PARIS, September 21, 2024. Discovery of the half-buried body of a student from Paris Dauphine University by her relatives in the Bois de Boulogne.

Meurtre de Philippine : parcours du suspect, OQTF et législation… le point sur l’affaire

Le profil du suspect du meurtre de Philippine, retrouvée morte dans le Bois de Boulogne, relance la polémique sur les obligations de quitter le territoire, dont le taux d’exécution est faible. Détenu en centre de rétention, il avait été relâché, bien que devant être expulsé. Le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, se dit prêt à « changer » les règles « s’il le faut ». Des propos diversement appréciés au Sénat.
François Vignal

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C’est un nouveau fait divers qui prend une dimension politique. Philippine, étudiante de 19 ans à l’université Paris Dauphine, a été retrouvée morte, le corps partiellement enseveli, dans le Bois de Boulogne, samedi 21 septembre. Trois jours après, un suspect a été interpellé en Suisse. Il s’agit d’un homme de 22 ans, de nationalité marocaine, a précisé à l’AFP une source proche du dossier, confirmant une information d’Actu 17. Il était sous le coup d’une OQTF (obligation de quitter le territoire français). C’est ce point qui a relancé la machine à polémique.

  • Que sait-on du parcours du suspect ?

L’homme avait déjà eu affaire à la justice. En 2021, il avait été condamné à 7 ans de prison pour le viol d’une femme de 23 ans dans un bois de Taverny (Val-d’Oise). Il était alors âgé de 17 ans. Sorti de prison le 20 juin dernier, sa condamnation est assortie aussitôt d’une obligation de quitter le territoire français.

Comme l’explique Le Parisien, il est placé en centre de rétention administrative (CRA), avant d’être libéré 16 jours avant les faits. Le préfet de l’Yonne avait en effet ordonné son placement en CRA. Il se retrouve dans un centre à Metz. Problème pour l’expulser : il n’a aucun document d’identité. Dès le 18 juin, les autorités françaises sollicitent alors le Maroc pour une « demande de reconnaissance aux fins de délivrance d’un laissez-passer ». Devant l’absence de réponse, nouvelles demandes le 16 juillet, puis le 27 août, détaille toujours Le Parisien.

En parallèle, la rétention administrative se poursuit. La loi prévoit de la limiter à 60 jours, durée pouvant être prolongée si un pays ne répond pas aux demandes. Dans le cas du suspect, il y a eu trois prolongations. Le 3 septembre, faute toujours de réponse du Maroc, le préfet demande une quatrième prolongation de 15 jours. La juge des libertés et détention, qui doit trancher, souligne bien que le jeune homme « a porté atteinte à la sécurité des personnes » avec son affaire de viol » et estime que « le risque de réitération de faits délictueux, et donc la menace à l’ordre public, ne peut être exclu ». La juge décide pourtant de le libérer, car l’administration française « ne peut établir » qu’elle arrivera à obtenir le laissez-passer de la part du Maroc d’ici 15 jours, ni à organiser le voyage en avion. Par conséquent, « les conditions légales d’une nouvelle prolongation ne sont pas remplies ». Sa sortie était assortie d’une obligation de pointer.

Tout s’est joué ici à un jour près. Car le lendemain de la décision du juge, le Maroc fait parvenir le 4 septembre l’autorisation d’expulsion à la France, selon l’AFP. Le suspect n’ayant pas respecté son obligation de pointer, il avait ensuite été inscrit au fichier des personnes recherchées, le 19 septembre selon le procureur, soit la veille du meurtre.

  • Qu’est-ce qu’une OQTF ?

Il s’agit d’une mesure administrative prise par un préfet à l’encontre d’un étranger en situation irrégulière. La décision oblige la personne concernée à quitter la France par ses propres moyens, dans un délai de 30 jours.

Si la personne n’a pas quitté volontairement le territoire dans le délai fixé, elle peut être placée en centre de rétention ou assignée à résidence. Charge alors aux autorités d’organiser le départ vers le pays d’origine (sauf si la vie ou la liberté de la personne y sont menacées).

