Paris : march against anti-semitism

Lutte contre le racisme : « Un niveau sans précédent » de l’antisémitisme en France, pointe un rapport de la CNCDH

Dans son 34e rapport annuel, la Commission nationale consultative pour les droits de l’Homme (CNCDH) pointe notamment, dans le contexte des attaques terroristes du 7 octobre et la riposte israélienne qui s’en est suivie, « un nombre d’actes antisémites exceptionnellement élevé, qui rappelle de manière brutale la persistance de l’antisémitisme dans notre pays ».
Alexis Graillot

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« Recul de la tolérance », « augmentation des actes racistes », « explosion des actes antisémites », « persistance d’un discours teinté de xénophobie ». C’est un constat particulièrement alarmant livré par l’agence publique, ce jeudi 27 juin, à la suite de la publication de son rapport annuel sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie.

« Une hausse inédite » de l’antisémitisme, qui reste « plus marqué à droite qu’à gauche »

Si le nombre d’actes antisémites restait à un niveau relativement élevé ces dernières années, l’année 2023 a marqué un tournant dans la prévalence de ces actes, dans « un contexte international particulier », à la suite des attaques terroristes perpétrés par le Hamas le 7 octobre dernier. En un an, les faits antisémites ont en effet augmenté de 284%, passant de 436 à 1676, avec une concentration majeure de l’ensemble de ces actes après le 7 octobre (presque ¾ d’entre eux). Une « hausse inédite » selon le rapport : « Depuis l’année 2000 et le début de la seconde Intifada, le conflit israélo-palestinien a souvent déclenché en France des vagues d’antisémitisme mais jamais à un tel niveau ». Un chiffre à rapporter au nombre de Français juifs, qui s’élève à environ 500 000 personnes. En d’autres termes, presque 1 Français juif sur 30 aurait été victime d’un acte antisémite sur l’année 2023.

Dans la même lignée, la commission observe une « baisse exceptionnelle de 4 points de l’indice de tolérance à l’égard de la minorité juive », passant de 72 à 68 sur une échelle de 0 (intolérance) à 100 (tolérance). « La perception des juifs s’est polarisée autour du fait qu’ils ne constituent pas des Français comme les autres », analyse Nonna Mayer, chercheuse en sciences politiques et directrice de recherche émérite au CNRS. Dans les chiffres, 10.8% des sondés estiment que « les Français juifs ne sont pas des Français comme les autres », en hausse de 3.4 points par rapport à novembre 2022. En outre, 42.1% des personnes interrogés se déclarent d’accord avec la proposition selon laquelle « pour les Juifs français, Israël compte plus que la France », en hausse de près de 7 points par rapport à 2022 (35.4%).

Pour autant, le rapport note que « malgré l’émergence d’un « nouvel antisémitisme », qui s’appuierait sur un antisionisme amalgamant et diabolisant « juifs », « Israéliens » et « sionistes », les résultats du baromètre tendent à montrer que les opinions antisémites restent largement structurées par les vieux stéréotypes associant les juifs au pouvoir et à l’argent ». Ainsi, «si une vision négative d’Israël est plus fréquente à gauche et à l’extrême gauche, elle est relativement dissociée des préjugés anti-juifs classiques qui restent plus vivaces à l’extrême droite et chez les proches du RN ». Dans le détail, « 34% des sympathisants RN jugent que « les juifs ont trop de pouvoir » (…) et 51% leur prêtent un rapport particulier à l’argent, soit systématiquement nettement plus que la moyenne des Français et que les sympathisants des autres grandes formations politiques », note la chercheuse Nonna Mayer.

Des actes racistes « largement sous-estimés »

En parallèle de cette augmentation « exponentielle » des actes antisémites, les actes racistes connaissent eux aussi une hausse inquiétante, ces derniers ayant augmenté de 32% sur l’année 2023, selon les chiffres du ministère de l’Intérieur. « La France n’est pas un pays raciste, mais il y a des actes racistes et antisémites trop nombreux et sans doute pas assez poursuivis », note pour sa part, le président de la commission, Jean-Marie Burguburu, qui note une « permanence des discours racistes, antisémites, qui s’expriment dans l’espace public, mais aussi sur les réseaux sociaux de manière anonyme ». A cet égard, les actes racistes signalés sur la plateforme PHAROS (qui répertorie les comportements illicites sur Internet) ont eux aussi augmenté de 20%.

