Felix Pyat, Marseille Nord

Narcotrafic : « Marseille illustre l’effondrement de notre démocratie face à un déni de réalité »

Deux adolescents ont été employés la semaine dernière par un trafiquant marseillais pour intimider puis assassiner un concurrent, opération qui s’est soldée par la mort de l’un des deux mineurs et celle d’un chauffeur VTC. Le sénateur LR Etienne Blanc, rapporteur de la commission d’enquête parlementaire sur le narcotrafic, évoque l’inquiétant rajeunissement des dealers et le recours à des méthodes de plus en plus violentes.
Romain David

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Un nouveau palier a été franchi à Marseille dans la violence en lien avec le trafic de drogue. Un adolescent de 15 ans a été poignardé d’une cinquantaine de coups de couteau puis brûlé vif mercredi à la cité Bellevue, dans le cadre d’un règlement de compte entre narcotrafiquants. Vendredi, dans la même affaire de vendetta, c’est un chauffeur VTC de 36 ans qui a été abattu d’une balle dans la tête dans la cité Felix-Pyat, victime collatérale d’un garçon de 14 ans, enrôlé comme « tueur à gage ». Le lien entre ces deux meurtres : un détenu de 23 ans qui a réussi à recruter sur les réseaux sociaux, depuis sa cellule de la prison d’Aix-Luynes, les deux mineurs.

Une information judiciaire a été ouverte pour « homicide volontaire avec préméditation en bande organisée, association de malfaiteurs, acquisition détention et transport d’arme de catégorie B par au moins deux personnes », a indiqué dimanche Nicolas Bessone, le procureur de la République de Marseille.

Ce double meurtre intervient moins de cinq mois après la présentation des conclusions de la commission d’enquête du Sénat sur l’impact du narcotrafic en France. Les élus y alertaient déjà très largement sur la situation marseillaise. Interrogé par Public Sénat, le rapporteur LR Etienne Blanc, élu du Rhône, estime que la cité phocéenne illustre à elle seule l’ensemble des menaces que le narcotrafic fait peser sur nos institutions sans reprise en main des autorités.

Quel a été votre réaction en découvrant l’âge des protagonistes dans ces deux affaires ?

« C’est triste à dire et brutal, mais cela ne m’a pas choqué. Les narcotrafiquants les plus chevronnés recrutent des mineurs pour les tâches les plus lourdes, car ils bénéficient de l’excuse de minorité lorsqu’ils se font prendre. Nous avons insisté sur ce point durant les travaux de la commission d’enquête. Mais de manière générale, on observe un important rajeunissement à la tête des réseaux de narcotrafic.

Comment expliquez-vous ce rajeunissement des délinquants ?

D’une part parce que les recrutements se font sur les réseaux sociaux, où le public est plutôt jeune. D’autre part parce que les échelons au sein des clans se gravissent de plus en plus rapidement.

L’une de nos auditions les plus marquantes a été celle d’Emile Diaz, dit ‘Milou’, un ancien membre de la French Connection. Il a beaucoup parlé de ce qu’il appelle ‘l’école du crime’. De son temps, vous étiez formés au sein des réseaux, il y a des missions qu’on ne vous confiait pas avant d’avoir fait ses preuves, d’avoir acquis une certaine expérience. Aujourd’hui, cette notion semble avoir totalement disparu et des jeunes, recrutés sur les réseaux sociaux, se retrouvent du jour du lendemain avec des armes de guerre entre les mains.

On se souvient du déploiement, au cours de l’année écoulée, des opérations « place nette » XXL, visant à harceler les dealers dans les quartiers sensibles pour déstabiliser l’ensemble du trafic. Les dernières tueries montrent-elles les limites de cette méthode ?

Ce type d’opération, sur lesquels Gérald Darmanin avait beaucoup communiqué du temps où il était encore au ministère de l’Intérieur, permet d’améliorer la situation pendant quelque temps, mais elles ne s’attaquent pas au haut du spectre, c’est-à-dire à la partie submergée de l’iceberg, notamment la dimension internationale des trafics.

