GANGES: French president visits Louise Michel school in Ganges

Pap Ndiaye temporise sur la mixité sociale : « Le Président joue le rôle du ministre de l’Education »

Après avoir annoncé des mesures sur la mixité sociale à l’Ecole, le ministre de l’Education nationale semble temporiser ses annonces sur l’enseignement privé. Des atermoiements qui posent la question de la marge de manœuvre de Pap Ndiaye face aux arbitrages rendus par Emmanuel Macron. Une interrogation à la gauche, qui attend les mesures du ministre avec impatience, comme à droite qu’on dénonce une offensive contre l’enseignement privé, comme à droite.
Louis Mollier-Sabet

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[Article mis à jour après la réaction de Pap Ndiaye à la presse, à 15h30]

« Je ne sais pas, je ne peux pas vous en dire plus. » Ça bégaie fort, en ce jeudi matin, rue de Grenelle. Il est en effet un peu particulier qu’alors qu’un ministre devait faire des annonces, que le service de presse de son ministère ne puisse pas confirmer sa prise de parole à quelques heures des annonces prévues. En l’occurrence, Pap Ndiaye devait tenir une conférence de presse ce jeudi 11 mai pour annoncer des mesures sur la mixité sociale à l’Ecole, quelques mois après la publication des « IPS » – indices de position sociale – des différents établissements français, qui ont mis à jour de grandes disparités territoriales, comme entre le public et le privé.

Indice de position sociale – IPS

Indicateur utilisé depuis 2016 en interne par l’administration du ministère de l’Education nationale, il n’a été rendu public qu’en juillet 2022, après une décision du tribunal administratif en faveur du journaliste de la Gazette des communes, Alexandre Léchenet.

Construit à partir d’une enquête de 2008 ayant permis d’identifier les facteurs de réussite scolaire tels que le diplôme des parents, les conditions matérielles d’apprentissage à la maison, ou le capital culturel, l’IPS associe un indicateur chiffré aux professions des parents. Plus cet indicateur est élevé, plus le contexte familial de l’élève est favorable à sa réussite scolaire.

Compris entre 38 et 179, la moyenne des IPS des élèves permet de situer socialement la population fréquentant un établissement. Plus il est élevé, plus le public en question est favorisé socialement et vient d’un milieu facilitant les apprentissages.

La publication des données à la fin de l’année 2022 a permis de confirmer l’existence de véritables disparités entre le public et le privé, les établissements privés jouissant en moyenne « d’IPS » bien plus élevé que les établissements publics.

Des annonces déjà reportées en raison du mouvement social autour de la réforme des retraites. Envisageant à un moment de faire d’abord des annonces sur le public, puis, de publier le protocole signé avec l’enseignement catholique la semaine prochaine, le ministre a finalement renoncé à toute prise de parole devant la presse. Il aurait finalement privilégié une réunion avec les recteurs académiques pour « leur fixer des objectifs en matière de mixité sociale », d’après Politico. Finalement, le ministère de l’Education nationale communique en fin de journée à la presse, en renvoyant à une déclaration ultérieure du ministre, « dans les prochains jours, lors de la signature du protocole avec le privé. »

« Je peux vous dire comment ça va finir : il n’y aura rien »

« Une capitulation en rase campagne », pour le sénateur communiste Pierre Ouzoulias, qui a déposé une proposition de loi qui conditionne le financement des établissements privés à des critères de mixité sociale le 3 avril dernier. Tout avait pourtant bien commencé entre le sénateur des Hauts-de-Seine et le ministre de l’Education nationale. Lors d’un débat sur la mixité sociale à l’Ecole initié par le groupe socialiste le 1er mars dernier au Sénat, Pap Ndiaye s’était montré assez offensif sur la question. « C’est une priorité de mon ministère […]. Les élèves défavorisés représentent 42 % des élèves dans le public, contre 18 % dans le privé. […] Il est aussi normal que le secteur privé s’engage dans une démarche contractualisée. […] Nous sommes en discussion avec l’enseignement catholique et j’espère la signature prochaine d’un protocole d’engagement, qui pourrait être signé autour du 20 mars prochain. Je mène aussi ce travail avec les établissements d’autres confessions et les établissements privés laïcs », avait alors déclaré le ministre.

