Le sort des enfants confiés à l’aide sociale à l’enfance était au centre des débats les 14 et 15 décembre, au Sénat. De nombreux dysfonctionnements ont été mis en lumière ces dernières années grâce à des enquêtes, des témoignages d’anciens enfants placés ou par des drames.
Le projet de loi examiné par les sénateurs vise ici à améliorer la situation des enfants placés à l’Aide sociale à l’enfance (ASE). « Ce projet de loi est à évaluer à l’aune de toutes ses omissions », juge Lyes Louffok, militant des droits de l’enfant et membre du Conseil national de la Protection de l’enfance. Pour lui, c’est donc « un texte pas abouti et surtout pas financé ».
Un projet de loi « pas à la hauteur des besoins »
Dans son avis rendu en juin dernier, la Défenseure des droits juge que ce texte n’est « pas à la hauteur des besoins que l’on note dans la protection de l’enfance, ni des atteintes du terrain et des ambitions affichées ». Pour l’Assemblée des départements de France (ADF), c’est « un projet de loi succinct […] dont le titre ambitieux ne correspond pas à la portée réelle ».
Des critiques reprises par les sénateurs lors des débats, particulièrement sur la question du budget. Un certain nombre de mesures n’a pas été budgété dans la loi de finances pour 2022. Devant les sénateurs, le secrétaire d’Etat chargé de la protection de l’enfance a pourtant sorti le grand jeu en annonçant un renforcement de l’accompagnement des jeunes majeurs à hauteur de 50 millions d’euros.
Il faut souligner que le Sénat représente les territoires et particulièrement les départements qui ont la compétence de la protection de l’enfance. Une compétence qui pèse lourd surtout pour les départements les moins dotés financièrement.
Accompagnement renforcé pour les jeunes de 18 à 21 ans
Au premier jour de l’examen, Adrien Taquet a donc annoncé un accompagnement renforcé pour les jeunes majeurs de 18 à 21 ans dans la matinale de Public Sénat. « Un quart des SDF nés en France sont passés par l’aide sociale à l’enfance. » Une statistique implacable. Ces chiffres illustrent les défaillances de l’aide sociale à l’enfance (ASE) et un scandale : celui des mises à la rue d’enfants confiés à l’ASE à leur majorité.
Plus tard en séance, le secrétaire d’Etat s’est engagé « à l’oral » à ce que « l’Etat accompagne les départements à hauteur de 50 millions d’euros pour mettre en place ce dispositif d’accompagnement des jeunes majeurs ». Le secrétaire d’Etat a également assuré qu’un suivi serait organisé avec les départements pour la mise en place du dispositif et sur l’évaluation des coûts additionnels aux 50 millions d’euros.
Ce dispositif pourra prendre deux formes. L’extension systématique de l’accompagnement des jeunes de 18 à 21 ans passés par l’Aide sociale à l’enfance (ASE). Et « un accès automatique » au Contrat d’engagement jeune qui prendra à partir de mars 2022 le relais de la Garantie jeunes. « Il y a aucune garantie que le département prolonge cette protection jusqu’à 21 ans », soulève cependant Lyes Louffok qui souligne également que les jeunes majeurs sont bien souvent déjà éligibles à la Garantie jeunes.
En commission, le Sénat a inscrit « un droit au retour » pour s’assurer que l’accompagnement des jeunes majeurs puisse se faire y compris dans le cas où le jeune aurait quitté toute prise en charge.
Interdiction des placements à l’hôtel d’ici deux ans
Le placement de mineurs à l’hôtel fait partie des sujets sensibles de ce texte. Le Sénat est parvenu à interdire ces placements d’ici deux ans quand l’Assemblée nationale prévoyait des dérogations après ce délai. Certains sénateurs, comme Xavier Iacovelli (RDPI), souhaitaient que cette interdiction prenne effet dès promulgation de la loi. Un engagement « trop difficile pour les départements », a expliqué le rapporteur du texte, Bernard Bonne (LR) qui appelle à « leur laisser le temps de s’organiser et à être vigilants sur la mise en œuvre ».
