Le 101e département de France est paralysé. Les élus de l’archipel de Mayotte ont lancé ce jeudi 15 septembre une opération « île morte » pour dénoncer la nouvelle vague de violences qui agite depuis plusieurs jours ce petit territoire de l’océan Indien, régulièrement frappé par des problèmes sécuritaires. Ecoles primaires et administrations locales (mairies, conseil départemental, centre communal d’action sociale, etc.) resteront fermées « jusqu’à nouvel ordre », précise un communiqué de l’Association des Maires de Mayotte (AMM). « Depuis quelques jours, notre île est confrontée à une situation de violences, d’agressions, de tentatives de meurtre, de caillassage de transports scolaires, d’une gravité inédite. Nous avons à faire face à des meurtriers, des criminels qui veulent attenter à nos vies », écrivent les élus. « Tout reviendra à la normale dès que la situation sera apaisée et des solutions structurelles trouvées pour que la paix, la sécurité, la sérénité et la tranquillité publique reviennent sur notre beau département. Nous avons aussi droit à une vie normale à Mayotte. » En parallèle, le Centre hospitalier de l’archipel a déclenché son plan blanc de gestion des tensions hospitalières et situations sanitaires exceptionnelles, rapporte la chaîne Mayotte la 1ère.
Dans la matinée, les élus locaux se sont retrouvés avec le préfet, une réunion de 4 heures durant laquelle ils ont exprimé leur ras-le-bol, celui de la population et l’attente d’une réponse efficiente. « En face, le préfet nous a expliqué que la recrudescence des violences était liée à l’intensification de la traque des délinquants et des personnes sans-papiers. Il nous demande de ne pas baisser les bras, de ne pas reculer dans un moment crucial », rapporte auprès de Public Sénat le sénateur RDPI (Renaissance) Thani Mohamed Soilihi. « C’est un discours compréhensible, qui a été entendu. Mais dans l’immédiat, si le quotidien des Mahorais ne s’améliore pas, on va se retrouver dans une impasse », relève l’élu.
La teneur des discussions laissait espérer en milieu de journée « une suspension provisoire » de l’opération « île morte », mais selon une information relayée par le journal en ligne Mayotte hebo elle devrait être reconduite ce vendredi. « Une journée de mobilisation pour montrer que Mayotte ne veut pas de l’insécurité, je trouve ça très bien, mais Mayotte qui abandonne ses enfants aux mains des délinquants, attention ! », avait averti le préfet Thierry Suquet dans un entretien à Kwezi TV, alors que les maires ont demandé au Conseil départemental la suspension du ramassage scolaire, essentiel sur un territoire – le seul de France – qui ne dispose d’aucun réseau de transports publics.
Pression migratoire
« Il est difficile pour le citoyen de comprendre l’origine de cette violence extrême ces derniers jours. Il y a eu, d’une part, de vives réactions aux destructions par la préfecture de bidonvilles occupés par des clandestins comoriens, ce que l’on appelle les ‘décasages’. Et d’autre part, des bandes de jeunes qui sévissent dans la banlieue de Mamoudzou et qui s’en prennent aux bus scolaires et aux forces de l’ordre », rapporte Thani Mohamed Soilihi. La presse locale fait état ce jeudi d’échauffourées à Koungou et Majicavo, au nord du chef-lieu, mais aussi à Pamandzi, sur l’île de Petite-Terre.
« Je suis allé à Mayotte en 2016 et en 2017, le climat de violences y a très fortement augmenté ces dernières années », rapporte auprès de Public Sénat le sénateur LR François-Noël Buffet, président de la commission des lois et également co-auteur d’un rapport d’information sur la sécurité de l’île, publié en octobre dernier. L’immigration issue de l’archipel des Comores, à seulement une centaine de kilomètres des côtes mahoraises, est considérée comme un important facteur de déstabilisation structurelle pour ce territoire ultramarin. Mayotte possède l’une des densités démographiques les plus importantes de France, avec près de 700 personnes au km2. Un habitant sur deux est d’origine étrangère, indique une étude de l’Insee publiée en 2017.