Devant notre commission d’enquête, le procureur de la République, Nicolas Bessone, avait estimé que l’Etat était en train de perdre la bataille contre le narcotrafic. Nous savons qu’il a ensuite été convoqué et recadré par le ministre de la Justice pour ses propos. Et je me demande même si cela n’est pas le fait du président de la République. Aujourd’hui, ce qu’il se passe à Marseille est l’illustration de l’effondrement de notre démocratie face à un déni de réalité.

Ce qu’il s’est passé à Marseille la semaine dernière fait également écho à un autre point soulevé par les travaux de la commission d’enquête : la capacité qu’ont certains criminels de continuer à piloter leur réseau, voire à commanditer des meurtres, depuis leur cellule de prison. Comment l’expliquer et de quelle manière lutter contre ce phénomène ?

Là encore, ce n’est pas d’aujourd’hui que l’on sait que les prisons sont remplies de trafiquants qui utilisent des téléphones. Lorsque nous avons visité la prison de Marseille, la directrice nous a confirmé que des téléphones circulaient. Comment arrivent-ils dans les cellules ? Un certain nombre vient des gardiens de prison, ce qui pose la question de la corruption au sein de l’administration pénitentiaire. D’autres sont fournis lors des visites et enfin, il y a des appareils qui sont directement livrés dans l’enceinte de la prison par des drones.

Ce genre de situation exige de déployer des moyens extrêmement lourds, comme des brouilleurs de signal. Ce sont des choses que nous sommes capables de faire. Je pense aussi qu’il faut mettre en place des quartiers spécialisés pour isoler les trafiquants, avec des fouilles de cellule plusieurs fois par jour et des privations de visite. Je sais que l’on va m’opposer l’Etat de droit, mais enfin, quand on voit les crimes de sang que cela génère !

L’ancien garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, avait proposé son propre plan de lutte contre les narcotrafics, rejoignant en partie les conclusions de la commission d’enquête du Sénat. Il n’aura pas eu le temps de veiller à sa mise en œuvre. Aujourd’hui, quels sont vos espoirs de voir certaines de vos préconisations appliquées ?

Michel Barnier a évoqué la lutte contre le trafic de drogue dans sa déclaration de politique générale. J’ai eu l’occasion d’en reparler directement avec lui lorsqu’il est venu au Sénat. Nous allons avoir une réunion très prochainement à Matignon avec le Premier ministre et Jérôme Durain, le président de la commission d’enquête, pour faire un point sur ce que nous proposions dans notre rapport. Mais pour l’instant, la priorité du gouvernement c’est le budget.

Justement, le contexte budgétaire s’annonce particulièrement difficile cette année, même si les crédits de la mission sécurité sont annoncés en hausse. Si vous ne deviez retenir qu’une poignée de mesures parmi les 146 recommandations de votre rapport, quelles seraient-elles ?

Il nous faut un texte de loi qui agisse à la fois sur le haut et le bas du spectre. Pour le haut du spectre, je pense au statut de repenti qui doit être amélioré en France. Un banquier qui a passé des années à blanchir de l’argent pour le compte de narcotrafiquants, et que vous prenez la main dans le pot de confiture, est en mesure de faire tomber tout un réseau. C’est ce qui s’est passé en Sicile à la fin des années 1980 avec le témoignage de l’ancien chef mafieux Tommaso Buscetta. On a vu fleurir un procès-fleuve avec des dizaines de personnes sur le banc des accusés.

En ce qui concerne le bas du spectre, je pense qu’il faut faciliter l’immersion des agents du renseignement au sein des réseaux de proximité. Aujourd’hui c’est impossible, car l’on peut considérer que vous avez poussé au délit, voire que vous avez été complice. C’est ce qui arrive à François Thierry, l’ancien patron de l’Office antidrogue français. »

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