Plusieurs exceptions existent à l’application d’une OQTF. Elle ne s’applique pas aux mineurs, aux personnes séjournant en France depuis plus de 20 ans ou aux personnes mariées avec un ressortissant français depuis au moins trois ans. Cette protection peut cependant être retirée, en cas notamment de terrorisme ou si l’individu compromet les intérêts fondamentaux de l’Etat.

  • Combien d’obligations de quitter le territoire sont appliquées ?

Le taux d’application des OQTF est bas ces dernières années. Selon le rapport pour avis des sénateurs Muriel Jourda (LR) et l’ex-sénateur Philippe Bonnecarrère (centriste), pour le budget 2024, le taux d’exécution des OQTF s’élève à 6 % en 2021, puis à 6,8 % en 2022 et 6,9 % au premier semestre 2023.

Un faible taux à relativiser en partie, du fait du nombre élevé d’OQTF prononcés en 2022, avec 134.280 décisions. En 2012, le taux d’exécution affichait un bien meilleur niveau, avec 22,3 %, mais pour seulement 82.535 décisions. Avec 18.441 décisions exécutées en 2012, ce chiffre a cependant baissé depuis 2020 (7.376), après avoir été plutôt stable jusqu’en 2019 (15.013), avec un point bas en 2016 (11.653).

« En dépit de ces lacunes évidentes, l’État ne semble pas souhaiter se donner les moyens d’une politique d’éloignement réellement efficace. L’incohérence entre un nombre toujours plus élevé de mesures d’éloignement prononcées et l’absence de renforts humains et financiers pour les exécuter symbolise cette absence de ligne directrice », dénonçait dans un rapport de 2022 l’ex-sénateur LR François-Noël Buffet, qui vient d’être nommé ministre des Outre-mer.

  • Bruno Retailleau prêt à « changer » les règles « s’il (le) faut »

Face aux parcours du suspect, sous le coup d’une OQTF et libéré d’un centre de rétention administrative après la décision d’un juge, la polémique n’a pas tardé à enfler. Le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, qui était déjà prompt à réagir sur ce type de fait divers avant sa nomination, n’exclut pas de légiférer.

« Face à un tel drame, précédé de bien d’autres, nous ne pouvons pas nous contenter de déplorer ou de nous indigner. C’est à nous, responsables publics, de refuser la fatalité et de faire évoluer notre arsenal juridique, pour protéger les Français. Car c’est le premier de leurs droits, et donc le premier de nos devoirs. S’il faut changer les règles, changeons-les », lance Bruno Retailleau dans un communiqué. Il entend « travailler pour assurer la sécurité de nos compatriotes » avec le ministre de la Justice. Au lendemain d’une première polémique avec Didier Migaud, celui qui était jusqu’ici sénateur LR prend soin, au passage, de préciser que ce travail se fera « dans le périmètre de nos responsabilités respectives (avec le ministre de la Justice) et sous l’autorité du Premier ministre ».

A gauche, le patron du PS, Olivier Faure, s’est montré ferme. « Quand on a quelqu’un qui est en détention, qui est un individu dont on peut penser qu’il est une menace pour la société française, on ne devrait pas avoir à le libérer avant même qu’on ait l’assurance qu’il pourra repartir », a jugé le député socialiste sur BFMTV/RMC. L’ancien président socialiste, François Hollande, a lui mis en cause sur France Info la « chaîne pénale et administrative ».

  • Quelles pistes d’évolution des règles ?

A quoi pourraient ressembler ces nouvelles règles ? Lors des débats du dernier projet de loi immigration au Sénat, la majorité sénatoriale avait modifié les règles en matière d’OQTF. Cela pourrait peut-être donner une idée des changements à venir. Les mesures défendues par un certain Bruno Retailleau visaient à faire sauter la plupart des protections évoquées plus haut, en cas d’OQTF, pour les personnes représentant « une menace grave pour l’ordre public », à l’exception de celle pour les mineurs.

