Le poète apatride Missak Manouchian et son épouse Mélinée, figures de la lutte des combattants étrangers contre l’occupation nazie en France, entrent au Panthéon ce mercredi 21 novembre, 80 ans jour pour jour après l’exécution de Missak à la forteresse du Mont Valérien. À leurs côtés, et de façon symbolique, seront également « panthéonisés » 23 des compagnons d’armes de Manouchian, avec l’inscription de leurs noms sur une plaque commémorative. Une première veillée d’hommage a été rendue à la dépouille de Manouchian mardi soir au Mont Valérien, après son exhumation du cimetière parisien d’Ivry.
« La mémoire de la Résistance communiste rentre maintenant au Panthéon. Elle aurait pu le faire plus tôt, peut-être. Ce que j’ai ressenti hier soir, c’est une réconciliation de plusieurs mémoires. La mémoire de la Résistance gaulliste, celle des socialistes, des catholiques, des francs-maçons, et des Juifs, bien évidemment », a commenté au micro de Public Sénat le sénateur PCF Pierre Ouzoulias, qui a longtemps milité pour cette reconnaissance de la Nation à une personnalité bien connue de la Résistance, mais souvent laissée à la marge des hommages rendus parce qu’étranger et communiste.
« Mon grand-père aurait pu être pris avec les autres »
Pour cet élu, la grande histoire se mêle à l’intime : Pierre Ouzoulias est le petit-fils du militant communiste et résistant Albert Ouzoulias, dit « le colonel André, qui a combattu dans le même mouvement de résistance que Missak Manouchian. « Mon grand-père, le colonel André, était le commissaire militaire national des Francs-tireurs et partisans (FTP), responsable des opérations. Il avait sous ses ordres Georges Epstein, à un moment donné où Georges Epstein commandait tous les FTP de la région parisienne et en dessous, Missak Manouchian », explique-t-il.
« Quand Epstein et Manouchian sont pris tous les deux, ils ont rencontré mon grand-père trois jours plus tôt. Mon grand-père aurait pu être pris avec les autres. Il a toujours pensé, et c’est la mémoire qu’il m’a transmise, qu’il devait sa vie au fait que Manouchian et Epstein n’avaient pas parlé sous la torture. Je vis encore avec ça. C’est quelque chose qui est très fort », confie-t-il.
« Dès 1944, 1945, mon grand-père avait recueilli des témoignages, des documents pour honorer la mémoire de ces camarades disparus », raconte Pierre Ouzoulias. « Au cimetière parisien d’Ivry, face au Carré des Fusillés, vous avez la tombe de mes deux grands-parents qui souhaitaient continuer à être associés à leurs camarades par-delà la mort. »
« Un message d’une humanité incroyable »
Pour le sénateur, la panthéonisation du couple Manouchian est « un hommage à ces étrangers qui sont morts pour un idéal qui nous dépasse tous et qui renvoie à la vocation fortement universelle et universaliste de la France. ». Il estime également que ce geste vient interroge ce que veut dire « être étranger et mourir pour la France ».
Il évoque ainsi la dernière lettre de Missak Manouchian, adressée à sa femme, et écrite depuis sa prison de Fresnes, quelques heures seulement avant son exécution. Le poète proclame mourir sans « aucune haine contre le peuple Allemand ». « C’est prodigieux, c’est un message d’une humanité incroyable », salue Pierre Ouzoulias. « Il s’appelle Missak Manouchian et il signe cette lettre ‘Michel’, alors qu’il est apatride. C’est une ode d’amour à l’universel, à la France. »
« Pour Manouchian, la France c’est un projet politique, pour d’autres c’est un projet ethnique »
Invitée à cette cérémonie en tant que présidente du groupe Rassemblement national à l’Assemblée, Marine Le Pen a fait savoir qu’elle serait bien présente au Panthéon ce mercredi, en dépit du souhait exprimé par les descendants de Manouchian qui ne veulent pas de la présence des membres du RN. Dans un entretien lundi au journal L’Humanité, Emmanuel Macron avait estimé que « les forces d’extrême droite seraient inspirées de ne pas être présentes ».
« Il ne faut exclure personne », commente Pierre Ouzoulias, avant de rappeler que « le combat de Manouchian était un combat contre une politique qui désigne l’étranger comme le bouc émissaire permanent ». « Cette panthéonisation questionne fondamentalement le rapport à la nationalité et à la France. Pour Manouchian – et c’est aussi ce que je partage -, la France c’est un projet politique qui s’adresse à tout le monde. Pour d’autres, la France, c’est un projet ethnique, donc ça renvoie au sang », développe le communiste. « Je crois que quand on va ce soir à la cérémonie, il faut, en conscience, se demander si l’on est tout à fait d’accord avec ce que portait Manouchian et notamment ce geste de fraternité absolue vis-à-vis des autres. »