Le patron de Meta (Facebook, Instagram, Whatsapp) Mark Zuckerberg a annoncé une rupture dans la modération et la vérification d’information sur ses réseaux sociaux, actant un rapprochement avec le président américain Donald Trump.

Meta assouplit la modération des contenus sur Facebook et Instagram : l’Union européenne impuissante ?

Mark Zuckerberg a annoncé un bouleversement des règles de modération des contenus sur les réseaux sociaux du groupe Meta. Dans son communiqué, le patron de Facebook et Instagram vise directement les règlements européens sur les plateformes, qu’il accuse d’ « institutionnaliser la censure ».
Rose-Amélie Bécel

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« Nous allons travailler avec le président Donald Trump, pour faire pression sur les gouvernements du monde entier qui s’en prennent aux entreprises américaines et poussent à la censure ». Ce 7 janvier, dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux, le patron du groupe Meta (Facebook, Instagram, WhatsApp…) a annoncé de vastes modifications dans la modération des contenus postés sur ses plateformes.

Concrètement, Mark Zuckerberg entend notamment mettre fin aux partenariats noués ces dernières années avec des médias pour procéder à la vérification des informations. Ce travail de fact-checking sera désormais réalisé par les utilisateurs des plateformes eux-mêmes, avec l’instauration d’un système de « notes de la communauté », à l’image de celui qui existe sur X. « Les vérificateurs ont été trop orientés politiquement et ont plus participé à réduire la confiance qu’ils ne l’ont améliorée, en particulier aux Etats-Unis », explique le fondateur de Facebook.

Dans le même temps, Meta devrait considérablement réduire sa politique de modération, en diminuant la suppression des contenus haineux sur des sujets « tels que l’immigration et le genre ». Enfin, Mark Zuckerberg a annoncé le déplacement du service « confiance et sécurité » de Meta de la Californie, plus progressiste, vers le Texas, « où il y aura moins de préoccupations sur la partialité de nos équipes », assume-t-il.

« Un retour à une vision très américaine de la liberté d’expression »

« Ces dernières années, sous le coup de plusieurs événements et notamment après l’invasion du Capitole, Meta avait tendance à se soumettre aux standards européens et mondiaux en matière de modération et de vérification des contenus. Son communiqué acte une véritable rupture, un retour à une vision très américaine de la liberté d’expression », analyse Valère Ndior, professeur de droit et spécialiste du numérique et des réseaux sociaux.

Un revirement qui intervient alors que Mark Zuckerberg, qui avait pourtant suspendu pendant deux ans le compte Facebook de Donald Trump après l’invasion du Capitole, a dernièrement multiplié les gestes pour s’attirer les faveurs du nouveau président des Etats-Unis. Meta a notamment fait un don d’un million de dollars au fond finançant la cérémonie d’investiture de Trump, ou encore nommé plusieurs fidèles du Républicain au sein de son conseil d’administration. En novembre, Zuckerberg avait également rendu visite au milliardaire dans sa résidence de Mar-a-Lago en Floride.

Pour le moment, ces nouvelles règles ne devraient entrer en vigueur qu’aux Etats-Unis. C’est en tout cas ce qu’assure la ministre déléguée en charge du Numérique Clara Chappaz, après un échange avec la direction de Meta France ce 7 janvier. Toutefois, dans sa vidéo, Mark Zuckerberg s’en prend directement aux réglementations européennes qu’il accuse d’ « institutionnaliser la censure » et appelle à « lutter contre cette tendance mondiale », main dans la main avec l’administration Trump.

Une régulation insuffisante des contenus haineux en Europe ?

Concrètement, à quoi ressemble aujourd’hui la règlementation européenne en matière de modération des contenus sur les réseaux sociaux ? Depuis février 2024, toutes les plateformes doivent respecter le règlement européen sur les services numériques (DSA), qui leur impose de mettre en place un outil de signalement des contenus illicites (incitation à la haine ou à la violence, harcèlement…). Une fois signalés, les contenus doivent être retirés. En cas de violation du DSA, les plateformes risquent des amendes pouvant aller jusqu’à 6 % de leur chiffre d’affaires mondial, voire l’interdiction de leurs activités sur le marché européen.

Une règlementation jugée insuffisante par la sénatrice centriste Catherine Morin-Desailly, qui a présidé à la Chambre haute le projet de loi de transposition du texte européen dans le droit français. « J’ai toujours dit que nous n’étions pas allés assez loin avec le DSA. La réglementation actuelle est une demi-mesure, les plateformes ne sont pas tenues de rendre des comptes sur les contenus publiés, à la différence des médias qui sont responsables devant la loi », dénonce la sénatrice. « Ce sont les plateformes qui font la loi. Elles sont plus puissantes que les Etats, qui, pour ne pas leur déplaire, rechignent à les règlementer », se désole Catherine Morin-Desailly.

Malgré ces faiblesses, le règlement européen a déjà poussé la Commission européenne à ouvrir plusieurs enquêtes ces dernières années, contre les plateformes américaines X, Apple et le groupe Meta. Des enquêtes brusquement mises sur pause par Ursula von der Leyen avec la réélection de Donald Trump, au grand regret du ministre des Affaires étrangères. Ce 8 janvier, au micro de France Inter, Jean-Noël Barrot a exhorté la Commission européenne à « se saisir de manière beaucoup plus vigoureuse des outils que nous lui avons donnés », sans quoi Bruxelles devra « rendre aux Etats membres et à la France la capacité de le faire ». « Si la France décidait d’agir seule, cela irait à l’encontre de la philosophie du DSA qui cherche à harmoniser les règlementations entre les Etats. Ce serait un véritable échec de la Commission européenne, une preuve qu’elle est incapable de mettre en œuvre une politique qui lui revient », observe Valère Ndior.

Fin du fact-checking sur Facebook et Instagram : Meta prépare aussi le terrain en Europe

Le DSA engage également les plateformes à lutter contre la désinformation, « il s’agit surtout de lutter contre les risques systémiques comme la déstabilisation des élections », explique observe Valère Ndior. Les plateformes sont également encadrées par le « code de conduite européen contre la désinformation ». Un dispositif auquel elles adhèrent volontairement et qui les engage notamment les réseaux sociaux à renforcer leurs partenariats avec des organes de fact checking. En France, par exemple, la signature de ce code de conduite par Meta a donné lieu à des partenariats rémunérés entre le groupe et l’AFP ou encore Le Monde.

« Le plus important pour Meta, c’est de prouver qu’il respecte bien le DSA en montrant qu’il a bien mobilisé tous les moyens pour prévenir les risques de désinformation. Les organisations de fact checking apportent une contribution décisive dans ce travail et les remplacer par des notes de la communauté ne semble pas suffisant », estime Valère Ndior.

Si la transformation des règles de vérification de l’information ne concerne pour le moment que les Etats-Unis, Meta semble préparer le terrain pour son élargissement dans l’Union européenne. Ce 7 janvier, selon les informations du média Contexte, le groupe aurait en effet envoyé une note à la Commission visant à démontrer que, même sans l’appui d’organisations de fact checking sur Facebook et Instagram, les plateformes seront tout de même en mesure de respecter le DSA.

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