Néanmoins, pour la CNCDH, le chiffre total est sans doute beaucoup plus important que celui recensé par les différentes administrations de l’Etat. Allant jusqu’à parler de « chiffre noir », pour désigner « l’invisibilisation de l’ensemble des actes racistes non déclarés, qui échappent à la justice », l’organisme explique que les actes racistes sont « largement sous-estimés ». D’une part, les mains courantes et les plaintes directement adressées au procureur ne sont « pas comptabilisées » par Beauvau. D’autre part,  les chercheurs pointent un phénomène de sous-déclaration, qui s’explique par plusieurs facteurs : « la crainte de ne pas être cru », le « caractère répétitif » de ces actes, ou encore la « honte » ressentie par les victimes de ces agissements.

« En réalité, seulement 4% des personnes victimes portent plainte », détaille Jean-Marie Burguburu, qui ajoute que « lorsque la plainte est ouverte, elle n’aboutit pas toujours à une poursuite, et la poursuite n’amène pas toujours à une condamnation ». Pire encore, le taux de poursuite devant les tribunaux n’est que de 0.16% puisque « seules 1 606 personnes ont fait l’objet de poursuites devant les tribunaux », alors que selon l’enquête « Vécu et ressenti en matière de sécurité » réalisée par la commission en 2022, « 1 million de personnes affirment avoir été victimes chaque année d’au moins une atteinte à caractère raciste, antisémite ou xénophobe ».

Et ce, en dépit du plan national 2023-2026, mis en place par Elisabeth Borne lorsqu’elle était Première ministre. Déclinée en 80 mesures, ce plan prévoit notamment de « nommer la réalité du racisme, de l’antisémitisme et de la xénophobie », « mesurer ce phénomène », « mieux éduquer et former », « sanctionner les auteurs », et « accompagner les victimes ». Insuffisant selon le président de la commission, qui estime que « force est de constater que 18 mois après [la mise en place du plan], les choses n’ont pas vraiment changé ». Pire encore, les auteurs du rapport se montrent très sévères à l’encontre des responsables politiques, qu’ils accusent d’avoir « repris un vocabulaire issu de l’extrême-droite », à l’image du « grand remplacement », de « l’immigrationnisme », ou encore du « choc des civilisations ». Sans exclure la polarisation du débat politique qui s’est exercée au moment de la loi « immigration », votée fin d’année dernière : « La persistance d’un discours teinté de xénophobie tout au long de l’année 2023 a profondément marqué le paysage socio-politique du pays. L’immigré, réceptacle commode de toutes les critiques, a été régulièrement pointé du doigt comme responsable des difficultés rencontrées dans nos sociétés, en particulier lors du débat politique autour de la loi pour contrôler l’immigration, renforcer l’intégration », note Jean-Marie Burguburu.

Des préjugés toujours très vifs

Enfin, la réalité n’est guère plus reluisante concernant la persistance de préjugés, qui s’avèrent être très tenaces, et prennent même une tournure relativement préoccupante. Ainsi, l’indice de tolérance à l’égard des musulmans et des Roms a respectivement reculé de 2 et 3 points par rapport à 2022, pour atteindre un indice de 57 pour les premiers et de 42 pour les seconds. Dans cette même lignée, 63% des personnes interrogées estiment que les Roms forment un groupe à part (en léger recul de 4 points par rapport en 2023). En revanche, une hausse de 3.5 points est à noter concernant les musulmans, puisque 35% des sondés qualifient ces derniers de « groupe à part ».

Le rapport observe également « une forte corrélation entre les différents registres d’intolérance ». Dans le détail, « c’est le sentiment anti-immigré qui apparait le plus corrélé aux autres formes de haine et d’intolérance captées par le baromètre. Ainsi, une personne rejetant fortement les immigrés sera plus encline à exprimer par ailleurs une opinion misogyne, antisémite, anti-islam, anti-communautariste, à se dire raciste ou à considérer qu’il existe des races supérieures à d’autres ».

De la même manière, certaines phrases très stéréotypées sont partagées par une partie non négligeable des personnes interrogées. Ainsi, 60 % pensent que « de nombreux immigrés viennent en France uniquement pour profiter de la protection sociale » (59,6% en novembre 2022). 43 % pensent que « les enfants d’immigrés nés en France ne sont pas vraiment français », soit le double de l’année précédente. 43 % des sondés jugent que « l’immigration est la principale cause de l’insécurité » (42% en novembre 2022), et 37% estiment que « les juifs ont un rapport particulier à l’argent » (37,6 % en novembre 2022).

Cette tendance persistante et aggravante nécessite sans doute de rappeler que toutes les formes de racisme constituent des délits punissables par la loi, et non pas des opinions. A la veille d’élections législatives où le débat politique est plus que jamais polarisé, la multiplication de la parole raciste décomplexée ces derniers jours, y compris envers des journalistes, n’a pas de quoi rassurer.

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