4 ans après la loi du 30 juillet 2020, qui, sous l’impulsion du Sénat, contraint les sites pornographiques à mettre en place un contrôle de l’âge de leurs visiteurs, les injonctions de l’Arcom (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique) à plusieurs plateformes commencent à être suivies des faits. Après des années de procédure, la Cour d’Appel a enjoint, ce jeudi, aux fournisseurs d’accès internet de procéder au blocage des sites XHamster, Tukif, Mrsexe, Iciporno « dans un délai de quinze jours », selon l’arrêt.
Pour mémoire, afin d’obliger les sites pornographiques à contrôler effectivement l’âge de leurs utilisateurs, la loi prévoit de donner le pouvoir à l’Arcom de bloquer et déréférencer les sites qui ne proposeraient pas de vérification assez solide et opérationnelle. Les plateformes s’étaient, dans un premier temps, réfugiées derrière des difficultés techniques pour justifier un contrôle d’âge lacunaire.
Un « référentiel » de « double anonymat » établi par l’Arcom
Adoptée en mai, la loi visant à sécuriser internet (Sren) a chargé l’Arcom d’établir « un « référentiel » déterminant les « exigences techniques auxquelles devront répondre les systèmes de vérification d’âge » (lire notre article). Ce référentiel a été publié le 11 octobre. Il vise à encadrer la « fiabilité du contrôle de l’âge des utilisateurs » sur les sites pornographiques tout en respectant leur vie privée, imposant au moins un dispositif de « double anonymat ». Les sites ont désormais trois mois pour se conformer aux normes, sous peine de sanction par l’Arcom. Ils disposent d’une période transitoire de trois mois supplémentaires s’ils adoptent une authentification par carte bancaire. Dans une décision rendue jeudi, la Cour d’appel a considéré que « l’intérêt supérieur de l’enfant » est une « considération primordiale » qui justifie de porter atteinte à « d’autres droits tels que la liberté d’expression ».
« En ce qui concerne l’application de ce référentiel, il va falloir attendre la publication complète de la décision, car dans son avis sur la loi visant à sécuriser internet, le Conseil d’Etat avait estimé qu’il ne pouvait être imposé dans le cadre de procédures judiciaires qui n’étaient pas encore purgées », souligne Alexandre Archambault, avocat spécialisé dans le droit du numérique.
« Pas d’impunité » pour les sites hébergés dans l’UE
Cette décision ne concerne pas non plus les sites hébergés au sein de l’Union européenne, tel que Pornhub, Youporn, Redtube, Xvideos et Xnxx. Dans leurs cas, la justice française attendra une réponse de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) pour rendre sa décision. Trois éditeurs de sites, établis à Chypre et en République Tchèque, étaient intervenus devant la Cour d’appel, soutenant que le blocage demandé « constituerait une mesure de restriction prohibée par le principe de libre circulation des services de l’information » dans l’UE, indique le communiqué de la Cour.
Dans un communiqué, la sénatrice LR, Marie Mercier, à l’origine de la mesure de contrôle d’âge dans la loi de 2020 rappelle que « selon la directive sur le commerce électronique de 2000, le principe du « pays d’origine » s’applique au numérique ». « C’est-à-dire que c’est au pays où l’entreprise a installé son siège que revient le rôle de légiférer. Ainsi, pour sanctionner ces plateformes, la France doit constituer un recours auprès des autorités locales et notifier la Commission européenne. Pourquoi cela n’est toujours pas fait ? », s’interroge-t-elle.
« Ce n’est pas de l’impunité. Des sites hébergés dans un autre Etat membre peuvent très bien être condamnés suite à une action menée par les autorités françaises. Cet été, une coopération de la CNIL et de l’autorité lituanienne de protection des données a fait condamner Vinted, hébergée en Lituanie, à une amende de 23 millions pour manquement au RGPD, (règlement général sur la protection des données) », rappelle Alexandre Archambault.
« Des sites majeurs échappent à un blocage qui devrait s’imposer. Ils multiplient les efforts pour faire durer les procédures », a pointé auprès de l’AFP Frédéric Benoist, avocat des associations « La Voix de l’enfant » et « e-Enfance », dénonçant l’effet du « puissant lobby de l’industrie pornographique ». « Il est regrettable que la cour ait cédé à la demande de cinq sites majeurs qui vont continuer à façonner la génération Youporn, à promouvoir auprès des enfants la soumission des filles à la violence masculine, les viols collectifs », a-t-il ajouté.
La sénatrice socialiste Laurence Rossignol co-auteure d’un rapport sénatorial sur l’industrie pornographique estime, de son côté, qu’il s’agit « d’une décision d’une importance majeure dans la lutte contre l’exposition des mineurs aux images diffusées sur les sites pornographiques ». « La suite se jouera […] devant les juridictions de l’UE. La bataille juridique et judiciaire n’est pas finie ».
La sénatrice, les Indépendants, Laure Darcos, y voit également « une première victoire qui mettra la pression sur les autres sites pornographiques dans le contrôle d’âge ».