Illustrations : Creche Max Jacob

Maltraitance dans les crèches : où en est le plan petite enfance ?

Deux livres consacrés aux structures privées à but lucratif, publiés cette semaine, dressent un même constat : certains établissements du secteur, en plein expansion, font face à des dysfonctionnements graves. Une situation déjà mise en lumière au printemps dernier par un rapport de l’administration, qui concernait également les crèches municipales. Le gouvernement, qui a annoncé une série de mesures en juin, est désormais attendu sur leur déploiement.
Romain David

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Haro sur les crèches privées. Cinq mois après la publication d’un rapport alarmant de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) sur les risques de maltraitance dans les établissements d’accueil des jeunes enfants, deux livres enquêtes publiés cette semaine apportent un nouvel éclairage sur les pratiques du secteur privé : Babyzness (Robert Laffont) des journalistes Bérangère Lepetit et Elsa Marnette, qui sort ce jeudi, et Le prix du berceau (Seuil), des journalistes Daphné Gastaldi et Matthieu Périsse à paraître vendredi. Ces deux ouvrages, dont de larges extraits ont déjà été relayés par la presse, décrivent à grand renfort de témoignages la course à la rentabilité mise en place par des entreprises privées. Certaines structures sont décrites comme des « usines à bébé », où la course au remplissage et à l’optimisation des berceaux se heurte au manque de personnel, au rationnement des repas, aux couches non changées… de quoi installer un contexte de violences systémiques.

Améliorer la qualité de l’accueil

« Il y a des problèmes qui peuvent être structurels dans la filière de la petite enfance », a reconnu Olivier Véran le porte-parole du gouvernement, lors d’un point presse à la sortie du Conseil des ministres mercredi, tout en rappelant qu’un plan pour la petite enfance avait été présenté début juin par la Première ministre. Élisabeth Borne s’est engagée sur la création de 20 000 nouvelles places d’accueil d’ici 2030, le lancement d’une mission de recensement des besoins confiée aux communes, et, plus spécifiquement sur le volet maltraitance, une réduction de la durée des agréments, l’augmentation des contrôles et un renforcement du taux d’encadrement. 200 millions d’euros doivent également être débloqués chaque année pour revaloriser les salaires au sein du secteur.

« Je ne donnerai pas un euro de cet argent aux groupes privés […] s’il n’y a pas des engagements clairs sur la qualité d’accueil », a toutefois averti jeudi sur BFMTV-RMC Aurore Bergé, la nouvelle ministre des Solidarités et des Familles. Elle a également menacé de fermeture les établissements qui ne respecteraient pas les nouvelles normes d’encadrement.

L’essor des crèches privées

Apparu en France au début des années 2000 pour renforcer l’offre d’accueil, le secteur privé est désormais dominé par quatre réseaux : Babilou, Grandir, La Maison bleue et People & Baby. Selon des chiffres de la DREES de 2021, la garde des enfants de moins de trois ans par les parents reste très largement majoritaire (56 %), seulement moins de 18 % des enfants sont accueillis en crèche. Les crèches privées représentent 20 % du nombre de places disponibles (environ 80 000). Ces établissements perçoivent des subventions publiques, notamment à travers les Caisses d’allocations familiales (CAF). Comme le rappelle un rapport d’information du Sénat de 2015, en l’absence d’obligation en matière de garde, l’Etat se contente de fixer des orientations et attribue un soutien financier aux organismes, publics ou privés, qui ouvrent des places d’accueil. De là une grande diversité des modes d’accueil en France (crèches collectives municipales, micro-crèches, crèches d’entreprise, maisons d’assistantes maternelles, gardes à domicile, etc.).

