« Le système ne protège pas suffisamment les enfants des violences sexuelles », Le juge Edouard Durand alerte

Magistrat spécialiste du droit des enfants, cela fait 20 ans que le juge Edouard Durand se dédie corps et âme à la lutte contre les violences sexuelles sur mineurs. Si les enfants sont plus considérés qu’ils ne l’étaient à l’époque, l’écart entre les plaintes et les condamnations reste criant. Cette semaine, Rebecca Fitoussi reçoit le magistrat Édouard Durand, dans « Un monde un regard ».
Lauralie Margalejo

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« On vous croit », c’est le message lancé par Edouard Durand aux 160 000 enfants victimes de violences sexuelles chaque année en France. Les chiffres qu’il communique dans son tract 160 000 enfants, violences sexuelles et déni social, sont effarants :  70% des plaintes déposées sont classées sans suite, seulement 3% des pédocriminels sont déclarés coupables. Un essai poignant dans lequel il appelle à une prise de conscience. D’un certain point de vue, « il faut être rassurant, les choses changent, l’attention pour les enfants change ». Néanmoins, force est de constater que « le système ne protège pas suffisamment les enfants des violences sexuelles, du stade de la prévention au stade de la protection, si les violences ont lieu ». Et il emploie le mot système à escient, un système qui exprime « la réalité du déni, une construction sociale, ancienne, persistante et structurée ».

« L’humanité d’une société se mesure à l’attention qu’elle porte à ses enfants »

Le juge Edouard Durand explique que l’histoire de la protection des enfants est « extrêmement lente ». Le moment de bascule intervient en 1970, avec le « passage de la puissance paternelle à l’autorité parentale ». Plusieurs lois ont également contribué à construire cette protection. Le magistrat salue notamment « la loi du 21 avril 2021, à l’initiative de la sénatrice Annick Billon », qui stipule qu’aucun adulte ne peut se prévaloir du consentement d’un mineur âgé de moins de 15 ans. Puis, « plus près de nous, en mars 2024, la loi sur l’autorité parentale qui retire systématiquement l’autorité à un père condamné pour des faits d’inceste ». « C’est bien le moins d’ailleurs ! », s’exclame-t-il, « Comment peut-on être déclaré coupable d’avoir violé son enfant et conserver l’autorité parentale ? C’était absurde, c’était à la loi de remédier à cette absurdité ». Co-président de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants de 2021 à décembre 2023, Edouard Durand indique que le rapport de la Ciivise a été structuré par des piliers, dont le premier est : « Qu’est-ce qu’un enfant pour les humains ? », tandis que « l’histoire contemporaine, récente, des années 1970, montre un affaiblissement néfaste et coupable de la conscience du devoir envers les enfants ».

« Je ne veux pas être spectateur »

Cela fait maintenant 20 ans qu’Édouard Durand lutte contre les viols et les agressions sexuelles sur mineurs. Lorsqu’il en parle, il admet volontiers que son métier, au service de la cause des enfants, est une « vocation ». Lui, ne veut pas être « spectateur ». Il estime que « cet écart entre le nombre d’enfants violés, agressés sexuellement, et le nombre d’enfants à qui la société rend justice est tel, qu’il est possible de dire que la société et le système préfèrent la position du spectateur ». Mais il refuse d’ « aller à la fenêtre regarder la tragédie se déployer sous ses yeux en restant les bras ballants ». Dans son regard, dans ses gestes, il y a quelque chose de l’ordre de la transe lorsqu’il revient avec émotion sur l’affaire d’Outreau. Un « échec collectif majeur » où « des enfants victimes de viol ont été placés dans le box des accusés ». Dans l’exercice de sa profession il souhaite à ce titre « créer un espace où le langage redevient possible ». Il prône en effet l’importance de la libération de la parole. Preuve en est, c’est à la suite de la publication de La Familia Grande de Camille Kouchner qu’Emmanuel Macron a lancé en 2021 la création de la Ciivise. Le juge Durand salue également l’action de Judith Godrèche avec qui il partage son combat contre les violences sexuelles sur mineurs. Une parole qu’il qualifie d’une « grande générosité ». Il clame l’importance de cette libération : « on parle de parole écrasée. De parole dont on conteste la légitimité. Des personnes comme Judith Godrèche prennent un risque extrêmement important avec un prix à payer pour dire ‘la notoriété que j’ai, je la mets au bénéfice de toutes les personnes à qui on ne reconnaît pas la légitimité de s’exprimer’. »

L’intégralité de l’émission est disponible en replay.

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