 euros par détenu et par jour… Tout ça pour augmenter les risques de récidives.

En Allemagne, 70 % des détenus travaillent, en France, c’est 28 %. C’est bien qu’il y a un problème. Il y a 15 000 détenus de moins en Allemagne alors que la population est plus nombreuse. C’est parce qu’ils font beaucoup de peine hors les murs. Il faut qu’en France, nous ayons confiance en ce type de peines.

Quelle solution proposez-vous justement pour réduire la population carcérale ?

D’abord, on assiste à une augmentation des jugements en comparution immédiate. Ils sont les plus grands pourvoyeurs de détenus en prison. Puis, on ne cesse de faire des lois qui pénalisent. Le squat, c’était un an, maintenant, c’est trois ans. Il faudrait commencer par arrêter de faire un fait divers, une loi. C’est très démagogique. Ensuite, il faut faciliter les sorties, c’est ce qui a été fait pendant le covid avec des ordonnances. Je suis pour la régulation carcérale, c’est-à-dire réguler les entrées. La régulation ne marchera que si c’est un mécanisme obligatoire, contraignant et inscrit dans la loi.

Le gouvernement a expliqué qu’il fallait que ce soit local et à bas bruit. Mais localement, ça ne marche pas. En 2018, c’est ce que voulait Emmanuel Macron et à Grenoble le dispositif s’est cassé la figure parce qu’il prenait la forme d’un partenariat, mais ça ne peut pas reposer sur la bonne volonté des acteurs. Il faut trouver quelque chose de pérenne et cesser de dire que ce type de mesure va faire monter le Rassemblement National. On doit expliquer qu’il est normal de punir des gens, mais que cela doit se dérouler dans de bonnes conditions pour les détenus et pour tout le monde.

Vous êtes Contrôleuse générale des lieux de privation et de liberté depuis bientôt trois ans et vous alertez depuis votre prise de fonction sur la surpopulation carcérale. Avez-vous le sentiment d’être écoutée par le gouvernement et les parlementaires ?

Je pourrais vous dire que les faits démontrent que non, mais j’ai de l’espoir. D’abord parce que le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la Justice a montré qu’Éric Dupond-Moretti, le garde des Sceaux, qui était réfractaire à l’idée de la régulation carcérale, a finalement proposé un débat transpartisan à l’automne. Beaucoup de parlementaires commencent à se rendre compte que la situation en prison n’est pas tenable et veulent prendre part au débat.

J’ai aussi de l’espoir, car au Contrôle général des lieux de privation de liberté, j’ai réuni par deux fois les plus importants syndicats pénitentiaires, avocats, magistrats, associations qui interviennent en prison. Sur la trentaine d’organisations, tout le monde est arrivé à la conclusion que ça ne pouvait pas durer comme ça. A part quatre organisations, elles sont toutes pour la régulation carcérale.

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