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Suppression des allocations familiales : qu’a donné le précédent de l’absentéisme scolaire ?

Face à l’embrasement des quartiers populaires de ces derniers jours, la droite remet sur la table sa proposition de suspension de certaines aides sociales pour les familles de mineurs délinquants. Une mesure qui avait été appliquée entre 2010 et 2013 à la suite d’une loi d’Éric Ciotti qui proposait de suspendre les allocations familiales pour lutter contre l’absentéisme scolaire.
Louis Mollier-Sabet

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Alors qu’Emmanuel Macron envisage de « sanctionner financièrement » les familles des enfants interpellés pendant les émeutes, la gauche dénonce une stigmatisation inefficace des populations des quartiers. À droite, en revanche, on y voit une mesure incitative pour rétablir l’ordre. Au-delà d’un débat politique, il existe un précédent de suspension des allocations familiales comme outil de politique publique.

Eric Ciotti appelle en effet le gouvernement à reprendre sa loi de 2010. Il y a 13 ans, le président des Républicains avait en effet fait voter une proposition de loi visant à lutter contre l’absentéisme scolaire, qui prévoyait un mécanisme de suspension des allocations familiales en cas d’absentéisme. Au bout de quatre demi-journées d’absence au cours d’un mois, l’inspecteur d’académie devait adresser un avertissement aux parents, puis si un élève était de nouveau absent quatre demi-journées au cours d’un mois dans la même année scolaire, l’inspecteur d’académie pouvait demander la suspension du versement au directeur de la CAF. Cette loi a été abrogée en 2013 par la gauche revenue au pouvoir, mais à l’heure des débats sur l’efficacité d’une telle mesure, quel bilan a été fait de ce dispositif comparable qui a duré trois ans ?

« La loi Ciotti a été adoptée sans étude d’impact et sans réflexion prospective préalable »

Pour réussir la massification scolaire, une ordonnance de 1959 subordonnait le versement des allocations familiales à l’inscription dans une école. Avec la réussite progressive de la massification scolaire, le dispositif a progressivement été abandonné pour être abrogé en 2004. Le rapport sur la proposition de loi Ciotti propose des chiffres sur l’absentéisme scolaire, mais n’apporte pas d’éléments sur le lien entre une suspension des allocations et un changement dans le comportement des familles ou des enfants.

Le rapport sur la loi d’abrogation de 2013 en revanche, portée par les sénateurs socialistes Françoise Cartron et David Assouline, présente une évaluation du dispositif. « La loi Ciotti a été adoptée sans étude d’impact et sans réflexion prospective préalable. Les dispositifs d’évaluation qu’elle prévoyait (rapport au Parlement et comité de suivi) sont restés lettre morte. Sans préjuger du fond, la méthode de législation n’est pas satisfaisante », assène d’emblée le rapporteur socialiste David Assouline, qui ajoute que les éléments disponibles « ne permettent pas de mesurer l’efficacité des mesures. »

« Rien dans les statistiques disponibles ne suggère donc que le dispositif de suspension des allocations familiales ait été efficace »

Quelques éléments empiriques sont tout de même disponibles. Sur la durée de mise en application de la mesure, entre février 2011 et mars 2012, le mécanisme de suspension n’a touché que 472 familles. Les données de la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) permettent de comparer les années scolaires 2009-2010 et 2010-2011, année de mise en place des suspensions d’allocations familiales. Au collège, l’absentéisme est passé de 2,3% à 2,6%, alors qu’au lycée général il est monté de 4,9% à 6,9% et qu’au lycée professionnel le taux d’absentéiste est passé de 14,2% à 14,8%. Sur l’ensemble du secondaire, l’introduction de la loi Ciotti aura donc été synonyme d’une augmentation de l’absentéisme de 4,3% à 5% sur l’année.

Ces chiffres sont purement descriptifs, et rien ne permet donc d’imputer cette hausse à la loi Ciotti, mais à l’inverse « Rien dans les statistiques disponibles ne suggère donc que le dispositif de suspension des allocations familiales ait été efficace », explique le rapport de David Assouline. Le sénateur socialiste dépeint la suspension des allocations comme une « réponse répressive univoque, inéquitable et inefficace. » A minima, il paraît difficile d’utiliser l’expérience de 2011 – 2013 comme une preuve du contraire, étant donné que la loi n’a donné lieu à aucune évaluation et que la montée en charge a de toute façon été très limitée.

« En Angleterre, où les sanctions financières sont monnaies courantes en cas d’absentéisme scolaire, ce n’est pas plus probant »

Dans une note de mars 2017, la DEPP dresse peu ou prou le même constat que le rapport de David Assouline, en constatant une relative stabilité de l’absentéisme de 2011 à 2015, alors que le dispositif Ciotti est entré en vigueur en 2011 et a été abrogé en 2013. « Tous types d’établissements confondus, le taux d’absentéisme se concentre toujours autour des 5% depuis janvier 2011 », analyse la note. En tout état de cause, la suspension des allocations familiales en cas d’absentéisme, en vigueur entre 2011 et 2013, ne s’est donc pas accompagnée d’une augmentation de la fréquentation des écoles.

Les comparaisons internationales vont aussi dans ce sens. En Angleterre, l’absentéisme scolaire est puni d’amendes, pouvant aller de 70 euros minimums à quelques milliers d’euros en cas de récidives et de non-paiement. Ni l’introduction de cette mesure, ni l’augmentation progressive du nombre d’amendes prononcées n’y a fait décliner l’absentéisme, explique Claude Lelièvre, historien de l’éducation : « En Angleterre, où les sanctions financières sont monnaies courantes en cas d’absentéisme scolaire, ce n’est pas plus probant, loin s’en faut. Ce qui explose, c’est le nombre de cas poursuivis et le taux des amendes. Les derniers chiffres viennent de sortir. Le nombre des amendes infligées a presque doublé depuis 2011 passant de 12 344 à 19920 en 2015. Et leur montant moyen a lui aussi grimpé, atteignant 176 £ (plus de200 €) en 2015. »

Sur les effets d’une suspension de certaines aides des parents pour des infractions commises par leurs enfants, difficile d’établir de telles comparaisons, puisqu’un dispositif de ce type n’a jamais été en vigueur en France. Mais le précédent d’une sanction financière pour l’absentéisme scolaire semble peu probant.

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