« J’avais été très favorablement impressionné par ce que Pap Ndiaye nous avait dit en séance. Il y avait un programme : imposer de nouvelles contraintes sociales au privé. Il avait fait montre de convictions. Après la séance, on en avait discuté, et on était tout à fait d’accord sur le fait qu’on arrivait à une telle distorsion que c’était caricatural », raconte Pierre Ouzoulias, aujourd’hui déçu par la tournure des événements. Le protocole annoncé pour le 20 mars n’est toujours pas signé presque deux mois plus tard, et le cafouillage de ce jeudi ne semble pas annoncer d’issue favorable sur le sujet pour le ministre de l’Education nationale. « Je peux vous dire comment ça va finir : il n’y aura rien. Le privé dira que bien évidemment, il fera très attention à la mixité, mais à la condition que l’Etat lui en donne les moyens, pour arriver de 75 % à 100 % de financement public. C’est ça leur modèle économique. »

« Politiquement il est complètement bloqué »

À l’heure actuelle, aucune annonce officielle n’a été faite, difficile donc de dire si Pap Ndiaye va effectivement « renoncer », à un dispositif, même dans sa version la plus acceptable par l’enseignement privé : une contractualisation entre les établissements volontaires et l’Etat. En tout état de cause, les atermoiements et revirements sur la question montrent au moins une chose : le ministre de l’Education nationale n’a pas réussi à s’imposer dans les arbitrages. « Politiquement il est complètement bloqué », analyse Pierre Ouzoulias, qui y voit un symptôme supplémentaire de « la pratique macronienne du pouvoir », et de l’influence des conceptions « bernardiennes » du Président de la République, où « si les cultes peuvent aider l’Etat dans ses missions de service public, c’est très bien. »

Autre spécialiste du dossier, le sénateur LR Max Brisson, qui a récemment défendu une proposition de loi sur « l’École de la liberté, de l’égalité des chances et de la laïcité », se montre un peu plus prudent sur l’avenir de ces mesures sur la mixité sociale, mais partage le diagnostic de dysfonctionnement au sein de l’exécutif sur la question. « On est dans une curieuse situation où le Président de la République développe de longs discours sur l’organisation de l’Ecole. Il joue le rôle du ministre de l’Education nationale, jusqu’à se perdre dans le détail et prendre le retour de manivelle, par exemple sur le montant des stages ou le niveau de revalorisation indiciaire des professeurs, ce qui devrait être du ressort du ministre de l’Education nationale », analyse le sénateur LR.

La droite dénonce un « bombardement préventif contre l’enseignement privé »

Pour Max Brisson, une sorte de division du travail s’est installée entre Emmanuel Macron et son ministre de l’Education nationale, laissant les annonces « de droite » au chef de l’Etat et deux sujets à un « ministre clairement de gauche » : « Quand vous êtes à distance des grandes réformes de structure de l’Education nationale, silencieux sur la réforme de la voie professionnelle ou de l’autonomie de l’établissement, vous êtes un militant politique sur deux sujets : votre militantisme personnel sur une laïcité plus accommodante, et un ciblage traditionnel de la gauche de l’enseignement privé catholique. Le ministre de la réforme scolaire, c’est le Président de la République, il n’y a pas de locataire au 110 rue de Grenelle. »

« Oui, Pap Ndiaye n’a pas le poids politique qu’a pu avoir Jean-Michel Blanquer, avant de le perdre », concède Max Brisson, « mais ça ne l’exonère pas de ce qu’il fait. » Parce que sur le fond, le sénateur LR se montre un peu plus circonspect sur la portée de l’offensive de Pap Ndiaye sur la mixité sociale, et craint toujours une « vieille tradition de gauche », consistant à « casser ce qui marche au lieu d’améliorer ce qui ne marche pas. » Si le ministre de l’Education se heurte visiblement « à des arbitrages difficiles », cela « n’interdit pas de déceler que lorsqu’il avance, c’est toujours dans le même sens », explique Max Brisson, qui voit dans les déclarations récentes du ministre un « bombardement préventif contre l’enseignement privé. » D’après lui, si « l’évitement scolaire est devenu un sport national », c’est « malheureusement un témoin de la dégradation de notre système scolaire », qui se pratique dans le public comme dans le privé, d’après lui.

La gauche dénonce un « communautarisme scolaire »

Sans surprise, Pierre Ouzoulias s’inscrit totalement en faux. Le sénateur communiste voit dans les réactions de l’enseignement privé catholique aux demandes d’introduction de mixité sociale la manifestation d’un « communautarisme scolaire », nourri par l’argent public : « Le privé est financé à 70-75 % par des financements publics. Ils ont la liberté absolue de dépenser comme ils veulent l’argent du contribuable. Venant d’un gouvernement libéral, c’est la seule fois que j’entends ça. Jamais l’enseignement privé dit qu’ils ne scolarisent pas les enfants handicapés, ni les personnes qui ont des difficultés comportementales, et encore moins les élèves en situation scolaire difficile. Eux, ils n’en veulent pas : ils font réussir les enfants des familles qui ont réussi. S’ils veulent entretenir une culture de l’entre-soi, c’est leur droit, mais pas avec de l’argent public. »

Si, d’après le sénateur communiste, Pap Ndiaye semblait partager son point de vue, aucune annonce officielle venant de la rue de Grenelle ne vient pour l’instant confirmer les velléités supposées du ministre de l’Education nationale. Que celles-ci soient attendues, à gauche, ou redoutées, à droite, un constat reste : le cap sur la mixité sociale ne semble pas clair, et le ministre de l’Education nationale d’autant plus fragilisé.

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