« Les établissements d’accueil de personnes dépendantes ne sont jamais rentables, c’est une illusion »

Le rapport de l’Igas rendu en avril dernier, qui ne s’intéressait pas seulement aux structures privées mais également aux crèches municipales, appelait à une importante série de réformes du secteur, à commencer par une remise à plat des financements, et ce afin d’améliorer la qualité d’accueil et d’encadrement des enfants. « Il faut se garder de généraliser les critiques à l’ensemble du secteur privé, certains établissements font très bien leur travail. Mais il est vrai qu’à partir du moment où il y a une obligation de rentabilité, on nourrit indirectement la tentation du profit », alerte auprès de Public Sénat le sénateur LR Bernard Bonne, qui a longuement travaillé sur la question de la dépendance.

Auditionné fin juin par le Sénat, l’ancien ministre des Solidarités Jean-Christophe Bonne (remplacé depuis par Aurore Bergé), avait annoncé le lancement d’une mission sur le financement des micro-crèches, avec la volonté de « rééquilibrer la partie forfaitaire et la partie horaire ». « Les établissements d’accueil de personnes dépendantes ne sont jamais rentables, c’est une illusion », avertit Pascale Gruny, vice-présidente (LR) du Sénat. « Si on fixait le vrai prix d’une place en crèche, pratiquement aucun parent n’aurait les moyens d’y déposer ses enfants ».

Pilotage de l’offre

Cette élue est également la rapporteure du projet de loi plein-emploi, au sein duquel une partie des annonces faites en juin par Élisabeth Borne a trouvé une première transcription législative, avec un important volet sur la garde d’enfants. Notamment la reconnaissance aux communes de plus de 3 500 habitants d’une fonction d’« autorité organisatrice » de l’offre d’accueil sur leur territoire pour davantage de clarté. « Ce qui acte une situation de fait », note Pascale Gruny. En revanche, la chambre haute s’est opposée à l’inscription dans la loi d’une stratégie nationale d’accueil du jeune enfant. « Les orientations stratégiques existent déjà, mais vouloir les inscrire dans la loi, c’est faire affront aux élus locaux. Soit on fait confiance aux collectivités, soit c’est le ministre qui décide de tout et dans ce cas le gouvernement reprend le pilotage ! », recadre Pascale Gruny. Ce texte, adopté au Sénat en juillet, doit encore être débattu à l’Assemblée nationale.

Un dispositif d’alerte

Est également attendue d’ici la fin de l’année les conclusions d’une mission de réflexion confiée à Florence Dabin, présidente du Conseil départemental du Maine-et-Loire, sur le renforcement des dispositifs de lutte contre les situations de maltraitance. L’objectif étant notamment de trouver un système qui facilite les signalements, et qui soit opérationnel au printemps 2024. Bernard Bonne dresse le parallèle avec les cas de maltraitance dans les Ehpad privés, mis en lumière l’année dernière par le livre de Victor Castanet, Les Fossoyeurs. Le Sénat avait consacré à cette affaire une commission d’enquête, justement pilotée par le sénateur de la Loire, et dont les conclusions pointaient l’insuffisance des autorités de contrôle : « On passe un temps fou à réclamer une série d’agréments lorsqu’un établissement ouvre ses portes, et puis derrière, il arrive qu’il n’y ait plus aucun contrôle pendant des années », déplore-t-il.

« Par ailleurs, les personnes, à titre individuel, ont du mal à se faire entendre. Il peut aussi y avoir la crainte de perdre la place que l’on a longuement attendue en crèche ou en Ehpad et de se retrouver dans une situation très délicate. Les services départementaux ou d’Etat doivent leur garantir un accompagnement adéquat », souligne encore Bernard Bonne. La volonté affichée de l’Etat de multiplier les vérifications sur la durée devra pousser l’administration à repenser son mode de fonctionnement : « Les visites de contrôle n’ont d’intérêt que si elles sont inopinées », insiste Pascale Gruny. « La plupart du temps, elles sont assurées par le Conseil départemental ou le service de protection maternelle et infantile (PMI), mais l’établissement concerné est généralement prévenu à l’avance… »

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