C’est un nouveau séisme. L’Abbé Pierre, figure de la lutte sociale et longtemps parmi les personnalités préférées des Français, est accusé par 24 femmes de violences sexuelles. Le cabinet spécialisé Elaé a identifié 17 nouvelles accusations qui s’ajoutent aux 7 déjà dévoilées en juillet. Des révélations publiées ce lundi par la cellule d’enquête de Radio France font même aussi état de pressions de l’abbé Pierre contre ses accusateurs.
Dans la matinée, Adrien Chaboche, le délégué général d’Emmaüs International, a admis ce lundi sur RTL que le nom de l’abbé Pierre était désormais associé à celui d’un « prédateur sexuel ».
Face à cette multiplication soudaine d’accusations, une interrogation se pose sur le silence qui a régné du vivant de l’Abbé Pierre, décédé en 2007.
« Si les institutions avaient fonctionné, il n’aurait pas eu tant de victimes »
« Si les institutions avaient fonctionné, il n’aurait pas eu tant de victimes », s’indigne Véronique Margon, présidente de la Conférence des religieux et religieuses de France (Corref), auprès du Parisien.
Depuis une dizaine d’années, l’Église de France a déjà adopté plusieurs mesures, comme la création de cellules pour l’écoute des victimes ou la formation de membres du clergé.
A la suite d’une série de révélations d’abus sexuels dans l’Église catholique, le groupe socialiste du Sénat avait demandé une commission d’enquête, transformée en mission d’information dont le rapport a été rendu en 2019.
La mission insistait notamment sur la nécessité de former tous les ministres du culte sur les questions de violence sexuelle, en soulignant sur les obligations de signalement et sur la primauté du droit français sur leurs règles internes.
« Sur la question de la levée du secret médical, on n’a pas pu aboutir même si on était pour, mais le rapport risquait de ne pas être voté », regrette Dominique Vérien, présidente au Sénat de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. La sénatrice Union centriste de l’Yonne ajoute : « Il faut qu’il puisse y avoir un signalement de la part du curé ou du médecin, au moins l’anonymat, de la personne qui dénonce pour qu’une enquête interne puisse être faite, et pour qu’après la justice fasse son travail. »
Dominique Vérien recommande aussi d’« étendre le rôle de la commission Sauvé aux violences faites aux hommes et aux femmes, comme il en est question pour l’Abbé Pierre, et non pas qu’aux enfants ».
Quant à Marie Mercier, sénatrice LR de Saône-et-Loire et médecin de profession qui a travaillé sur la mission d’information de 2019, elle recommande quant à elle de « faire des tests de psychologie sur les jeunes quand ils font leur vœu de chasteté pour vérifier que cet engagement soit profond ».
Une indemnisation des victimes envisagée par Emmaüs International
Les associations fondées par le prêtre, Emmaüs France, Emmaüs International et la Fondation Abbé Pierre, ont réaffirmé leur « soutien total » aux victimes. Emmaüs International dit réfléchir à une indemnisation des victimes de l’Abbé Pierre, comme l’a précisé ce lundi son directeur général.
Les trois organisations avaient décidé de lancer « un travail d’écoute […] pour établir si d’autres faits similaires avaient pu se produire ». Elles ont confié le recueil des témoignages au cabinet Egaé. La Fondation Abbé Pierre a aussi indiqué avoir initié les démarches pour changer d’appellation.
« Est-ce que c’est normal qu’une organisation qui n’a pas dénoncé des crimes et des faits de violences sexuelles […] puisse faire justice elle-même en mandatant un cabinet privé ? », conteste toutefois le militant Arnaud Gallais, à la tête de l’association de victimes de violences sexuelles Mouv’Enfants, qui réclame que les structures se penchent sur leur responsabilité et que la justice reprenne l’affaire.
Face aux nouvelles révélations, la présidente de la Conférence des religieux et religieuses de France (Corref), Véronique Margron, plaide pour l’instauration d’« un processus de justice, de reconnaissance, de réparation » à l’image de ce qui a été fait après le rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église » (Ciase). « Ce n’est pas une simple rencontre dont les victimes ont besoin, mais qu’une institution reconnaisse sa responsabilité. », ajoute-t-elle.
L’Abbé Pierre, mort en 2007, ne peut plus faire l’objet de poursuites, alors que la plupart des faits risquent d’être considérés comme prescrits. Dans une loi sur la protection des jeunes mineurs des crimes sexuels, un amendement de la sénatrice socialiste Laurence Rossignol prévoit toutefois une interruption du délai de prescription quand l’auteur d’un premier crime sur mineur commet le même crime sur un autre mineur.