Suite à trois recours déposés contre le choc des savoirs, dont un par la sénatrice écologiste Monique de Marco, le rapporteur public du Conseil d’Etat demande d’annuler la mise en place des groupes de niveau au collège, soit le cœur de la réforme portée par Gabriel Attal. S’il faut encore attendre la décision du Conseil d’Etat, son avis pourrait être suivi.
Respect du pluralisme dans les médias : « Les critères de l’Arcom sont flous et contradictoires », selon François Jost
Par Simon Barbarit
Publié le
En février dernier, le Conseil d’Etat avait donné 6 mois à l’Arcom pour réexaminer « le respect par la chaîne CNews de ses obligations en matière de pluralisme et d’indépendance de l’information ». Le délai est arrivé à échéance, et le gendarme de l’audiovisuel s’est exécuté dans une délibération du 17 juillet qui fera date.
L’autorité indépendante ne se contentera plus de compatibiliser les temps de parole comme elle le faisait jusqu’à présent, mais appréciera « l’existence éventuelle d’un déséquilibre manifeste et durable dans l’expression des courants de pensée et d’opinion en s’appuyant sur un faisceau d’indices : la diversité des intervenants, des thématiques et des points de vue exprimés », peut-on lire.
Pour mémoire, saisi par l’ONG Reporters sans frontières (RSF) qui estimait que la chaîne CNews du milliardaire Vincent Bolloré ne respectait pas ses obligations en matière d’honnêteté, de pluralisme et d’indépendance de l’information, le Conseil d’Etat avait, dans sa décision du 13 février, donné une interprétation nouvelle de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication. Un texte qui impose aux chaînes de télévision d’assurer l’honnêteté, le pluralisme et l’indépendance de l’information. La rareté des fréquences dans l’audiovisuel avait conduit le législateur de l’époque, à imposer un « pluralisme interne » aux chaînes afin de garantir la neutralité des antennes. Il s’agit d’une différence notable avec la presse écrite et les médias web régis par le principe de « pluralisme externe ». La profusion de titres de presse écrite et de sites internet offre, à elle seule, la possibilité d’une presse d’opinion. C’est à l’Arcom, anciennement CSA, de contrôler le respect du pluralisme interne dans l’audiovisuel.
« Bon courage à ceux qui vont devoir juger s’il y a eu un manquement ou non »
Pour le sénateur apparenté LR, Jean-Raymond Hugonet, auteur d’une proposition de loi sur la réforme de l’audiovisuel publique, cette loi n’est plus adaptée au paysage médiatique actuel. « A l’époque des réseaux sociaux et de la profusion de nouvelles, il est impossible d’être complément neutre dans le traitement de l’information. Sauf à être dans le contrôle politique. Je suis favorable aux médias d’opinions comme il en existe dans la presse. L’Arcom a utilisé toutes les subtilités de la langue française pour se défaire de ce mistigri ridicule. Je souhaite bon courage à ceux qui vont devoir juger s’il y a eu un manquement ou non ».
Le directeur général de RSF, Thibaut Bruttin, s’est lui félicité dans un communiqué de ces mesures qui doivent « permettre de sanctionner les éditeurs qui contournent leurs obligations de pluralisme » et « réduisent leurs programmes à une succession de commentaires à l’unisson sur des thèmes ressassés ».
« Il existe des approches linguistiques pour repérer le vocabulaire d’extrême droite ou d’extrême gauche »
François Jost, sémiologue et professeur en sciences de l’information, auteur de « L’opinion qui ne dit pas son nom. Du pluralisme des médias en démocratie », (ed. Gallimard) est moins enthousiasme sur les implications de cette délibération. « C’est flou. On ne voit pas comment les obligations des éditeurs vont être contrôlées. L’article 3 de la délibération prévoit que l’éditeur doit fournir à l’Autorité les éléments lui permettant de s’assurer du respect de cette obligation. Quels sont ces éléments ? Or, on a vu lors de l’audition pour l’attribution des fréquences de la TNT que les dirigeants de CNews n’étaient jamais à court d’arguments pour assurer qu’ils respectaient bien le pluralisme. Il y a aussi des obligations qui sont assez contradictoires. Il est précisé que les éditeurs sont seuls responsables du choix des thèmes abordés mais en même temps, l’Arcom doit contrôler la diversité des intervenants et la variété des thèmes pour apprécier le pluralisme. Plus que les thèmes, ce sont les points de vue qu’il faut prendre en compte. Comment faire? L’Arcom n’en dit pas un mot», met-il en avant.
Pour prendre en compte le temps de parole de tous les participants, François Jost, dont l’une de ses études sur CNews était venue appuyer le recours de RSF, préconise à la place une analyse de discours afin de repérer les items classés à gauche ou à droite. « L’immigration par exemple, n’est pas un thème d’extrême droite à proprement parler. Ce qui compte, c’est la façon dont on en parle. Et il existe des approches linguistiques pour repérer le vocabulaire d’extrême droite ou d’extrême gauche ».
« Il n’est pas question pour le régulateur de ficher les intervenants »
En début d’année, l’économiste Julia Cagé avait proposé quant à elle de prendre en compte « la participation des intervenants aux universités d’été ou autres conventions des partis politiques, […] les contributions à des think tanks rattachés à des partis ou mouvements politiques » et « considérer la signature de tribunes de soutien aux candidats au premier tour de l’élection présidentielle », détaille-t-elle dans le journal Le Monde.
Une proposition qu’a écartée Roch-Olivier Maistre, le président de l’Arcom. « Il n’est pas question pour le régulateur ni de cataloguer, ni de ficher, ni d’étiqueter les intervenants – animateurs, journalistes, invités », a-t-il déclaré devant la presse.
Radios et télés n’auront plus à faire de décompte régulier auprès de l’Arcom des sujets traités et des intervenants, comme elles le font actuellement pour les temps de parole politiques. L’autorité de régulation n’agissant qu’a posteriori, ce n’est qu’en cas d’alerte ou de litige que les chaînes et stations auront à prouver ce respect du pluralisme. Le contrôle se fera sur un mois pour les antennes d’info continue, sur trois mois pour les autres. Et le déséquilibre devra être « manifeste et durable » pour donner lieu à une mise en demeure ou, en cas de répétition, à une éventuelle sanction. Pas de quoi inquiéter outre mesure les intervenants et animateurs de CNews et C8 qui cette fois-ci n’ont pas crié à la « censure », au « maccarthysme » ou au « fichage politique », préférant jouer profil bas dans l’attente de la décision de renouvellement de leur fréquence TNT, prévue à la fin du mois.
Pour aller plus loin