La police municipale peut-elle évoluer ? Et même se réinventer ? Après le « Beauvau de la sécurité », consacré à la police nationale et à la gendarmerie, le gouvernement a lancé vendredi 5 avril le « Beauvau de la police municipale ». Ce cycle de concertations a pour objectif de redéfinir, durant six mois, les moyens et prérogatives des 27.000 policiers municipaux du pays. 4.500 communes disposent aujourd’hui d’une police municipale, qui n’est pas obligatoire. Il s’agit du choix de la municipalité.
Les polices municipales sont-elles « une police de tranquillité publique » ou « une police judiciaire de proximité », a interrogé en ouverture le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, aux côtés de ses collègues Gérald Darmanin (Intérieur), Christophe Béchu (Transition écologique et Cohésion des territoires) et Dominique Faure (Collectivités territoriales). Une question essentielle, mais qui n’est pas le seul enjeu soumis à la réflexion. Sont évoqués la doctrine d’emploi, l’organisation, les prérogatives, la formation, les équipements ou les retraites. Côté rémunération, la signature d’un premier accord, fin mars, autorise déjà les maires à revaloriser le salaire de leurs agents.
Lutte contre les stupéfiants ou le harcèlement de rue
Ce « Beauvau de la police municipale » met notamment sur la table « la façon dont les policiers municipaux peuvent agir sous l’autorité du procureur de la République », a expliqué Gérald Darmanin. Il s’agit de la possibilité d’étendre leurs missions à certains actes de police judiciaire. C’est le sujet sensible. Comme l’explique Le Monde, le ministre de l’Intérieur a aussi « suggéré que les policiers municipaux puissent intervenir « en civil », qu’il s’agisse de la lutte contre les stupéfiants, du harcèlement de rue ou de la contrebande de cigarettes ». Le produit des amendes pourrait même en partie « retourner dans les caisses des communes », a évoqué le ministre. De quoi faire une nouvelle recette pour les municipalités.
Si le gouvernement n’écarte pas l’idée d’étendre les missions des policiers municipaux à certains actes de police judiciaire, il n’est en revanche « pas question de déléguer aux polices municipales le travail de la police nationale et de la gendarmerie », a assuré Gérald Darmanin, qui ne souhaite pas « que la police municipale puisse mener des gardes à vue ou fasse des enquêtes ».
Sur cette idée de confier des missions d’officier de police judiciaire (OPJ) aux agents municipaux, l’Association des maires de France (AMF) s’y est clairement opposée par la voix de Murielle Fabre, secrétaire générale de l’AMF, quand le maire Horizons de Nice, Christian Estrosi, présent sur place, s’est au contraire dit favorable. Insistant ensuite dans un communiqué sur la « libre administration des communes », l’AMF « considère que placer les maires ou les polices municipales sous l’autorité du parquet ou des préfets, comme cela a été évoqué, modifierait de manière excessive l’équilibre des compétences de chacun ». L’AMF s’oppose aussi à la proposition faite vendredi par le maire de Meaux, Jean-François Copé, de rendre obligatoire la création d’une police municipale dans les communes de plus de 10.000.
« Risque corruptif »
Au Sénat, la tonalité est sensiblement similaire. « La police municipale est un acteur de prévention, c’est évident. Quel rôle veut-on lui donner et jusqu’où va-t-on ? C’est un sacré débat », commente Françoise Gatel, présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales. « Il faut une très bonne articulation entre la police/gendarmerie et la police municipale, c’est évident. Il faut un continuum de sécurité », plaide la sénatrice UDI, « mais la police municipale ne peut pas se substituer à la police ou la gendarmerie. Le rôle de chacun doit être clair ».
Le socialiste Jérôme Durain, qui avait suivi le « Beauvau de la sécurité », s’étonne lui « que la commission des lois n’a pas été saisie d’une présence, alors qu’on suit ces questions, et de plus, c’est le domaine territorial, c’est le champ du Sénat ». Sur le fond, il ne « pense pas » que confier des missions d’OPJ aux policiers municipaux soit « une bonne idée ». Le sénateur PS de Saône-et-Loire ajoute :
Quant à l’idée d’intervenir sur la lutte contre les stupéfiants, celui qui préside la commission d’enquête du Sénat sur le narcotrafic se dit « extrêmement préoccupé d’une forme de pression sur les policiers et gendarmes. Donc attention à ne pas confier des missions régaliennes extrêmement exposées à des policiers municipaux. Si on les met au contact de produits stupéfiants, avec le niveau de risque et de tentation associés, il faut être prudent », met en garde Jérôme Durain, qui évoque « un risque corruptif ou de menace, qui existe ».
