C’est un témoignage plus qu’accablant pour Joël Guerriau qu’a livré sur France 5 lundi soir, la députée Modem, Sandrine Josso. L’élue de Loire-Atlantique a porté plainte la semaine dernière contre le sénateur de sa circonscription qu’elle accuse de l’avoir droguée en vue de l’abuser sexuellement. Joël Guerriau a été mis en examen pour « administration de substance afin de commettre un viol ou une agression sexuelle » et pour « détention et usage de substances classées comme stupéfiants », et reste présumé innocent.
« J’ai cru mourir […] J’avais l’impression de faire une crise cardiaque », indique la députée dans l’émission C à vous. Elle précise s’être rendue « en confiance » et « en toute amitié » au domicile de Joël Guerriau, « un ami de 10 ans », pour fêter la réélection de son collègue sénateur, élu dans le même département. « Il m’a servi une coupe de champagne, j’ai bu une gorgée et j’ai trouvé que ça n’avait pas le même goût que d’habitude. Je n’ai pas compris ce qui m’arrivait […] Au bout de 15 minutes j’ai commencé à avoir des palpitations, des sueurs ». Elle témoigne avoir vu son hôte ranger « un sachet blanc sous le plan de travail de sa cuisine », de l’ecstasy, que les policiers retrouveront au même endroit lors d’une perquisition.
Sandrine Josso veut désormais « enjoindre le gouvernement à faire quelque chose par rapport à ce fléau » de la soumission chimique. « A l’hôpital de Lariboisière, les médecins et les infirmières m’ont dit : Madame, les gens comme vous, c’est trois fois par jour (qu’on voit passer) », a-t-elle rapporté.
« Dans la majorité des cas, la prise du produit a eu lieu dans un contexte privé et les auteurs étaient connus des victimes »
Alors que moins de 10 % des victimes de violences sexuelles portent plainte, il est difficile de donner des chiffres précis sur l’ampleur du phénomène de la soumission chimique. Leïla Chouachi, pharmacienne, membre du centre d’addictovigilance de Paris et rapporteure d’une enquête annuelle sur la soumission chimique auprès de l’ANSM (l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé) dispose toutefois de plusieurs données. Il faut d’abord distinguer la soumission chimique, de la vulnérabilité chimique. La première se caractérise « par l’administration à des fins criminelles (viols, actes de pédophilie) ou délictuelles (violences volontaires, vols) de substances psychoactives à l’insu de la victime ou sous la menace ». La vulnérabilité chimique « désigne l’état de fragilité d’une personne induit par la consommation volontaire de substances psychoactives la rendant plus vulnérable à un acte délictuel ou criminel ».
En 2021, 727 signalements suspects ont été recensés dont 86,4 % suite à un dépôt de plainte. En ce qui concerne les cas de soumissions chimiques, l’enquête a dénombré 82 victimes avec une prédominance féminine (69,5 %/57 cas), âgées de 1 an à 64 ans. « Cela concerne tous les milieux, homme ou femmes, quelle que soit l’orientation sexuelle. On a tendance à penser que ce sont des personnes qui ont laissé leur verre sans surveillance, mais dans la majorité des cas la prise du produit a eu lieu dans un contexte privé et les auteurs étaient connus des victimes », détaille Leïla Chouachi.
Quelles sont les substances utilisées par les agresseurs ?
Là encore, l’enquête de l’ANSM est riche d’enseignements et résonne avec le témoignage de Sandrine Josso. « Dans la majorité des cas, il s’agit de médicaments psychoactifs comme les benzodiazépines, opioïdes et sédatifs mais ces dernières années l’écart se resserre avec les substances non médicamenteuses. En 2021, 44% des substances incriminées étaient des substances non médicamenteuses, la MDMA (principe actif de l’ecstasy sous forme de poudre blanche NDLR) arrive largement en tête », rapporte Leïla Chouachi.
Comment sensibiliser le grand public ?
Arrêter de boire le verre suspect, quitter précipitamment le lieu, appeler des proches… « Sandrine Josso, a eu tous les bons réflexes dans une telle situation », remarque l’auteure de l’enquête. « Je peux sensibiliser […] Allez faire une prise de sang, relever vos urines. Peut-être quand vous sortez, emportez un petit récipient pour récolter vos urines au cas où », a esquissé la députée.
Leïla Chouachi préconise, pour sa part, la mise en place d’un groupe de travail interministériel afin de former les professionnels de santé à repérer et à accompagner les victimes vers la judiciarisation. « Après le dépôt de plainte, la personne va être orientée vers un service médico-légal pour faire des analyses. En dehors de ce circuit judiciaire, vous n’allez pas vous-même aller dans un labo pour faire des analyses toxicologiques car ça peut coûter dans les 1 000 euros. Si la personne est sous l’emprise de substances et qu’elle se présente aux urgences, elle sera peut-être prise en charge. En revanche si elle se réveille le lendemain, elle devra s’orienter vers le dépôt de plainte pour faire les analyses. Si elle ne veut pas, l’urgence sanitaire, c’est qu’elle soit prise en charge pour mettre une place une prophylaxie post exposition au VIH, un suivi infectieux et la mettre sous contraception d’urgence. Il faudrait adapter les circuits de prise en charge et de détection pour chaque cas. On ne peut pas accompagner de la même manière, une personne majeure qui a pris des substances en boîte de nuit, un enfant victime d’un crime incestueux ou une femme sous emprise de son conjoint ».
Stress post-traumatique
Sandrine Josso s’est déclaré sur France 5 victime d’un stress post-traumatique. « Le black-out est extrêmement anxiogène et a des répercussions à long terme. Il peut conduire à des troubles du comportement alimentaire, des troubles de l’usage de substances, des tentatives de suicides ou des suicides. Un autre danger porte sur les prises prolongées, une sorte de routine toxique qui peut conduire à des accidents sur la voie publique », confirme Leïla Chaouchi.