Profil des auteurs de violences urbaines : « On aura d’autres événements de ce genre-là » alerte le sociologue Thomas Sauvadet
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Le rapport de l’IGA et de l’IGJ se base sur les personnes interpellées lors des violences urbaines de juin-juillet. Cette méthode est-elle fiable ?
C’est une source intéressante, mais elle ne prend pas en compte certains profils, ceux qui ne se font pas prendre, souvent plus expérimentés, qui ont l’habitude de la violence, des courses poursuites. Il y a donc un biais méthodologique.
Le profil type qui ressort du rapport cité par Le Figaro est le suivant : des jeunes hommes de 18 à 24 ans, célibataires, sans enfants à charge, hébergés à titre gratuit (87%), 36% sont inactifs, 29% sans aucun diplôme et 38% avec un diplôme inférieur au Bac. Ces statistiques vous surprennent-elles ?
Non, cela ne me surprend pas. Cela correspond plutôt au profil des jeunes qui rencontrent des difficultés sociales. Il y a une sur-représentation des jeunes avec des problématiques d’emploi : 36% est un taux très élevé par rapport à celui des 18-24 ans.
Les rapports et les médias insistent sur la jeunesse des participants, êtes-vous surpris ?
Sur des mouvements comme celui des violences urbaines de juin-juillet 2023, avoir un jeune de 11 ans ou un père de 46 ans, c’est assez banal. Plus généralement, dans les quartiers de la politique de la ville (QPV), on rencontre des préadolescents entrant à peine au collège et qui sont déjà très présents dans la rue, dans les dynamiques de bandes, les confrontations avec la police, dans tous les mauvais coups.
Est-ce que les violences urbaines de juin-juillet dernier relèvent d’une dynamique de bande ?
Le contexte d’apparition de ces violences apparaît très lié aux bandes de jeunes. Nahel était originaire de la cité Pablo Picasso à Nanterre. Dans les endroits comme celui-ci, les QPV, 12% des jeunes de moins de 30 ans font partie de bandes, ce qui fait environ 100 à 200 individus. Les événements de juin-juillet dernier ressemblent d’abord à une réaction de bandes de jeunes qui s’est ensuite étendue à d’autres quartiers, pour ensuite atteindre des centres commerciaux, et arriver jusqu’à l’attaque du domicile d’un élu. Ce phénomène a eu des répercutions spectaculaires qu’on n’avait pas vu avant.
Il est important de noter qu’autour des bandes gravitent des jeunes qui n’en font pas partie, mais qui en côtoient des membres. Ils les fascinent, alors ils les imitent (style vestimentaire, codes argotiques, trafic de cannabis, pratiques artistiques, …). Toute une jeunesse est sous influence de cette minorité active et qui participe à des phénomènes très médiatiques. Certains sont embarqués dans cette « aventure ». Ils ne sont pas complètement ni dedans ni dehors. On peut les retrouver dans des zones pavillonnaires, ils rencontrent des difficultés familiales, mais bien moins importantes. Ils sont influencés, par un copain, un grand frère, leur rébellion de crise d’adolescence, une situation familiale compliquée, des parents qui ne sont pas très présents, …
Qui sont les jeunes qui constituent ces bandes ?
Ces jeunes font partie des classes populaires les plus en difficulté. Pour simplifier, ils viennent souvent de familles primo arrivantes, pauvres, nombreuses, où les parents ont une mauvaise maitrise de la langue française, avec des situations sociales très dures. Dans ces familles-là, les fils passent leur temps dehors dès cinq-six ans.
Le contexte familial joue un rôle dans la participation aux phénomènes de bandes, et plus particulièrement de violences urbaines. Mais le rapport de l’IGA et de l’IGJ relève le rôle de l’inactivité. Est-ce également un facteur crédible et déterminant ?
La situation familiale joue en effet un rôle majeur, mais la participation à ces phénomènes est une conjugaison de plusieurs facteurs, pour un cocktail explosif. Ainsi, à la situation personnelle se rajoute le sujet de la carrière scolaire et professionnelle. Le cœur de la question, c’est l’emploi et l’accès au marché légal du travail. Les individus effectuent un arbitrage entre la participation au marché légal ou illégal du travail. Il y a de l’espoir et du désespoir qui s’alimentent des deux côtés. Pour certains le marché illégal du travail est tragique : ils sont physiquement agressés, endettés, soumis à un autoritarisme contre lequel ils ne peuvent rien, …
Mais il y a une comparaison en termes de pénibilité qui s’effectue. Car si l’école amène à un marché légal du travail, et permet d’atteindre une bonne situation professionnelle, avec une possibilité d’évolution, un savoir-faire, ce n’est pas systématique. C’est là que le secteur privé est important, c’est le grand absent des débats : le marché légal du travail passe majoritairement par lui. Or, aujourd’hui dans ces quartiers, la qualité, la sécurité et la rémunération des emplois qu’il propose laisse à désirer. L’exemple parfait, ce sont les Uber jobs. Ils permettent de faire baisser les chiffres du chômage, mais ils ne permettent pas d’en vivre. Cela donne des jeunes qui sont à la fois dans les trafics et le marché légal du travail.