Les enfants de l’ASE face à la justice
La question de l’assistance systématique d’un avocat pour les enfants placés a fait l’objet de débats. Le secrétaire d’Etat chargé de la Protection de l’enfance est opposé à cette systématicité : « L’office du juge des enfants est un office singulier. Il n’est pas là pour trancher un conflit, il est garant de l’intérêt supérieur de l’enfant ». En cela, systématiser la présence de l’avocat dénaturerait la fonction du juge pour Adrien Taquet.
« Pourquoi on ne dit pas que c’est une trop grosse dépense que de prévoir systématiquement un avocat ? Ce serait au moins honnête », a rétorqué l’ancienne ministre des Familles et de l’Enfance, Laurence Rossignol. Selon elle, « le système actuel donne trop de latitude aux juges et pas assez de garanties aux enfants ».
Un amendement du gouvernement a cependant introduit l’audition systématique du mineur capable de discernement par le juge des enfants. « Un certain nombre de juges le font déjà mais que ce ne soit pas systématique c’est anormal », a justifié Adrien Taquet. Un amendement du rapporteur élargit les possibilités pour lesquelles le juge peut demander la désignation d’un avocat pour un enfant.
Dispositions pour les familles d’accueil
Aujourd’hui 40 % des assistants familiaux (ou familles d’accueil) en poste atteindront l’âge de la retraite d’ici cinq ans. Près de 40 000 assistants familiaux accueillent quelque 76 000 enfants placés. Les causes de cette désaffection sont à chercher du côté de leur rémunération et de la difficulté du métier.
En commission, le Sénat a adopté une revalorisation de leur rémunération. Le texte garantit une rémunération minimale pour l’assistant familial qui accueille un seul enfant (actuellement en dessous du Smic) ou s’il lui est confié moins d’enfants que prévu. Un amendement de la sénatrice socialiste, Michelle Meunier, assure également que le salaire minimum est maintenu si un assistant familial qui n’a qu’un enfant, susceptible de rentrer les week-ends chez ses parents ou pendant les vacances.
Des mesures ont également été prises pour mieux contrôler les assistants familiaux et les éducateurs spécialisés. L’inscription obligatoire de contrôle du fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles (FIJAIS) des majeurs vivant au domicile de l’assistant familial a, notamment, été adoptée sur amendement du gouvernement.
Ce projet de loi consacre par ailleurs la nécessité de chercher des alternatives au placement de l’enfant. L’article 1er inscrit à ce titre la recherche systématique de la possibilité de confier l’enfant à une personne de son entourage : famille ou voisins ou amis connus.
La gouvernance au niveau local et national a également été au cœur des débats. Le projet de loi entend en effet réformer la gouvernance nationale de la protection de l’enfance. Il crée ainsi un organisme national unique, sous la forme d’un groupement d’intérêt public (GIP) pour appuyer l’État et les conseils départementaux dans la définition et la mise en œuvre de la politique d’accès aux origines personnelles, d’adoption nationale et internationale, de prévention et de protection de l’enfance.
Le Sénat a aussi souhaité la création de comités départementaux de la protection de l’enfance pour une meilleure coordination au niveau local.
Le projet de loi introduit des dispositions spécifiques aux mineurs non accompagnés (MNA). La gauche s’oppose en particulier à l’article rendant obligatoire le recours au fichier national AEM (« appui à l’évaluation de la minorité »), afin de mieux repérer les jeunes étrangers ayant déposé des demandes de protection dans plusieurs départements.
Tous les amendements issus de la gauche ont été rejetés sur la question des mineurs non accompagnés sauf un. L’amendement de la sénatrice écologiste, Raymonde Poncet-Monge, qui inscrit dans la loi la mise en place d’un temps de répit préalable à l’évaluation de la minorité et de l’isolement afin de rendre son bénéfice systématique.
Le projet de loi doit désormais être examiné par une commission mixte paritaire composée de députés et de sénateurs.