« Gesticulation »
Le sénateur LR Henri Leroy, qui avait participé aux côtés du socialiste au « Beauvau de la sécurité », pointe, lui, une « gesticulation ». « La police municipale est une police d’appoint chargée d’appliquer les arrêtés du maire. En réalité, ce sont des employés municipaux, qui sont complètement sous l’égide du maire. Ils font une mission extrêmement importante, mais ce ne sont ni des agents de police judiciaire, ni des officiers de police judiciaire », recadre le sénateur des Alpes-Maritimes, lui-même officier de gendarmerie de profession. Henri Leroy ajoute : « S’ils sont sous l’autorité du procureur de la République ou la responsabilité du préfet, ça me paraît très préoccupant. Donc pour moi qui a été maire pendant 25 ans, l’institution d’une troisième force, oui, à condition que la police municipale reste sous l’autorité du maire. Il n’est pas question que le maire perde la main ».
Le sénateur LR se dit en revanche favorable à ce que les policiers municipaux puissent agir « pour contrôler les papiers, avoir accès au fichier des personnes recherchées ou des voitures volées. Tout ça me paraît très judicieux ». Mais pas plus. Il raille au passage la position de Christian Estrosi, parlant « d’un certain maire ». « Ils veulent être dans la communication, dans l’évolution, sans en mesurer les contraintes. Si ça ne reste pas l’outil du maire, c’est une catastrophe pour l’équilibre de la sécurité de la commune. Tout le reste, c’est de la com’ et de la littérature », lance Henri Leroy.
« Cela pourrait donner l’idée de moins doter nos villes et territoires d’agents de police nationaux, et donc ce serait les budgets municipaux qui compenseraient »
Pour la sénatrice PS Corinne Féret, « il faut bien préserver l’équilibre entre compétences municipales et celle de la police nationale, et les autorités différentes, entre maires et préfets. Si on ouvre trop, si on substitue, car ça pourrait être ça, et qu’on confond le rôle des uns et des autres, on déséquilibre une organisation qui doit être bien précise ».
La sénatrice du Calvados est l’auteure, avec le sénateur LR Rémy Pointereau, d’un rapport de 2021 sur l’ancrage territorial de la sécurité intérieure, où la police municipale avait une grande place. Sur une évolution qui placerait les policiers municipaux sous l’autorité du procureur, « on était très réservés », explique Corinne Féret. Elle craint qu’une telle évolution n’amène à « une forme de désengagement de la police nationale ». « Cela pourrait donner l’idée de moins doter nos villes et territoires d’agents de police nationaux, et donc ce serait les budgets municipaux qui compenseraient ce retrait », craint la socialiste, qui pointe par ailleurs un risque de « confusion » entre policiers nationaux et municipaux si ces derniers peuvent intervenir en civil.
Dans leur rapport, les deux sénateurs LR et PS n’étaient cependant « pas opposés, par principe, à une expérimentation locale, pour les communes qui accepteraient, et pour une durée limitée, de pouvoir déroger aux dispositions législatives et réglementaires ».
« Le fait de voir la police municipale, à pied ou à vélo, dans une commune, ça apaise et ça rassure »
Mais avant tout, « les polices municipales sont dans un rôle de proximité. C’est évident et on doit préserver cela », insiste Corinne Féret. Une dimension soulignée après les émeutes urbaines de juin dernier.
C’est cet aspect que souligne aussi Françoise Gatel. « Par sa présence sur le terrain et son ancrage dans la population, la police municipale a un rôle de prévention. Et quand on voit du « bleu » dans la rue, on fait plus attention », rappelle la sénatrice centriste. « Quand un policier municipal repère des jeunes qui commencent à vriller un peu, il peut donner l’alerte aux services sociaux ou aux services d’action sociale de la commune ». Pour Françoise Gatel, « le fait de voir la police municipale, à pied ou à vélo, dans une commune, ça apaise et ça rassure ».