Conséquence de cet afflux migratoire : l’important rajeunissement de la population, la moitié des Mahorais ayant moins de 18 ans, et un tiers moins de 10 ans. Aujourd’hui, le marché du travail n’est plus capable d’absorber cette population, tandis que les services publics sont complément pris de court, explique François-Noël Buffet. « C’est une jeune population complètement désœuvrée. Les trafics se sont multipliés à l’échelle d’un territoire minuscule : les écoles sont saturées, la police est débordée, la justice sous l’eau… »
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Vers une nouvelle modification du droit du sol ?
En déplacement sur l’île cet été, Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, a évoqué la possibilité de durcir le droit du sol, qui tombe déjà sous le coup d’un aménagement spécifique à Mayotte, à l’initiative d’un texte porté par le sénateur Thani Mohamed Soilihi en 2018. Un enfant né de parents étrangers sur l’île n’obtient la nationalité française que si l’un de ses parents réside en France de manière régulière et ininterrompue depuis plus de trois mois au moment de sa naissance. Cette disposition, en rupture avec ce qui est appliqué sur le reste du territoire national, est censée agir comme repoussoir sur les mères comoriennes qui franchissent le bras de mer pour venir accoucher sur l’île. Désormais, le locataire de la place Beauvau souhaiterait voir passer ce délai à douze mois. La modification pourrait être intégrée au nouveau projet de loi sur l’immigration, attendu d’ici la fin de l’automne. « Un an, c’est un minimum », estime François-Noël Buffet. « Cela fait partie des idées qu’il faut à tout prix faire passer. Si on n’arrive pas à contenir l’immigration sur l’île – je ne pense pas que l’on puisse la stopper – on n’y arrivera pas ! ».
La nécessité de développer « une approche multifactorielle »
Une piste rejetée par plusieurs associations, comme La Cimade et Médecins du monde qui viennent en aide aux sans-papiers en France, et qui se sont fendus d’un communiqué commun début septembre : « Nous condamnons fermement et alertons sur la dangerosité d’un discours qui infuse et assume l’amalgame entre immigration et délinquance, discours porté tout au long de la visite des ministres. L’apaisement du climat social délétère doit passer par une politique d’envergure favorisant le vivre ensemble. » Par ailleurs, certains élus réclament aussi un audit des mesures déjà déployées ces dernières années, « pour savoir sur quoi on pourrait encore s’appuyer », explique Thani Mohamed Soilihi. « J’étais à l’initiative de l’aménagement du droit du sol, je ne vais pas dire qu’il ne faut pas encore l’intensifier, mais il ne faudrait pas non plus faire croire aux Mahorais que cette seule solution pourrait suffire », souligne-t-il.
« Être très ferme sur l’immigration n’empêche pas d’avoir une approche multifactorielle », pointe François-Noël Buffet. Parmi les pistes évoquées : relancer un accord de coopération avec les Comores et mettre en place un grand plan de développement économique et social qui pourrait passer par le tourisme et les activités maritimes, l’archipel pouvant servir de point de relais entre le golfe persique et le sud du continent africain. Sur l’angle sécuritaire, Gérald Darmanin avait aussi évoqué lors de son déplacement l’ouverture de centres éducatifs pilotés par des militaires. « Je sais que cette proposition a fait bondir en métropole [le LFI Bastien Lachaud l’a notamment comparé à un retour au bagne, ndlr], mais elle fait plutôt l’unanimité ici », glisse Thani Mohamed Soilihi. Il y voit une forme d’extension au Service militaire adapté (SMA) pour les jeunes ultramarins, un dispositif lancé en 1961 et qui permet aux jeunes des Outre-mer en décrochage scolaire d’acquérir une formation professionnelle.