« Les femmes ont-elles une histoire ? ». S’il y a 50 ans elle se posait la question dans l’une de ses premières conférences à l’université, aujourd’hui, elle est affirmative : « les femmes ont bien une histoire ». Dans les années 1970, l’Histoire des femmes était largement invisibilisée, oubliée des manuels. Elle explique : « Le mouvement de libération des femmes a été pour moi un moment très important, c’est à ce moment-là que je me suis dit, c’est bien joli de manifester mais qu’est-ce que je raconte sur les femmes dans mes cours ? Rien. Et ça a été comme mon chemin de Damas ». Pour pallier ce manque, les contributions de Michelle Perrot s’enchaînent alors. Elle publie successivement : Histoire des femmes en Occident, Les femmes ou les silences de l’Histoire, Le temps des féminismes, des ouvrages de référence traduits en plusieurs langues. Venue au féminisme sur le tard, elle en devient rapidement une icône. Avec le recul, elle déclare que son « féminisme était ancien, mais pas manifeste » : née à Paris dans une famille bourgeoise, elle évolue dans « un milieu privilégié » avec des « hommes égalitaires ».
« Me Too est un événement important »
Pour Michèle Perrot, le mouvement Me Too est un « événement important » qui s’inscrit dans une « continuité » historique. Elle fait notamment référence à la légalisation de l’IVG, en 1974, qu’elle qualifie de « révolution copernicienne », dans le sens où cela a permis de séparer la « procréation » de la « sexualité ». Aujourd’hui, elle estime que « Me Too déplace la frontière. C’est le droit véritablement accordé aux femmes de disposer de leur intimité. Avant c’était « un enfant, si je veux, quand je veux, comme je veux ». Maintenant c’est « l’amour, la sexualité, si je veux, quand je veux, comme je veux ». Si elle soutient le combat des féministes d’aujourd’hui en affirmant qu’ « elles vont plus loin, osent davantage dans leur parole et dans leurs actes », elle comprend les réactions de certains hommes, tout en dénonçant ceux qui se tournent vers le masculinisme.
« Ce n’est pas si simple d’être un homme aujourd’hui »
Loin de céder aux simplifications, Michelle Perrot regarde avec ses lunettes d’historienne le retour d’une forme de masculinisme : « je prends conscience que même en France, il y a des résurgences masculinistes, je les analyse, je pense que ce n’est pas si simple d’être un homme aujourd’hui ». Si « certains se posent des questions, d’autres adhèrent à un virilisme, à la compétition, à la domination, au pouvoir, à l’argent ». Ces éléments nourrissent des « positions masculinistes qui risquent de s’imposer dans toute la société », explique Michelle Perrot. C’est pourquoi elle salue l’inscription de l’IVG dans la Constitution en mars 2024 : « je pense que sans que nous nous en rendions compte, il y avait une certaine urgence ». A la question « êtes-vous rassurée pour les droits des femmes aujourd’hui en France et en Europe ? », elle répond : « Non. Je ne suis pas complètement rassurée. Les acquis des femmes et les droits des femmes sont fragiles. Ce n’est pas étonnant car ce qu’on appelle la domination masculine est un système. (…) C’est quelque chose de longue durée. Il y a un socle très difficile à dissiper, donc ça peut toujours se rejouer ».
« On ne naît pas féministe, on le devient »
« Pendant très longtemps, au fond, je n’étais pas tellement féministe » déclare Michelle Perrot. Elle l’était d’une certaine façon car elle « admirait » Simone de Beauvoir et son « grand texte féministe » : Le Deuxième Sexe. Sans jamais déroger à sa ligne directrice : la « rigueur historique », Michelle Perrot s’est engagée pour la cause des femmes. Si elle devait choisir l’une des quatre vertus incarnées par les statues du Dôme Tournon : la sagesse, la prudence, la justice et l’éloquence, elle choisirait cette dernière : « L’éloquence ça veut dire espace public. Revendiquer une parole dans l’espace public a toujours été difficile pour les femmes, donc je soutiendrais cette ambition ».
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