Après tant de vie, il y a eu le silence. Il s’est écoulé deux ans depuis la disparition, à 17 ans, de son fils Samy, atteint d’autisme sévère. Malgré la douleur, Eglantine Eméyé est toujours là, debout. Ses engagements associatifs aussi. Elle n’a pas lâché la présidence de l’association qu’elle a co-fondée, « Un pas pour la vie ». Une association qui vient en aide aux enfants souffrant d’autisme sévère et à leurs proches. Si elle a choisi de continuer à s’engager, c’est parce que « le besoin est tellement énorme », explique-t-elle. « Je ne me voyais pas lâcher l’affaire et abandonner tout le monde. J’ai tissé des liens très forts avec les parents et les enfants de l’association. La mort de Samy a laissé un vide immense. J’avais peut-être aussi besoin d’être en hyperactivité pour compenser. »
Eglantine Eméyé continue de militer, d’utiliser sa parole et sa notoriété en faveur des personnes autistes. « Ce n’est pas un rôle toujours facile » confie-t-elle. « On me reproche de prendre la parole alors que je ne suis plus concernée, comme on a questionné ma légitimité quand j’ai commencé à parler de Samy. »
« Quand on a un enfant handicapé, on vous demande d’être sa mère et son éducatrice »
L’arrivée de ce fils polyhandicapé dans sa vie est « un tsunami », se souvient Eglantine Eméyé. La jeune mère se confronte d’abord à l’errance médicale, alors qu’il n’est encore qu’un bébé. Avant que le diagnostic ne tombe. Autisme sévère. Elle vit la culpabilisation de certains médecins. « J’étais soi-disant une maman angoissée. Quand le diagnostic est tombé, on m’a accusée de mal m’en occuper ». Sa vie bascule.
« Quand on a un enfant handicapé, on vous demande d’être sa mère et son éducatrice », explique Eglantine Eméyé. Pour apprendre à calmer les crises violentes de Samy, elle ira au Canada et aux Pays-Bas. « En France, on a pris du retard car on a été pendant longtemps un pays pétri de psychanalyse. On pensait que l’autisme était lié à la mère », regrette-t-elle.
Son quotidien avec un enfant autiste lui fait prendre conscience des freins que rencontrent les personnes en situation de handicap et leurs proches dans la vie de tous les jours. « Combien de fois j’ai manqué des trains car je me suis retrouvée bloquée dans l’ascenseur d’une gare qui ne fonctionne pas ». « Au départ, quand je me promenais dans la rue avec Samy, il y avait beaucoup de regards d’incompréhension. Aujourd’hui, quand on se promène avec un enfant handicapé, le regard n’est plus le même. La société a plus vite progressé que les institutions », observe-t-elle.
« J’ai arrêté d’essayer de prendre contact avec la ministre »
Sur le plan politique, le chemin est encore long. Eglantine Eméyé regrette les manquements à la loi sur le handicap. « Ce texte donne à toutes les personnes handicapées le droit à l’éducation, au travail, en fait des citoyens à part entière. Aujourd’hui, j’entends que les parents ont le choix de l’éducation de leurs enfants. Mais j’ai encore eu un rendez-vous avec la maison départementale des personnes handicapée qui refusait à des parents la prise en charge qu’ils leur demandaient. La réponse de l’organisme a été : les parents choisissent ce qu’ils veulent, mais rien ne nous oblige à le leur financer. »
Sur la question de l’éducation, « je suis pour une école inclusive », déclare Eglantine Eméyé. « Mais pour les enfants les plus sévèrement touchés, l’école est trop difficile. Un enfant autiste sera perturbé toute la journée par le bruit, l’environnement. Ce serait contre-productif. Mais pour ces enfants-là, on ne créé pas de place », estime-t-elle.
Au niveau institutionnel, elle regrette enfin la valse des secrétaires d’Etat chargés du handicap. Quatre se sont succédés à ce poste depuis 2022. « Je connaissais très bien Sophie Cluzel. J’ai arrêté d’essayer de prendre contact avec les ministres. Avoir accès à eux, établir une relation de confiance, c’est long. Pour que ça change au bout de deux mois, ce n’est pas la peine », conclut-elle.