Un écart colossal. Le chiffre d’affaires généré en France par le trafic de stupéfiants est estimé entre 3 et 5 milliards d’euros par an. Mais sur ces sommes, seuls 17, 1 millions d’euros ont été récupérés par l’administration en 2022, et seulement 14,4 millions l’année précédente selon les chiffres récoltés auprès des autorités par la commission d’enquête du Sénat sur l’impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier.
« Cette disproportion ne manque pas de nous interroger et pose un certain nombre de questions sur l’effectivité des dispositifs qui existent actuellement », relevait, ce jeudi 30 novembre le rapporteur LR Etienne Blanc face à Virginie Gentile, la directrice générale par intérim de l’Agence de gestion de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (agrasc), qui était auditionnée par la Chambre haute.
Créée en 2010, cette administration qui emploie une centaine d’agents est chargée de gérer les biens – liquidités, objets, patrimoine immobilier – saisis par la justice dans le cadre des procédures pénales ouvertes contre la délinquance et le crime organisé. L’année dernière, l’ensemble des 30 000 affaires traités par l’agrasc- au-delà des dossiers de trafic de drogue – a permis de reverser plus de 90 millions d’euros dans les caisses de l’Etat. L’agence ne s’occupe pas seulement des avoirs confisqués, elle organise également la vente aux enchères des biens mal acquis.
« On a souvent affaire à des investissements : biens immobiliers, assurance-vie… Mais nous avons aussi des biens matériels qui améliorent le quotidien : consoles de jeux, robots de cuisine, vêtements de marque, chaussures de luxe… Le panel est très large », détaille Virginie Gentile. Valeur moyenne des biens saisis : 2 000 euros contre 6 000 il y a quelques années, ce qui tend à montrer que le maillage des enquêteurs est de plus en plus fin et ne concerne plus seulement les objets d’ultraluxe (voitures, bijoux…) mais aussi des valeurs de moindre importance. « Nous avons fait ce progrès-là en matière de confiscation. Nous avons voulu montrer que l’on ne peut plus gagner d’argent en commettant une infraction », se félicite la directrice de l’agrasc.
« Les dossiers d’atteinte aux personnes sont incontestablement prioritaires par rapport aux dossiers patrimoniaux »
Pourtant, ces chiffres, comme le soulignait le sénateur Etienne Blanc, ne représentent que la partie émergée d’un iceberg de blanchiment des flux d’espèces issues du narcotrafic, transformés en investissements et biens matériels. Car la France peine encore à conduire des enquêtes patrimoniales d’envergure, généralement par manque de temps et de personnels.
« Compte tenu des moyens qui sont les leurs, les enquêteurs se concentrent d’abord sur la démonstration de l’infraction. L’enquête patrimoniale, déterminante dans ce type de dossier, nécessite des investigations beaucoup plus poussées. Elle n’est pas encore entrée dans les mœurs », concède Virginie Gentile. « Dans les petits services, les services locaux qui travaillent sur des trafics de stupéfiants qui ne sont pas d’ampleur internationale, les enquêteurs ne sont pas forcément spécialisés. Ils vont faire une enquête pour établir l’infraction, matérialiser le trafic, mais il n’y aura pas forcément un volet patrimonial », abonde Sylvie Marchelli, sous-directrice opérationnelle de l’agrasc. Elle le reconnaît : « L’enquête patrimoniale manque encore aux procédures. »
Cet angle mort transparaît généralement dans les communiqués de presse que les forces de l’ordre ont pris l’habitude de diffuser sur les réseaux sociaux après les coups de filet d’envergure : l’accent est mis sur la quantité de drogue saisie, le nombre de personnes interpellées, plus rarement sur l’agent qui a été blanchi.
Autre facteur : l’engorgement des services de la justice, qui contraint les magistrats à prioriser. « Par manque de temps, ils vont privilégier les thématiques urgentes et importantes en termes de troubles à l’ordre public. Les dossiers d’atteinte aux personnes et de violences conjugales sont incontestablement prioritaires aujourd’hui par rapport aux dossiers patrimoniaux », relève encore Sylvie Marchelli.
Plus marginale : la saisie de cryptoactifs. Elle tend toutefois à augmenter. De 70 saisies en 2021, l’agrasc est passé à 330 saisies en 2022. Néanmoins, le recours aux actifs numériques n’est pas spécifique à l’univers du narcotrafic, et concerne davantage d’autres types d’infractions comme l’escroquerie.