S’il faudra attendre pour connaître les intentions de Bruno Retailleau devenu ministre, il sera sans surprise soutenu par son camp, à l’image de Valérie Boyer, sénatrice LR des Bouches-du-Rhône. « Il faudrait déjà appliquer dans un premier temps la législation. Et une personne qui fait l’objet d’une OQTF, il ne faut pas qu’elle soit relâchée, surtout après une peine écourtée. Et surtout pour viol, quand on sait parfaitement que beaucoup de violeurs récidivent », avance la sénatrice, qui estime qu’« il y a une série – je ne sais pas si on peut qualifier ça d’erreurs – mais de problèmes administratifs ».

Valérie Boyer souligne que le suspect est par ailleurs arrivé sur le territoire en tant que mineur. Elle pointe cette question. « J’ai déposé une proposition de loi en mars dernier sur les mineurs étrangers isolés. Quand ils restent 3 ans en France, ils deviennent Français et après ils font venir toute leur famille. Au nom de quoi, quelqu’un qui est venu illégalement en France, en se faisant passer pour un mineur, car c’est faux 8 fois sur 10, aurait le droit d’être Français ? » demande Valérie Boyer, dont la PPL propose de supprimer cette disposition. Elle ajoute : « Tout dysfonctionne dans cette affaire, qui est tellement significative. On n’en peut plus de tous ces faits divers immondes ».

« Si on l’avait maintenu en centre de rétention, il aurait été expulsé » souligne la sénatrice LR Jacqueline Eustache Brinio

Pour sa collègue LR Jacqueline Eustache-Brinio, « le sujet de fond, c’est pourquoi il n’est pas resté 90 jours dans le centre de rétention, soit la durée maximale ? Compte tenu de son parcours, franchement… Il est arrivé en 2019, quelques mois après, il viole une jeune femme. Si on l’avait maintenu en CRA, il aurait été expulsé. Car le Maroc avait donné l’OQTF », souligne la sénatrice LR du Val-d’Oise. Pour Jacqueline Eustache Brinio, « on est au cœur de l’immigration non contrôlée ».

Sur les pistes à suivre, il suffit pour cette proche de Bruno Retailleau de regarder « tout ce qui a été retoqué par le Conseil constitutionnel. Ce n’était pas sur le fond mais la forme, ou soi-disant pas dans le bon texte », pointe Jacques Eustache-Brinio, selon qui « on peut très bien retravailler pour mettre les choses au bon endroit, au bon moment. Il faut absolument qu’on puisse légiférer. Et il y a des choses réglementaires, comme a dit le ministre ».

« Au-delà de la question de OQTF, c’est la question de la manière dont on traite le viol dans ce pays » pour la socialiste Corinne Narassiguin

Autre son de cloche, avec la socialiste Corinne Narassiguin. « Au-delà de la question de OQTF, c’est la question de la manière dont on traite le viol dans ce pays : les peines prononcées, la manière dont on ne prend pas en compte le risque extrêmement élevé de récidive et la manière dont on fait, ou pas, le suivi des personnes incarcérées », avance la sénatrice PS de Seine-Saint-Denis, qui rappelle que « le système judiciaire ne doit pas avoir uniquement pour but de punir un coupable, mais aussi d’assurer sa réinsertion ».

« Après, on a un problème d’exécution des OQTF, car il y a un problème avec certains Etats. On sait bien que les mesures, soi-disant de rétorsion, prises avec le Maroc, ont produit au contraire plus de difficultés avec ces pays. Et ça commence à se rétablir car on a levé ces mesures de chantage », pointe du doigt la secrétaire nationale du PS à la coordination. Elle ajoute :

 Je ne suis pas sûre que la fuite en avant de Bruno Retailleau soit une recherche d’efficacité, mais plus une recherche d’affichage, qui n’apportera aucun résultat. 

Corinne Narassiguin, sénatrice PS de Seine-Saint-Denis.

Par ailleurs, Corinne Narassiguin pense que la France « décide de beaucoup d’OQTF, dont certaines sont discutables. Et avec la loi immigration, on a élargi les critères, sans donner plus de moyens pour les exécuter. Donc il faut quand même revenir à la raison face à la surenchère sur les OQTF ». Outre « une meilleure politique d’intégration », la sénatrice PS prône des « OQTF pour des cas où c’est véritablement justifié, et la nécessité de mettre les moyens dans le système administratif pour qu’elles soient réellement exécutées ».

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