Les chiffres dont on dispose sur les participants aux récentes violences urbaines révèlent une prépondérance de garçons parmi eux. Comment expliquer cela ?
Ces résultats sont vraiment classiques, c’est ce que l’on retrouve dans la sociologie de la délinquance juvénile en milieu populaire. Des filles peuvent de temps en temps constituer des petits groupes, participer à une émeute, une bagarre, mais elles ne font que graviter autour. Cela varie un peu à travers les années, mais la tendance persiste depuis longtemps. Cela va de pair avec d’autres phénomènes : il y a une surreprésentation des garçons au niveau de l’échec scolaire, dans les statistiques recensant les personnes vivant à la rue, ou encore parmi la population carcérale.
Cela s’explique par la socialisation familiale. Les filles sont davantage gardées à l’intérieur, y compris dans des situations familiales dures, alors que les garçons sont autorisés à sortir. La représentation classique du garçon qui sait se défendre et affronte les dangers du dehors, alors que la fille doit rester à l’intérieur pour se protéger des dangers du dehors et effectuer les tâches du dedans est sous-jacente.
On retrouve également toute une culture machiste traditionnelle qui fait qu’on valorise les garçons qui se bagarrent, prennent des risques, qui gagnent de l’argent pour montrer leur puissance virile, pour développer un « capital guerrier », dans des quartiers où beaucoup de gens n’appellent pas la police. Il faut savoir se défendre, protéger sa petite sœur, son petit frère, la voiture de sa mère, sa réputation, … C’est un travail lié à la virilité qui mène les garçons à essayer de s’endurcir, à gagner de l’argent par des voies illégales. Et lorsqu’ils se retrouvent ensemble dans une dynamique de bande, cela peut aller très loin.
Y a-t-il une différence dans le profil des jeunes et dans le modus operandi par rapport à 2005 ?
Ce qui est frappant dans les événements de juin-juillet dernier, par rapport à celui de 2005, c’est que ce phénomène initié par les jeunes des quartiers de la politique de la ville a pris une influence sociale beaucoup plus importante. Cela est évocateur du fait que dans toute la société, les codes de ces jeunes sont imités. Ce qu’ils développent aujourd’hui a une influence beaucoup plus large que ce qui existait en 2005. Aujourd’hui, même dans les beaux quartiers de l’Ouest parisien ou dans des petits villages, des adolescents imitent le style des bandes de jeunes des quartiers de la politique de la ville. Tout ce qu’ils font aujourd’hui résonne beaucoup plus qu’il y a vingt ou trente ans. Ils sont montés en force, via la question du chômage, de la précarité, de l’enrichissement, du mythe du lascar parti de rien qui a risqué et réussi, véhiculé par la mythologie libérale de nos sociétés.
Si le profil des émeutiers est peu surprenant, et que le phénomène de bandes de jeunes est monté en puissance ces dernières années, les violences de juin dernier n’étaient-elles pas prévisibles ?
Si, elles l’étaient. Et on aura d’autres événements de ce genre-là. Cette fois-ci, dix-huit ans se sont écoulés avant qu’un tel mouvement ait lieu à l’échelle nationale, mais il a été à la fois beaucoup plus court et beaucoup plus violent, avec l’attaque de centres commerciaux, de petits commerces, et de domicile d’élus. Mais je crains qu’on aille crescendo avec les années et que l’usage des armes a feux finisse par arriver.
Au cours du mois de juillet, le gouvernement a beaucoup orienté le regard vers les parents de ces enfants, ont-ils réellement un rôle dans cette situation ?
Dans ces problématiques-là, il y a des problèmes familiaux. Que ce soit pour les jeunes qui sont vraiment dans les phénomènes de bandes ou ceux qui gravitent autour : on retrouve toujours des problématiques familiales, en cherchant un peu. On trouve souvent la question de l’absence, des violences verbales, physiques, avec parfois des parents qui ne s’occupent pas de leurs enfants. Pour les jeunes qui sont dans le noyau dur, on se retrouve avec des parents pour qui faire la leçon c’est inutile, parce qu’ils sont eux-mêmes complètement dépassés. Ce sont des situations très dures d’abandon, de conflit, d’épuisement, de méconnaissance, d’incompréhension, que le discours classique qui consiste à dire « surveillez votre enfant » est lunaire. Pour les jeunes qui gravitent autour, en revanche, les parents peuvent être remobilisés, via une convocation par le principal du collège par exemple, mais c’est uniquement parce qu’ils ont les moyens de le faire. Dans ces cas-là, le discours du gouvernement peut avoir une certaine efficacité.